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N° 1794

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 octobre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à relancer l’organisation des classes de découverte,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Émilie BONNIVARD et les membres du groupes Les Républicains et apparentés (1),

députés.

 

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(1) Mesdames et Messieurs : Emmanuelle Anthoine, Thibault Bazin, Valérie Bazin‑Malgras, Anne‑Laure Blin, Émilie Bonnivard, Jean‑Yves Bony, Ian Boucard, Jean‑Luc Bourgeaux, Xavier Breton, Hubert Brigand, Fabrice Brun, Dino Cinieri, Éric Ciotti, Pierre Cordier, Josiane Corneloup, Marie‑Christine Dalloz, Vincent Descœur, Fabien Di Filippo, Julien Dive, Francis Dubois, Virginie Duby‑Muller, Pierre‑Henri Dumont, Nicolas Forissier, Jean‑Jacques Gaultier, Annie Genevard, Philippe Gosselin, Justine Gruet, Victor Habert‑Dassault, Meyer Habib, Michel Herbillon, Patrick Hetzel, Christelle D’Intorni, Philippe Juvin, Mansour Kamardine, Marc Le Fur, Véronique Louwagie, Emmanuel Maquet, Olivier Marleix, Alexandra Martin (Alpes‑Maritimes), Frédérique Meunier, Maxime Minot, Yannick Neuder, Jérôme Nury, Éric Pauget, Isabelle Périgault, Christelle Petex‑Levet, Alexandre Portier, Aurélien Pradié, Nicolas Ray, Vincent Rolland, Raphaël Schellenberger, Vincent Seitlinger, Nathalie Serre, Michèle Tabarot, Jean‑Pierre Taite, Jean‑Louis Thiériot, Isabelle Valentin, Pierre Vatin, Antoine Vermorel‑Marques, Jean‑Pierre Vigier, Alexandre Vincendet, Stéphane Viry.

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les classes de découvertes, ou voyages scolaires selon le vocabulaire officiel du ministère de l’éducation nationale (circulaire en date du 13 juin 2023 relative à l’organisation des sorties et voyages scolaires dans les écoles, les collèges et les lycées publics) correspondent à un moment précieux de notre histoire éducative récente. La première classe de découverte a lieu en 1936, organisée par une école de Moselle dans les Vosges. Entre 1946 et 1982 elles se déploient notamment dans les Pyrénées‑Atlantiques, en Haute‑Savoie et en Savoie. Les thématiques se développent autour de « classes forêt », « classes de mer », « classes de neige ». Elles sont largement promues par les acteurs de l’éducation populaire, dont la Ligue de l’enseignement, la Fédération des œuvres laïques, etc. en lien avec l’Éducation nationale.

Les atouts de ces départs dans le cadre scolaire sont très nombreux : apprentissage du « vivre‑ensemble », renforcement de la socialisation des élèves, premier pas vers l’autonomie et la confiance en soi (c’est souvent la première fois que les enfants sont séparés de leur famille), de nouvelles expériences à vivre par le « groupe classe », développement de nouveaux apprentissages éducatifs, culturels, sportifs souvent de manière ludique et concrète dans le cadre scolaire et dans un milieu naturel totalement nouveau pour les enfants. En effet, la découverte de milieux naturels méconnus des élèves, en immersion, revêt une dimension d’ouverture au monde, de connaissance de l’environnement et de la biodiversité, de développement de la curiosité et de l’envie d’apprendre dans un cadre extraordinaire. Pour de nombreux jeunes, la classe de découverte constitue souvent le premier souvenir à la montagne, à la mer, à la campagne ou en ville. De nouvelles thématiques se déploient aujourd’hui comme les « classes culturelles », les « classes environnement », les « classes vélos », les « classes équestres », et les « classes randonnées » particulièrement pertinentes dans le cadre de l’éducation à l’environnement. La classe de découverte est aussi un excellent moyen de lutter contre les inégalités sociales et de renforcer l’apprentissage de la solidarité au sein de la classe. Cette expérience renforce en outre le lien entre l’enseignant et ses élèves.

À partir de 1982, l’Éducation nationale met en place un dispositif réglementaire complet et incitatif au départ. Les agréments par l’Éducation nationale de dizaines de centres permanents d’accueil de classes de découvertes sont accordés. Les villes, dont plusieurs sont administrées par des élus communistes, font l’acquisition de certains centres et soutiennent le départ de tous leurs écoliers chaque année. Entre 1982 et 1995, c’est l’âge d’or des classes de découverte, de mer et de neige notamment.

En 1995 puis en 1998 deux accidents tragiques, la noyade de 6 enfants et de leur accompagnatrice dans le Drac lors d’une sortie pédagogique, puis l’avalanche des Orres dans laquelle 11 adolescents et 2 accompagnateurs trouveront la mort, met un coup de frein aux départs. Les textes du ministère de l’Éducation nationale deviennent plus contraignants et non incitatifs. Depuis, la majorité des textes et des pratiques restreignent les départs ou les limitent à des départs moins lointains et moins longs.

Il est particulièrement difficile de disposer de chiffres et donc d’évaluer l’évolution des classes de découverte en nombre, en typologie et en nuitées depuis 30 ans. Le ministère de l’éducation nationale ne fait en effet pas « remonter » de ses académies ces éléments, malgré des demandes parlementaires en ce sens depuis plusieurs années maintenant.

Selon la Ligue de l’enseignement, nous savons seulement qu’en 1995, 584 780 élèves, soit 26 130 classes, ont effectué un séjour d’au moins 5 jours. En 2002, le nombre de jours se restreint dans les calculs à « au moins deux jours » pour 700 039 élèves.

Les acteurs de l’éducation populaire comme Jeunesse en plein air, la Ligue de l’enseignement, les syndicats enseignants et les centres de vacances n’ont cessé de se mobiliser pour renforcer ces séjours, qu’ils soient courts (1 ou 2 nuitées) ou plus longs (3 ou 4 nuitées), malgré des contraintes de plus en plus fortes pesant sur les enseignants et l’absence de politique claire et uniforme sur le territoire national de la part de l’éducation nationale depuis de nombreuses années.

Cette année toutefois, la circulaire en date du 13 juin 2023 relative à l’organisation des sorties et voyages scolaires dans les écoles, les collèges et les lycées publics du ministère de l’éducation nationale « réaffirme les sorties scolaires comme temps fort dans le parcours scolaire de chaque enfant qui favorisent l’acquisition de connaissances et de compétences, concourent à l’épanouissement des élèves et à leur ouverture au monde. » La circulaire ajoute « Ainsi, tout élève, quel que soit son milieu social d’origine, doit pouvoir bénéficier d’au moins un voyage scolaire au cours de sa scolarité obligatoire. Par conséquent les écoles et les établissements scolaires sont invités à encourager l’organisation de ces séjours ».

Par ailleurs, des mesures facilitant l’organisation de ces séjours ont été initiées par le ministère de l’éducation nationale comme le catalogue national des structures d’accueil et d’hébergement (mais qui reste restrictif), ou encore la réduction du délai d’instruction des dossiers de 8 à 4 semaines, avec une décision rendue désormais non plus par le directeur d’académie mais par l’inspecteur de circonscription. La « Trousse à projets » ou « Sortie sco » ont le mérite d’exister mais ne répondent pas aux problématiques (mise en concurrence des projets, etc.).

Si ces avancées sont positives, elles resteront lettre morte sans de nouveaux moyens répondant aux principaux freins au départ. Or aucun n’est prévu en ce sens dans le projet de loi de finances pour 2024.

Cette proposition de loi vise donc à y répondre et à donner réellement les moyens aux écoles et aux enseignants de l’école primaire de relancer les voyages scolaires.

Deux freins principaux aux départs ont été identifiés : le financement des séjours et l’absence de valorisation du travail des enseignants s’engageant dans ces projets.

Le coût des classes de découverte a explosé ces dernières années en raison du coût du transport (+ 50 % en 3 ans selon l’association savoyarde des classes de découverte), mais aussi du coût des séjours, les centres d’accueil faisant face eux‑mêmes, après l’épidémie de covid‑19, à une explosion de leurs coûts (+10 % en moyenne). Or, l’objectif est toujours que le reste à charge pour les familles soit de « zéro euro ». Cela est parfois possible pour les courts séjours grâce essentiellement aux actions bénévoles menées par les parents d’élèves et le soutien financier des municipalités (qui se réduit lui‑même eu égard aux tensions sur leurs budgets). Certaines régions, comme la région Auvergne‑Rhône‑Alpes a mis en place une politique incitative au départ en prenant en charge le coût des transports des classes partant en montagne. Certains départements participent également à l’aide au départ, généralement par élèves sur la base du quotient familial. Aussi, il y’a une forme d’iniquité nationale d’accès à ces classes de découverte en fonction des choix politiques et des possibilités budgétaires des collectivités. Les inégalités se creusent entre les enfants des territoires les plus riches et les enfants des territoires les moins aisés, ou n’ayant pas une politique volontariste en la matière.

À titre d’exemple, une classe vélo en Seine‑Maritime coûte 140 euros par élève pour deux nuitées dans le département. Le reste à charge des familles s’élève à 90 euros, réduit à zéro par les actions des parents d’élèves et une subvention municipale de 1 000 euros.

Le coût est encore plus élevé dès lors que l’on sort du département et que l’on s’engage sur un séjour de 3 ou 4 nuitées. Une classe de neige dans les Pyrénées‑Orientales avec 35 élèves et 6 accompagnateurs, comprenant 3 demi‑journées de ski, rando‑raquette et visite d’un parc animalier s’élève à 12 094 euros, soit 345 euros par élèves. Le coût moyen d’un séjour de 3 à 4 nuitées se situe entre 400 et 600 euros par élève.

Il n’y a aucun dispositif national d’aide au départ, à l’exception d’aides issues de dispositifs de l’éducation populaire qui ont le mérite d’exister mais que ne peuvent seuls répondre au besoin. À titre d’exemple, l’Agence nationale des chèques vacances (ANCV), et Jeunesse au plein air ont lancé un fonds dédié à aider financièrement les départs doté d’1,7 million d’euros pour 1 700 classes (soit 1 000 euros par classe). Le Syndicat national des moniteurs du ski français a également créé un fonds de dotation « Enfance et Montagne » d’aide au départ de 650 000 euros pour 2023‑2024.

Il est à noter que plus le séjour est long et éloigné, plus le coût est prohibitif. Or pourquoi un jeune défavorisé en milieu rural, en ville ou d’un quartier populaire ne pourrait‑il pas découvrir la mer ou la montagne et y développer de nouvelles capacités ? La question de la durée du séjour est importante, de même que le fait d’avoir accès à un environnement naturel nouveau et totalement dépaysant. Il n’est pas rare que la première fois qu’un enfant ait pu sortir de son quartier, ait pu découvrir la mer ou la montagne, ait été rendue possible par ces classes de découverte. C’est un souvenir que l’on garde toute une vie. Un séjour de 3 ou 4 nuitées revêt d’un intérêt pédagogique, d’apprentissage des règles de vie en commun et d’autonomie majeur. Or, en raison du coût et des prises de responsabilités plus importantes, les freins sont encore plus importants pour ces séjours.

Cette proposition de loi, dans son article 1er, vise donc à soutenir financièrement les départs de voyages scolaires d’une durée supérieure à deux nuitées par un « fonds national d’aide au départ des voyages scolaires » de 3 millions d’euros, financé via le programme n° 230 « Vie de l’élève » de la mission « Enseignement scolaire ». Il pourrait alimenter une aide comprise entre 700 et 1 000 euros par classe selon la durée du séjour et son éloignement.

Le deuxième frein au départ est lié à la responsabilité et à la charge majeures pesant sur les enseignants pour l’organisation de ces voyages : la lourdeur administrative des dossiers qu’ils doivent constituer, leur responsabilité personnelle engagée hors de l’espace « sécurisé » des murs de l’école, la recherche de financements, l’identification d’un centre adéquat au projet éducatif, le temps de préparation en amont de ces classes (contenu pédagogique, recherches d’activités, etc.), de même qu’une grande partie des temps sur place hors temps scolaire (nuits, etc.). Tout ce travail et cet engagement n’est ni reconnu ni valorisé par l’éducation nationale (tous ces temps sont exclus des temps d’obligation réglementaire de service). Par ailleurs, pratiquement aucune formation ni sensibilisation à l’organisation de ces classes n’est incluse dans la formation initiale, ni même continue des enseignants.

Il convient d’ajouter à cela le temps et les efforts majeurs déployés par les enseignants pour convaincre toutes les familles. Car si une seule famille s’oppose au départ de son enfant pour diverses raisons (psychologiques, crainte, moyens financiers, etc.), il ne peut y avoir de départ de classe.

Si certains enseignants peuvent, selon les moyens et les choix des académies, bénéficier d’indemnités péri‑éducatives (IPE), cela n’est ni uniforme sur le territoire national, ni à la hauteur de l’investissement des enseignant (25 euro l’IPE, avec un maximum d’IPE de 4 ou 5 pour un séjour de 4 à 5 jours, soit au maximum une indemnité de 125 euros à l’enseignant quand elle est prévue par l’académie).

L’organisation d’un départ repose donc uniquement sur la motivation, le volontarisme et le « bénévolat » des enseignants, dans un contexte de responsabilité déjà très lourde portée par ceuxci. Il convient que cet engagement en temps et en responsabilité supplémentaires des enseignants puisse bénéficier d’une reconnaissance financière.

L’article 2 de cette proposition de loi vise donc à apporter une indemnité aux enseignants, en rendant éligibles les enseignants en école primaire qui organisent des classes de découverte d’une durée d’une nuitée au moins aux indemnités prévues par le Pacte enseignant via le programme n° 214 « Soutien de la politique de l’éducation nationale » de la mission « Enseignement scolaire ».

Cette proposition crée une indemnité plancher de 1 250 euros pour les enseignants qui organisent une classe de découverte d’une durée supérieure à trois nuitées hors du département de l’établissement scolaire, ce qui correspond au montant de l’indemnité fixée pour une mission dans le cadre du Pacte enseignant. Pour ce qui concerne les autres classes de découverte, elle propose de confier au pouvoir réglementaire la responsabilité de fixer des indemnités graduées en fonction de la durée du séjour et de l’éloignement du lieu de la classe de découverte par rapport à l’établissement scolaire.

Conformément à l’article 40 de la Constitution, les dépenses de soutien à l’organisation des classes de découverte et la gratification financière que cette proposition de loi prévoit à destination des enseignants qui les organisent est gagée à l’article 3 par la création, à due concurrence d’une taxe additionnelle sur le tabac, même si nous appelons évidemment le Gouvernement à lever ce gage.

 

 

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

Le chapitre Ier du titre V du livre V de la deuxième partie du code de l’éducation est complété par un article L. 551‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 5512. – I. – Il est créé un fonds national d’aide au départ en voyages scolaires doté de trois millions d’euros.

« II. – Une aide, financée via le fonds mentionné au I, est accordée par les services du ministère de l’Éducation nationale aux écoles primaires publiques ou privées sous contrat visant à prendre en charge une partie des dépenses liées aux voyages scolaires, classes transplantées et classes de découverte d’une durée supérieure à deux nuitées dans des conditions fixées par décret.

« III. – Le montant de l’aide est gradué en fonction de la durée du voyage scolaire, de la classe transplantée ou de la classe de découverte et de l’éloignement de celle‑ci par rapport à l’établissement scolaire où elle est organisée ».

Article 2

I. – Il est attribué une part fonctionnelle de l’indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves aux enseignants, fonctionnaires ou contractuels, des écoles primaires qui assument une mission d’organisation et d’accompagnement d’une classe de découverte, d’un voyage scolaire ou d’une classe transplantée d’une durée d’une nuitée au moins, dans des conditions fixées par voie réglementaire.

II. – Le montant de cette indemnité est gradué en fonction de la durée du séjour et du niveau d’éloignement de la classe transplantée, de la classe de découverte ou du voyage scolaire par rapport à l’établissement scolaire de départ.

III. – Lorsque la classe transplantée, la classe de découverte ou le voyage scolaire sont organisés pour une durée supérieure à trois nuitées en dehors du département d’origine, l’indemnité visée au I ne peut être inférieure à 1 250 euros.

Article 3

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.