N° 1830

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 novembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger les acquéreurs de logements  en vente en l’état futur d’achèvement des défaillances des promoteurs immobiliers,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Bruno MILLIENNE,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que de nombreux Français font le choix de l’achat de programmes immobiliers sur plans, dans le cadre de ventes en l’état futur d’achèvement (VEFA), les associations de protection des consommateurs (et notamment l’UFC‑Que‑Choisir dans une étude publiée en 2018 ([1])) font état d’une hausse du nombre de litiges concernant l’achat en VEFA. Il s’agit le plus souvent de retards de livraison, qui occasionnent un important préjudice financier, ainsi que de pratiques dommageables des promoteurs au moment de la remise des clefs.

En effet, contrairement à d’autres instruments contractuels comme le contrat de construction de maison individuelle (CCMI), le promoteur qui propose une VEFA n’est pas légalement tenu de prévoir des pénalités dont il serait redevable en cas de retard dans la livraison. Ces pénalités n’allant pas dans son intérêt, il ne les intègre pas systématiquement, obligeant donc l’acheteur à négocier. S’agissant de la voie contentieuse, elle est souvent longue et coûteuse pour tenter d’obtenir une réparation du préjudice qui n’est jamais totalement satisfaisante, et à qui il revient de prouver que le promoteur a failli à ces engagements. Compte tenu des frais de procédure dissuasifs, cette option est hélas souvent abandonnée. Dans certains cas, il arrive même que les acquéreurs préfèrent demander aux juges la rupture du contrat de vente sans rien demander au promoteur ni dédommagement des sommes versées.

Les résultats de l’enquête menée auprès des consommateurs par l’UFC‑Que Choisir en 2018 montrent que les retards de livraison des logements neufs touchent près d’un acheteur sur trois (29 %) et sont d’une durée moyenne de 5,4 mois. Ces retards ont des conséquences financières importantes pour les acquéreurs (4 500 euros en moyenne), compte tenu des dépenses supplémentaires qu’ils engendrent : paiement des loyers ou encore charges liées à l’emprunt immobilier (frais intercalaires, assurance emprunteur).

Si dans près d’un tiers des cas les promoteurs immobiliers ne prennent même pas la peine d’indiquer les raisons d’un report de livraison, lorsque des explications sont fournies, elles sont loin de convaincre. L’analyse des litiges montre que c’est tout d’abord le cas lorsque les consommateurs doivent se contenter d’explications purement formelles, ne reposant sur aucune objectivation : ni la réalité des motifs invoqués par les promoteurs, ni leurs conséquences réelles sur l’organisation des chantiers, ne sont justifiées.

C’est également le cas lorsque les raisons des reports mobilisées par les promoteurs résultent de leur manque de prévoyance. Cela se manifeste pour les deux motifs les plus fréquemment avancés : les intempéries (pour 70 % des répondants) et les défaillances d’entreprises intervenant sur le chantier (43 %). Dans le premier cas, les événements climatiques correspondent trop souvent à des situations prévisibles (fortes chaleurs en été, neige et gel en hiver) qui devraient en toute logique être anticipées et intégrées dans les dates de livraison. Dans le second cas, la proportion de défaillances d’entreprises questionne la capacité et le sérieux des promoteurs quant à la sélection des entreprises en charge des travaux de construction. Rien ne justifie que les acquéreurs doivent subir les conséquences financières des mauvais choix opérés par les promoteurs.

À la réception, seul 1 logement sur 5 est livré sans réserve. Pour les autres, c’est en moyenne 12 réserves qui sont émises. Pire, dans 16 % des cas, les acquéreurs signalent des problèmes nuisant tout bonnement à l’habitabilité des logements (absence d’eau ou de chauffage par exemple).

Certaines dispositions de cette présente proposition de loi s’inspirent de ce qui existe pour les CCMI. Tout CCMI doit en effet indiquer le montant des pénalités prévues en cas de retard de livraison, celui‑ci ne pouvant être inférieur à 1/3 000e du prix convenu par jour de retard (L. 231‑2 et R. 231‑14 du code la construction et de l’habitation). La garantie de livraison à prix et délai convenus, obligatoire en CCMI, joue si les travaux ne sont pas achevés dans le délai contractuel d’exécution suite à la défaillance du constructeur. Elle prend en charge les pénalités de retard prévues au contrat dès que le retard excède 30 jours, court jusqu’à la réception et, en cas de réserves, jusqu’à leur levée. Elle s’inspire également de deux propositions de loi antérieures déposées par M. Frédéric Lefebvre en 2014 ([2]) et par 11 députés du groupe GDR en 2019 ([3]).

La présente proposition de loi a pour but de compléter l’ordonnance du 3 octobre 2013 qui règlemente la garantie financière en cas de VEFA afin de mieux protéger les acquéreurs de ce type de logements.

L’article 1er prévoit de cadrer le calendrier promis de livraison d’un bien en VEFA et ce de manière raisonnable et responsable dans l’intérêt des contractants. L’instauration d’un délai de 30 mois, jour pour jour, entre la signature du contrat et la livraison impérative respecte la phase de commercialisation ouvrant droit au déclenchement des travaux de chantier.

Il créé une obligation de confirmation, au plus tard quatre mois avant la date de livraison, qui permet à l’acheteur de sécuriser sa transition résidentielle d’un point de vue financier et matériel.

Il établit un forfait de 3 mois maximum, jour pour jour, de report de livraison permettant au maître d’ouvrage de prendre en compte les aléas ayant une cause légitime ne disposant pas de base légale.

Il élève au niveau législatif la définition de la réputation d’achèvement des travaux en matière d’équipement du bâtiment et de fonctionnement des services des tiers opérateurs, afin d’assurer à l’acquéreur d’être en droit et en situation de disposer d’un bien salubre, confortable et opérationnel dès la remise des clés et son entrée dans les lieux.

Il rend obligatoire la consignation du solde du prix d’achat et sa levée concomitante à celle des réserves. Cela fait correspondre le strict respect du contrat à l’acquittement définitif des prestations attendues et du prix total de ces dernières.

Les articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 complètent l’ordonnance du 3 octobre 2013 qui règlemente la garantie financière en cas de VEFA afin de mieux protéger les acquéreurs de logements en VEFA.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article 1601‑3 du code civil est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’acquéreur est dispensé de paiement dès que les travaux sont interrompus pour cause de défaut du promoteur, et reprennent dès qu’un nouveau promoteur reprend les travaux. »

2° À la fin sont ajoutés sept alinéas ainsi rédigés : « La date de livraison impérative du bien est contractuellement fixée à 30 mois jour pour jour après la date de signature du contrat.

« Le promoteur immobilier doit adresser, au plus tard quatre mois avant la date contractuelle de la remise des clés, une notification écrite à l’acheteur, pour confirmer la remise des clés à ladite date contractuelle.

« Dans le cas d’aléas autres que le cas de force majeure, comme par exemple l’imprévisibilité ou l’irrésistibilité d’événements survenus lors du chantier de construction, un forfait maximal de trois mois jour pour jour est accordé au promoteur maitre d’ouvrage pour la remise des clés. Au‑delà, une pénalité de retard est fixée au contrat égale à un trois‑millième du prix par jour de retard. Tout décalage de livraison ultérieur ne peut être justifié par un événement survenu avant l’annonce de livraison.

« Les jours d’intempéries ne doivent pas constituer un empêchement seulement théorique mais doivent avoir réellement provoqué une impossibilité de travailler pour justifier une livraison tardive.

« Quelle que soit la date contractuelle de la remise des clés, l’immeuble est réputé achevé lorsque sont exécutés les ouvrages et sont installés les éléments d’équipement qui sont indispensables à l’utilisation conformément à la destination de l’immeuble faisant l’objet du contrat. Les services relatifs aux fluides et réseaux doivent être en état de fonctionnement. La surface habitable est vérifiée par attestation conforme à l’engagement contractuel.

« Par ailleurs, le solde de paiement du coût d’achat du bien est payable à l’extinction des réserves qui pourraient être émises par l’acquéreur dans le mois qui suit son entrée dans les lieux. Durant cette période, elle est obligatoirement consignée.

« Les réserves et leurs extinctions sont établies d’un commun accord entre le promoteur et l’acheteur. À défaut, elles sont établies par constat d’expert à charge partagée. La date de l’extinction des réserves est concomitante à la date de la levée de la consignation et ce durant l’année suivant la remise des clés. »

Article 2

L’article 1601‑2 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le garant prend l’engagement de respecter les délais de livraison sous peine de s’exposer à l’exécution de la garantie extrinsèque. Cette sanction est pécuniaire et prélevée directement sur le montant de cautionnement par journée de retard, ce montant étant stipulé dans les termes contractuels. »

Article 3

Après l’article L. 261‑10 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un article L. 261‑10‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 261‑10‑1. – Les promoteurs doivent justifier auprès d’un numéro d’agrément national de leurs qualifications professionnelles et de n’avoir subi aucun sinistre dans les trois années qui précèdent le contrat. »

Article 4

Après l’article L. 261‑10‑1 du code de la construction et de l’habitation tel qu’il résulte de la présente loi, il est inséré un article L. 261‑10‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 261‑10‑2. – La présomption de responsabilité établie par l’article 1792 du code civil s’applique pour l’exécution de la garantie d’achèvement extrinsèque, et sera mise en œuvre par une procédure amiable encadrée aux délais stricts. »

Article 5

Après l’article L. 261‑10‑2 du code de la construction et de l’habitation tel qu’il résulte de la présente loi, il est inséré un article L. 261‑10‑3 ainsi rédigé :

 « Art. L. 261103. – Le notaire doit communiquer par écrit à l’acquéreur les conditions de la garantie d’achèvement souscrite. »

Article 6

Après l’article L. 261‑10‑3 du code de la construction et de l’habitation tel qu’il résulte de la présente loi, il est inséré un article L. 261‑10‑4 ainsi rédigé :

« Art. L. 261104. – Le garant d’achèvement s’engage à vérifier la bonne exécution des travaux lors des appels de fonds. »

Article 7

Après l’article L. 261‑10‑4 du code de la construction et de l’habitation tel qu’il résulte de la présente loi, il est inséré un article L. 261‑10‑5 ainsi rédigé :

« Art. L. 261105. – L’organisme de crédit doit au préalable s’assurer de la solvabilité du promoteur, ainsi que la viabilité du projet. Conformément à l’application de l’article L. 312‑19 du code de consommation, la remise du rapport d’expertise doit être conclusive et confirme ou infirme en deuxième audience la procédure en référé existante. »

 


([1])  « Achats de logements sur plan (VEFA) - L’étendue des retards de livraison et des mauvaises pratiques des promoteurs imposent une réforme d’ampleur », UFC-Que Choisir, novembre 2018.

URL : https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-achats-de-logements-sur-plan-aupres-de-promoteurs-vefa-les-acquereurs-particulierement-mal-lotis-n60441/?dl=39145

([2])  PPL n°2015 visant à protéger les acquéreurs de biens immobiliers dans les opérations de vente en l’état futur d’achèvement, déposée par M. Frédéric Lefebvre et enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juin 2014.

([3])  PPL n°1753 visant la sécurisation des consommateurs dans le cadre d’achat de logements sur plan, déposée par M. Wulfranc et 10 députés du groupe GDR, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mars 2019.