N° 1832

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 novembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à la création d’une garantie de l’État afin de favoriser l’acquisition d’une résidence principale,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Aurélien PRADIÉ, M. Ian BOUCARD, M. Raphaël SCHELLENBERGER, M. Marc LE FUR, M. Nicolas RAY, M. Mansour KAMARDINE, M. Maxime MINOT, Mme Justine GRUET, Mme Nathalie SERRE, M. Stéphane VIRY, M. Vincent DESCOEUR, M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Émilie BONNIVARD, Mme Christelle PETEX-LEVET,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Devenir propriétaire de son logement pour les ménages français est un désir fort dans un parcours de vie. Être propriétaire de sa résidence est l’accomplissement d’une ascension sociale, le signe d’une stabilité. C’est se constituer un patrimoine pour l’avenir. La retraite venue, ce dernier sera une sécurité et un avantage financier non négligeable face à la baisse des revenus du ménage.

Les politiques publiques ont toujours été incitatives en matière d’accession à la propriété en soutenant divers dispositifs d’aide à l’accession à la propriété, (prêt à taux zéro (PTZ), loi Pinel, prêt location accession). Elles se focalisent sur le secteur de la construction neuve pour donner aux ménages à revenus modestes à moyens l’effet de levier nécessaire pour acquérir une résidence principale. Elles favorisent le secteur du bâtiment et contribuent fortement à améliorer le parc de logements.

Les collectivités ont bien compris que l’installation de couples avec enfants favorisait la vie des villages et le maintien des activités, écoles, commerces, services. Elles ont développé des projets d’urbanisme pour répondre aux attentes des ménages et aux besoins de logements au‑delà de leur obligation de proposer du logement social. La loi Elan de 2018 ambitionnait de « construire, mieux, plus vite et moins cher » en facilitant les procédures d’aménagement, ainsi les communes bénéficiaient‑elles d’opérations de revitalisation de territoire (ORT). Elle instaurait aussi le plafonnement des loyers, proposait de nouveaux modèles comme l’habitat intergénérationnel et mettait en place le dispositif de la garantie Visale porté par Action logement. Cependant, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a dressé un bilan en demi‑teinte de la loi Elan qui n’a pas provoqué un « choc de l’offre, côté habitat ».

Aujourd’hui, l’accession à la propriété est en panne et le secteur du bâtiment est en plein désarroi. Alors que le secteur du logement neuf était jusqu’à présent très dynamique, à la faveur de taux d’intérêt particulièrement bas et d’incitations fiscales, le secteur du logement neuf est en crise.

Le décrochage de la construction dans les zones tendues a débuté dès 2020, note le rapport Rebsamen, accentué par la crise sanitaire, autant dans le parc privé que social. Le besoin de logements est partout considérable, 325 000 logements par an sont nécessaires pour les nouveaux ménages à l’horizon 2030, sans compter la situation du mal logement. Les locataires restent plus longtemps dans les logements sociaux puisqu’ils sont de moins en moins nombreux à pouvoir accéder à la propriété et déséquilibrent donc le parc de logements. Le parcours résidentiel auquel chaque Français qui travaille devrait pouvoir prétendre n’est donc pas une réalité.

Or la crise précédente qui a frappé le secteur en 2009 a montré la nécessité du maintien d’un parc de logements équilibré entre propriétaire occupant, logement locatif, logement social et l’impact macroéconomique des aides à la construction qui sont venues soutenir l’immobilier.

La mobilité résidentielle reste un facteur important sur le marché du logement, une diminution de la sortie du parc locatif et locatif social, accentue la pression sur les besoins de productions de logements neufs destinés à la location.

Les bailleurs sociaux sont désormais confrontés à un dilemme : l’obligation de rénover l’ancien et dans le même temps, de maintenir la production de nouveaux logements. Or leur capacité d’investissement se trouve largement obérée par l’effet cumulé de plusieurs facteurs notamment par la mise en place du mécanisme de réduction du loyer de solidarité, la réduction du loyer de solidarité (RLS) qui a obéré la capacité de financement des bailleurs sociaux de 13 milliards d’euros. La Banque des territoires dans une étude de 2023 sur le logement social précise que les rénovations thermiques se feront au détriment des constructions neuves, ce qui va accroitre encore la crise du logement avec une baisse attendue de 25 000 logements par an. Problème, selon l’Union sociale pour l’habitat, 2,4 millions de ménages sont en attente d’un logement social et deux tiers d’entre eux n’étaient pas logés dans le parc social.

Le secteur de l’immobilier représente plus de 11 % du produit intérieur brut (PIB) français. La fédération Française du Bâtiment estime que l’activité du bâtiment va reculer de 8 % d’ici 2025 avec 150 000 destructions de postes. La note de conjoncture de la Fédération française du bâtiment relève que la crise du logement annoncée depuis plusieurs trimestres et désormais amorcée. Le nombre de permis de construire en individuel a baissé de 37,8 %, au premier trimestre 2023. Les mises en chantier depuis le 1er janvier 2023 sont en baisse de 15 %. Les ventes de biens plongent également. D’ici 2025 c’est une perte financière de 14 milliards d’euros qui se profile dans cette filière.

Construire en individuel ou collectif, rénover l’ancien sont donc des priorités majeures pour assurer l’adéquation du parc de logements avec les besoins des habitants mais aussi éviter l’effondrement d’un secteur économique dynamique et primordial.

L’accession à la propriété est confrontée à une accumulation de facteurs négatifs :

Plusieurs difficultés cumulatives sont venues grever le rêve de beaucoup de primo‑accédants et plus particulièrement les personnes seules, jeunes actifs ou les ménages modestes.

Les prix de l’ancien ont été multipliés par 2,4 en vingt ans alors que sur la même période, les salaires n’ont progressé que de 30 %.

L’augmentation des prix des matériaux du bâtiment dès 2020, les nouvelles normes énergétiques sont venues renchérir le prix de la construction neuve. La tension sur le foncier fait monter les prix des terrains. La législation en matière environnementale limite la consommation des espaces naturels.

La conjoncture est peu favorable aux ménages : les taux d’emprunt sont repartis à la hausse après avoir connu des taux anormalement bas. Ils sont à un peu plus de 4 % (taux de 2000). Une demande de prêt immobilier sur deux est refusée ses derniers mois (source AFIB). La production de crédits à l’habitat a baissé de plus de 44 % en un an (Banque de France).

L’inflation et la baisse du pouvoir d’achat augmentent les charges des ménages. L’acquisition de la résidence principale devient une perspective qui s’éloigne.

La capacité d’emprunt des ménages s’est donc réduite alors que dans le même temps, le coût d’une construction neuve a fortement progressé : l’indice du coût de la construction (ICC qui mesure l’évolution des prix des bâtiments neufs se situe à 2077 au premier trimestre 2023, il était de 2000,75 en 2022, et de 1770,75 en 2020 (source Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)).

Le Haut Conseil de stabilité financière impose un maximum de taux d’endettement des ménages de 35 % des revenus.

L’accession à la propriété suppose donc que les futurs acquéreurs puissent augmenter leur montant d’apport pour compenser la baisse de la capacité d’emprunt de l’ordre de 15 à 20 %, conséquence du relèvement des taux de crédit. Les personnes à revenus modestes à moyens se trouvent écartées de l’accession à la propriété car leur capacité d’emprunt n’est plus la même et ils ne peuvent accroître le montant de l’apport personnel qui correspondrait à 8 mois supplémentaires de revenus pour un ménage disposant de trois SMIC.

La crise actuelle est d’abord la crise du financement du logement. Il faut donc dégager des marges de manœuvre en faveur des ménages à revenus modestes à moyens.

L’action des pouvoirs publics doit cibler l’accession à la propriété, un levier économique et de confortement du parc de logements. On l’a vu, les causes de la crise du logement sont multiples et probablement durables. Il est plus à espérer une stabilisation des différents paramètres (prix, taux d’intérêt) qu’une baisse significative de ces derniers. Dans ces conditions et comme lors des crises passées de l’immobilier, les pouvoirs publics doivent venir en soutien de ce secteur. Les enjeux sociaux et économiques imposent une action volontariste de l’État.

Ainsi l’article 1er crée un dispositif de prêt in fine afin de favoriser l’acquisition d’une résidence principale.

L’objectif du prêt in fine serait de fournir un apport complémentaire au plan de financement d’une résidence principale qui ainsi limiterait le montant emprunté au niveau du seuil maximum d’endettement de 35 % des revenus. Ce prêt serait consenti par les banques et garanti par l’État.

Les ménages ne pouvant augmenter leur apport personnel disposeraient d’une aide à l’apport. Le taux maximum d’endettement serait respecté. Un prêt principal et un premier apport constitueraient l’essentiel du financement de l’acquisition.

La cible serait les personnes et ménages à revenus modestes à moyens, jusqu’à 2,5 SMIC.

Le montant du prêt in fine serait plafonné (maximum 35 % du coût de l’acquisition) et dégressif en fonction des revenus des ménages. Le tableau ci‑dessous présente le seuil minimal de revenus pour accéder au crédit en fonction du montant de l’aide et du montant total à financer.

Le remboursement du prêt serait différé au terme d’une période de 10 ans durant laquelle seraient seulement dus, les intérêts et l’assurance du crédit.

 

Le remboursement du prêt in fine s’opérerait de la façon suivante :

L’apport octroyé grâce au prêt in fine serait remboursé :

– Soit par anticipation avant le terme des 10 ans, si les emprunteurs en font la demande (indemnité de remboursement limitée à trois mois d’intérêts).

– Soit au terme des 10 ans, grâce à la constitution d’une épargne ou d’un nouvel apport personnel des ménages.

– Soit par le remboursement de mensualités au terme des 10 ans et sur une période à négocier avec la banque. Il pourra faire l’objet d’une nouvelle négociation si les taux d’intérêt sont plus favorables. On peut considérer qu’après 10 ans, les revenus du ménage sont supérieurs à ceux initialement pris en compte lors du montage financier ce qui leur permet de rembourser de nouvelles mensualités pour ce prêt.

– Soit, la situation financière du ménage ne lui permet pas d’effectuer un remboursement du prêt sous les formes précédentes, le bien est revendu pour rembourser le prêt. Le ménage aura remboursé 40 % du prix du bien, la vente du bien dans cette hypothèse procurerait tout de même un enrichissement du ménage.

La vente du bien ne pourrait intervenir avant le terme fixé pour le prêt in fine, sauf pour causes légitimes (mutation, divorce, séparation). Les emprunteurs sont tenus de s’acquitter de l’assurance et des intérêts durant la période du terme du prêt.

L’impact budgétaire pour l’État :

L’État vient en garantie du prêt. On peut estimer que l’État viendra en garantie de 25 % de la production de crédit immobilier, soit 20 milliards d’euros par an. Le coût du risque généralement est compris entre 0,3 % et 0,5 % de la production par an, on peut estimer que le risque serait au maximum entre 30 et 100 millions d’euros par génération de production. C’est un taux théorique qui dépend de la conjoncture économique. L’hypothèse envisagée est haute, la réalité sera probablement moitié moindre.

À titre de comparaison d’un prêt garanti par l’État, il y a le prêt garanti par l’État (PGE), en faveur des entreprises impactées par la crise de la covid : le bénéficie de ce financement a permis à une large majorité des entreprises de préserver leur situation financière, de limiter le problème de liquidités et donc les défaillances des entreprises.

Sur les finances publiques, le coût du PGE est modéré pour l’État. La dernière estimation réalisée en janvier 2022 par la Banque de France et direction générale du Trésor, prévoit un taux de perte brut de 3,1 %, soit 4,6 milliards d’euros de pertes, pour un encours final prévu de 150 milliards d’euros. Ces pertes brutes sont compensées par des gains, liés au paiement des commissions sur la garantie octroyée par l’État. Selon les prévisions, ces gains s’élèvent à 3,2 milliards d’euros, soit une perte nette de 1,4 milliards d’euros pour 150 milliards d’euros d’encours final. Les données communiquées par Bpifrance montrent que les volumes d’appels en garantie sont jusqu’à présent faibles, à 312 millions d’euros à fin 2021.

En ce qui concerne le crédit immobilier, le coût du risque est plutôt de l’ordre de 0,10 à 0,20 %, au maximum 0,50 % dans le cas des ménages les plus à risque. Ce mécanisme n’augmentera pas les déficits car l’État n’accorde qu’une garantie et ne décaisse rien. Ce sont les banques qui portent le prêt.

Le prêt in fine produira un impact positif sur le marché de l’immobilier et de la construction, bien au‑delà du coût réel de la mesure pour l’État.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le chapitre III du titre Ier du livre III du code de la consommation est complété par une section 10 ainsi rédigée :

« Section 10

« Prêt in fine garanti par l’État

« Art. L. 313-65.  La garantie de l’État peut être accordée au prêt in fine consenti par un établissement de crédit ou une société de financement à une personne physique, sous condition de ressources, lorsqu’elle acquiert sa résidence principale en accession à la première propriété ou lorsqu’elle acquiert en première propriété les droits réels immobiliers de sa résidence principale dans le cadre d’un bail réel solidaire.

« Pendant les dix premières années de remboursement du prêt garanti, seuls les intérêts et les frais d’assurance sont dus par l’emprunteur, aux taux négociés à la conclusion du contrat de prêt. Au terme des dix premières années du remboursement, les taux peuvent faire l’objet d’une renégociation. Au même terme, l’emprunteur rembourse le capital, par un paiement unique ou par des mensualités, qui peuvent s’échelonner sur une durée de quinze ans.

«  Le montant du prêt garanti ne peut dépasser 35 % du coût de l’acquisition, frais de transaction compris, dans la limite de 200 000 euros. Le seuil de ressources applicable pour l’accès à la garantie est établi selon un système dégressif fixé par arrêté des ministres chargés du logement et de l’économie.

« L’emprunteur peut demander à procéder au remboursement anticipé du capital. Les modalités du remboursement anticipé sont fixées par avenant au contrat de prêt. L’indemnité de remboursement est limitée à trois mois d’intérêts.

« La durée totale du prêt garanti ne peut dépasser vingt-cinq années.

« Aucun frais de dossier ou frais d’expertise ne peut être perçu sur ce prêt garanti.

« Pour une même opération d’accession, il ne peut être accordé qu’un seul prêt garanti par l’État au sens du présent article. »

Article 2

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.