N° 1866

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 novembre 2023.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à reconnaître les peuples insulaires et éloignés des dits outre-mer dans la Constitution,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Marcellin NADEAU, M. Elie CALIFER, M. Jean-Victor CASTOR, M. Steve CHAILLOUX, M. Christian BAPTISTE, M. Tematai LE GAYIC, M. Jean-Philippe NILOR, M. Frédéric MAILLOT, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Jiovanny WILLIAM, M. André CHASSAIGNE, M. Pierre DHARRÉVILLE, Mme Elsa FAUCILLON, M. Sébastien JUMEL, M. Jean-Paul LECOQ, M. Stéphane PEU, M. Fabien ROUSSEL, M. Nicolas SANSU, M. Jean-Marc TELLIER, M. Hubert WULFRANC,

députées et députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’outre‑mer français est éclatée en 13 territoires répondant à quatre catégories juridiques différentes avec pour chacun un cadre institutionnel différent.

En premier lieu, cinq territoires constituent depuis la réforme constitutionnelle de 2003 les départements et régions d’outre‑mer (DROM), les départements et régions d’outre‑mer, régis par l’article 73 de la Constitution où s’appliquerait le principe dit d’identité législative : Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion et Mayotte désormais depuis 2013. Cinq DROM qui représentent une population totale de 2 180 647 habitants.

En deuxième lieu, cinq autres territoires depuis la réforme constitutionnelle de 2003 font partie des collectivités d’outre‑mer (COM), régis par l’article 74 de la Constitution où s’applique le principe dit de la spécialité législative : Saint- Barthélemy, Saint‑Martin, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, les îles Wallis‑et‑Futuna et la Polynésie française. Ces COM représentent une population totale de 341 330 habitants.

En troisième lieu, la Nouvelle‑Calédonie de 290000 habitants n’est pas classée dans la catégorie des collectivités territoriales par le Conseil d’État depuis un arrêt rendu le 13 décembre 2006, n° 279323. Elle fait l’objet d’un Titre XIII intitulé : Dispositions transitoires relatives à la NouvelleCalédonie. Elle est engagée dans un processus d’émancipation.

Enfin, en quatrième lieu, deux territoires inoccupés font l’objet d’un régime législatif et d’une organisation particulière et inédite : les Terres australes et antarctiques françaises et l’île de Clipperton.

Ces treize territoires ont tous des statuts différents à l’intérieur de leur propre catégorie juridique.

Il y a ainsi autant de statuts que de territoires d’outre‑mer et les notions d’identité législative ou de spécialité législative n’ont plus grand sens dans la mesure où des DROM relevant de l’article 73 de la Constitution peuvent être des COM, tandis les mêmes ou d’autres peuvent recourir à des adaptations.

De même, des collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution sont toujours classés comme des Régions ultrapériphériques d’outre‑mer où les lois nationales s’appliquent, tandis que d’autres sont des Pays et territoires d’outre‑mer au niveau européen.

Cette multiplicité de statuts au sein de la République dite « Une et indivisible » n’est pas anodine puisqu’elle touche quand même près de trois millions de citoyens, soit plus de 4,2 % de la population française.

Au surplus, et surtout, ces 13 territoires ultramarins représentent une zone économique exclusive totale de plus de 10 923 296 kilomètres carrés, quand l’hexagone ne représente à ce niveau que seulement 1 111 000 kilomètres carrés, soit 3 % de l’ensemble.

C’est donc grâce à l’apport de ces 13 territoires ultramarins que la France affiche une zone économique exclusive totale de plus de 11 025 760 kilomètres carrés, faisant d’elle la deuxième puissance maritime mondiale après les États‑Unis.

Ce qu’il est important de noter, c’est que depuis quelques années les articles 73 et 74 de la Constitution sont devenus des enjeux d’affrontement sociétaux dans certains DROM alors que la réalité est très évolutive.

En fait, l’opposition entre les deux modèles ne traduit pas la réalité de terrain.

L’article 73 pose comme postulat que tous les textes législatifs et règlementaires de l’Hexagone sont applicables de plein droit aux DROM, sauf dispositions expresses contraires. Le premier alinéa de l’article 73 prévoit des adaptations législatives et règlementaires pour tenir compte des « caractéristiques et contraintes particulières » de ces DROM.

La vérité est que chaque DROM comporte des mesures législatives et réglementaires dérogatoires au corpus juridique hexagonal.

L’article 74 de la Constitution pose le principe suivant lequel la collectivité d’outre‑mer est créée par une loi organique, le statut devant tenir compte des intérêts propres de chaque COM au sein de la République. Chaque COM dispose donc d’une marge de manœuvre théorique plus étendue qu’un DROM pour s’écarter totalement de la législation et de la réglementation hexagonales.

Cependant, le distinguo entre article 73 et article 74 relève de l’artifice juridique, puisque des collectivités de l’article 74 peuvent toujours appliquer l’identité législative et sont considérées d’ailleurs à ce titre comme des régions ultrapériphériques (RUP) appliquant le droit communautaire. Ainsi, la collectivité de Saint‑Martin relève de l’article 74 mais elle est en même temps une RUP française appliquant comme les 5 autres l’identité législative et le droit communautaire, sous les réserves des mesures spécifiques arrêtées par le Conseil en application de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

À l’inverse, nous pouvons trouver certains DROM qui peuvent disposer de compétences plus fortes que celles organisées pour une COM au statut très allégé et limité par ailleurs.

Le distinguo article 73 et 74 procède d’une approche intellectuelle juridique désuète et relevant de l’artificialité, déconnectée des véritables réalités ultramarines.

Il y a donc nécessité de dépasser ces modèles statutaires qui n’épousent pas les réalités atypiques de l’outre‑mer et de prendre en compte leur environnement, notamment sociologique et économique.

On pourrait se dire que la diversité de ces statuts dans la Constitution n’est que le fait des outre‑mer. Mais il n’en est rien. En effet, la Constitution présente d’autres schémas institutionnels divergents qui existent dans l’Hexagone.

C’est le cas avec les statuts spécifiques de Paris, Lyon, de la Corse, de l’Alsace‑Moselle… La question est donc permise de s’interroger sur la réalité en fait fédérative de la France, malgré l’affirmation de principes d’unicité. Certains constitutionnalistes ont même parlé de « fédération sui generis qui s’ignore ou ne veut pas dire son nom. En effet, trouver un lien commun entre par exemple les systèmes appliqués sur le territoire de Wallis et Futuna où existent des royautés (Le royaume d’Uvéa à Wallis et les royaumes d’Alo et de Sigave à Futuna), la collectivité territoriale de Corse, la métropole de Lyon et dans chaque DROM, relève en réalité de l’impossible », ([1])sauf à reconnaître cet aspect fédératif de fait.

Pourquoi donc ne pas en profiter pour reconnaître l’apport des peuples dits d’outre‑mer à la République et au peuple français ?

C’est possible en droit. Et cela a même été le cas dans les constitutions de 1946 puis de 1958 jusqu’à la réforme de 2003 qui a transformé la notion de peuples d’outremer par « populations ». Un renfermement identitaire qui met en lumière le renfermement social général de la société française depuis les années 2000.

Comment donc sortir de cet étau au mieux pour tous ? Une double voix est possible.

L’article 72‑3 de la Constitution, stipule que « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outremer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité.

La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint Barthélemy, SaintMartin, SaintPierre et Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l’article 73 pour les départements et les régions d’outremer, et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l’article 73, et par l’article 74 pour les autres collectivités.

Le statut de la NouvelleCalédonie est régi par le titre XIII.

La loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton. »

En ce sens, l’article 72 de la Constitution dispose donc, depuis la réforme de 2003, que l’appartenance à la République résulte de la Constitution, ce qui n’était pas le cas auparavant où elle résultait de la loi. Cette disposition concerne toutes les collectivités énumérées par l’article 72‑3 en distinguant d’une part, les collectivités régies par l’article 73 c’est‑à‑dire les départements ou régions de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, de la Réunion et de Mayotte, et d’autre part, « les autres collectivités » régies par l’article 74, c’est‑à‑dire Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, les Iles Wallis et Futuna, Saint‑Martin, Saint‑Barthélémy et la Polynésie française.

En revanche, échappent à cette énumération la Nouvelle‑Calédonie, les terres australes et antarctiques et l’île de Clipperton.

Les départements et régions d’outre‑mer régis par l’article 73 font pour leur part partie de la République depuis la loi du 19 mars 1946 qui avait érigé en départements français « les colonies de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion ». Et désormais Mayotte 101e département depuis avril 2011.

Les « autres collectivités » régies par l’article 74 ont été instituées par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 qui a substitué cette catégorie à celle des territoires d’outre‑mer que consacraient les textes antérieurs et les plaçaient aussi dans la République en tant que collectivités territoriales de la République. Cela concerne la Polynésie française, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, Saint‑Martin, Saint‑Barthélémy, et les îles Wallis et Futuna.

Le Conseil constitutionnel, dans une décision relative au Sénat (décision 25 novembre 2004) a rappelé que « la Polynésie française fait (aussi comme les DROM) partie intégrante de la République française ».

La loi constitutionnelle a ajouté dans cette nouvelle catégorie Mayotte (devenue département en 2011) et l’archipel des îles Saint‑Pierre‑et‑Miquelon. Ces deux collectivités étaient auparavant considérées comme régies par un statut particulier. Cependant la loi du 11 juin 1985 avait déjà fait de l’archipel de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon « une collectivité territoriale de la République conformément à l’article 72 de la Constitution ». Le Conseil constitutionnel avait constaté que cet archipel faisait partie intégrante de la République ([2]). Mayotte avait été déclarée « partie de la République française » par la loi du 22 décembre 1979, pour devenir finalement département donc ensuite. La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 a donc fait passer dans la Constitution ce qui était déjà présent dans les lois antérieures, apportant toutefois une complexité peu facile à appréhender.

Surtout si l’on y ajoute la Nouvelle‑Calédonie.

La situation de la Nouvelle‑Calédonie est en effet encore tout autre.

En tant que collectivité territoriale, la Nouvelle‑Calédonie fait partie de la République. Mais le titre XIII ajouté à la Constitution par la loi du 20 juillet 1998 fixant des dispositions transitoires relatives à la Nouvelle‑Calédonie ne classe malgré tout cette dernière dans aucune catégorie existante, la désignant seulement par son appellation géographique, elle n’est donc plus une collectivité territoriale de la République. Est‑elle encore française ? Oui, puisque dans la Constitution française ; mais non car l’article 72 de celle‑ci dispose que les populations intéressées de la Nouvelle‑Calédonie seront amenées à se prononcer sur l’accès à la pleine souveraineté. La Nouvelle‑Calédonie est donc un territoire français susceptible de devenir un État souverain. Mais l’article 3 de la loi organique du 19 mars 1999 (prise en application du titre XIII de la Constitution) affirme que « les provinces et les communes de la Nouvelle‑Calédonie sont des collectivités territoriales de la République ». Et le Conseil constitutionnel constate la même chose en considérant que ces collectivités sont régies par le titre XIII de la Constitution et qu’en conséquence on ne peut leur appliquer l’article 72 relatif au régime des collectivités d’outre‑mer régi par l’article 74 de la Constitution. Compliqué. Et ce d’autant plus que les Accords de Nouméa, eux, parlent explicitement des peuples autochtones.

Cette complexité constitutionnelle est encore plus flagrante si l’on s’attache à la situation des terres australes et antarctiques. Situation qui est plus qu’originale. D’après la loi du 6 août 1955, certaines îles formaient un territoire d’outre‑mer sous le nom de « terres australes et antarctiques françaises » et faisaient donc partie à ce titre de la République.

Mais en fait, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 ne les classe finalement ni dans les collectivités régies par l’article 73 ni dans celles régies par l’article 74.

Elles sont pourtant mentionnées dans le dernier alinéa de l’article 72‑3, et sont donc bien françaises. Mais cette qualité ne s’adresse qu’aux îles qui, au jour de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, faisaient partie du territoire des îles australes et antarctiques, c’est‑à‑dire les archipels Crozet et Kerguelen, ainsi que les îles Saint‑Paul et Amsterdam. D’autres terres australes et antarctiques ont été ensuite rattachées à cette dernière catégorie, mais par une simple loi, à savoir les îles Éparses, composées d’Europa, de Bassas da India, de Juan de Nova, de Tromelin et de l’archipel des Glorieuses. Pire même, c’est un simple décret du 1er avril 1960 qui a considéré, sans que le Parlement ni même la Constitution ne l’avalise souverainement, que ces îles relevaient de « la souveraineté de la France », administrées simplement par l’Administration au titre du dernier alinéa de l’article 72.

On pourrait s’amuser de toute cette diversité de statuts, où tantôt la Constitution est à l’œuvre, tantôt une loi organique, tantôt une simple loi, tantôt encore un simple décret, mais elle devient carrément originale avec l’île de Clipperton, dont la souveraineté française ne repose… sur rien ! Ou plutôt tout au plus sur une simple sentence arbitrale d’un pays étranger, en l’occurrence une sentence rendue par le roi d’Italie le 28 juin 1931. Mais en droit français, la souveraineté française sur Clipperton n’est consacrée ni par la Constitution ni par un acte législatif français ([3]).

Cet imbroglio a fait reconnaître à la ministre des outre‑mer elle‑même, Mme Annick GIRARDIN, qu’il y avait matière que : « Pour tous les territoires d’Outremer, nous avons une réflexion à mener. Je ne crois plus aux articles 73 et 74. (…) Il est temps peut être de passer à un seul article dans la réforme constitutionnelle qui parle des Outremer et qui renverrait à un texte spécifique, un statut qui précise les relations entre l’État et la Collectivité ». ([4])

Reconsidérer les articles 73 et 74 de la Constitution

L’État, aussi unitaire que peut l’être la République française, peut donc supporter la reconnaissance d’une diversité législative de type fédéral.

Le plus troublant est que cette dernière ne date pas des lois de décentralisation des années 1980.

Alors que l’indivisibilité du pouvoir se caractérise par la soumission de tous les citoyens aux mêmes lois, un droit d’Alsace‑Moselle subsiste depuis la loi du ler juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas‑Rhin, du Haut‑Rhin et de la Moselle qui conservaient un certain nombre d’éléments du droit allemand. Son article 7 dressait ainsi la liste des lois locales qui devaient continuer à être appliquées, et qui sont encore en vigueur dans les trois départements.

Dans sa décision n° 2011‑157 QPC du 5 août 2011, Société Somodia (interdiction du travail le dimanche en Alsace‑Moselle), le Conseil constitutionnel a d’ailleurs reconnu au maintien « des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du BasRhin, du HautRhin et de la Moselle » la valeur d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République ayant valeur constitutionnelle. Pour ce faire, il s’est fondé notamment sur cette loi du 1er juin 1924.

Dans le cas de ce « droit local », c’est le législateur français qui est à l’origine de cette diversité et qui l’organise, bénéficiant d’une reconnaissance constitutionnelle.

Dans d’autres cas, ce sont des parcelles du pouvoir législatif qui sont abandonnées à des autorités décentralisées, quand bien même il a fallu, à chaque fois, l’autorisation du constituant.

Le Gouvernement français est tellement conscient de cette diversité de statuts coexistant avec le principe d’une « République une et indivisible » qu’afin de surmonter une jurisprudence éventuellement contraire du Conseil constitutionnel (déc. 2001454 DC du 17 janvier 2002, Loi relative à la Corse, Rec., p. 70, cons. 19 et s.), il a, par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, complétée par celle du 23 juillet 2008, reconnu à l’alinéa 4 de l’article 72 la possibilité pour toute collectivité ainsi qu’à leurs groupements, de déroger aux lois et règlements nationaux par le biais d’une expérimentation législative encadrée par la loi organique no 2003‑704 du 1er août 2003 (codifiée aux articles LO.1113‑1 et s.). Les collectivités territoriales peuvent ainsi adopter des mesures qui dérogent à la loi et se substituent à elle.

Le bilan de cette expérimentation normative, qu’il faut distinguer d’une autre possibilité, reconnue à l’article 37‑1, elle aussi introduite en 2003, et consistant à pouvoir adopter des lois ayant un caractère expérimental, est cependant très faible, peu de lois ayant autorisées ces collectivités à déroger, tant la méfiance du législateur semble grande.

Ceci est valable pour toutes les collectivités françaises.

Pour les départements et régions d’outre‑mer, l’adaptation des normes législatives a été encore plus loin et élargie, alors même que l’article 73 de la Constitution, révisé le 28 mars 2003, dispose que « dans les départements et les régions d’outremer, les lois et règlements sont applicables de plein droit » (principe d’identité législative). Elle permet en effet à l’alinéa 1er aux outre‑mer qui sont pourtant sous le régime de l’identité législative de « faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

On peut se poser la question si ce n’est pas là déjà reconnaître leurs situations insulaires, éloignées et spécifiques tels que l’article 349 du traité européen le reconnaît déjà ?

Ce pouvoir d’adaptation aux caractéristiques locales n’est cependant pas possible pour les matières considérées comme régaliennes et qui ne peuvent être régies que par une loi nationale. La liste de ces compétences est fixée à l’alinéa 4 de l’article 73, et comprend les matières dont le constituant a estimé qu’elles ne pouvaient échapper à la loi nationale : parmi elles figurent notamment la nationalité, l’état‑civil, les libertés publiques, le droit pénal et la monnaie. Pour toutes ces matières, le principe de l’indivisibilité demeure donc.

Au sein des collectivités d’outre‑mer régies par l’article 74, qui ont remplacé les anciens territoires d’outre‑mer, cet article, est lui aussi profondément modifié en 2003, et prévoit que « Les collectivités d’outremer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République. Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l’assemblée délibérante, qui fixe : les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ».

Au principe d’assimilation législative, s’oppose alors celui de la spécialité législative qui signifie que les lois nationales ne s’appliquent dans ces collectivités que si le législateur le prévoit au cas par cas.

De manière encore plus significative, la loi constitutionnelle no 98‑610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle‑Calédonie (JO du 21 juillet 1998 p. 11143) a introduit, à l’article 77 de la Constitution, une nouvelle catégorie d’actes pris par l’assemblée délibérante de Nouvelle‑Calédonie et susceptibles d’être soumis avant publication au Conseil constitutionnel.

Ces actes ont été qualifiés de « lois du pays » par la loi organique n° 99- 209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle‑Calédonie. L’article 99 de cette loi, qui définit le régime de ces textes, prévoit que « Les lois du pays interviennent dans les matières suivantes correspondant aux compétences exercées par la NouvelleCalédonie ou à compter de la date de leur transfert par application de la présente loi » et il énumère douze compétences législatives transférées aux autorités locales.

Pour que cette atteinte au caractère indivisible du pouvoir législatif qui identifie un État unitaire soit possible, il a fallu rien de moins qu’une révision constitutionnelle qui a introduit ce que certains auteurs ont qualifié de « fédéralisme asymétrique ».

Ces lois du pays sont adoptées par le Congrès de la Nouvelle‑Calédonie et ne peuvent être contrôlées que par le seul Conseil constitutionnel, poussant ainsi l’assimilation des lois du pays aux lois nationales.

Ces lois constituent une atteinte à l’unité du pouvoir normatif, car il y a bien un pouvoir législatif propre. Il est vrai que la Nouvelle‑Calédonie connaît un régime constitutionnel provisoire, destiné à préparer son accession à la pleine souveraineté si les électeurs de cette collectivité en décident ainsi lors de référendums organisés entre 2014, 2019 et 2021. Ou peut‑être d’un prochain référendum.

Reconnaître les peuples dits d’outremer

C’est bien la notion de peuple d’abord qui est au cœur des débats et des aspirations. Elle constitue le « nœud gordien » des identités et des souverainetés possibles.

Le Constituant, une fois encore en 2003, a été conduit à reconnaître l’existence de « populations d’outremer » au sein du peuple français, qui sont un peu plus que des « populations » et bien des peuples aux caractéristiques propres, historiquement, socialement, culturellement et géographiquement de par leur insularité et éloignement.

Le Gouvernement a ainsi reconnu de facto ce fait et trouvé des adaptations pour lutter contre une conception de la notion de peuple pourtant affirmée dans la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel de 1991 et de 1999.

La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a en effet inséré un alinéa 1er à l’article 72‑3 qui proclame que « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outremer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». Cette distinction, floue, entre le peuple et les populations, va de pair avec une réaffirmation de l’unité du « peuple français » mais en même temps elle reconnaît de fait obligé une certaine diversité historique, géographique et culturelle des populations situées outre‑mer. Et l’Accord de Nouméa le précise encore plus qui fait explicitement référence au peuple et à sa culture et situation propres.

Cette limitation aux seules « populations d’outremer » est donc tout à la fois une fermeture évidente et une ouverture possible. En effet, en même temps qu’elle reconnait l’originalité de ces dernières, et leurs particularité historique et géographique, qui peuvent faire l’objet d’une évolution institutionnelle à son sens, elle a aussi fermé la porte à la reconnaissance de populations situées sur le territoire métropolitain. À l’exemple du refus du Conseil constitutionnel de reconnaître la notion de « peuple corse partie intégrante du peuple français » intervenu en mai 1991, qui distingue son cas de celui des outre‑mer.

Cette notion de « populations d’outremer » est effet définie à la fois géographiquement puisque celles‑ci sont dites « ultramarines », et juridiquement, car elles correspondent aux territoires qui sont définis par l’alinéa 2 de ce même article, complété par la loi constitutionnelle n° 2008‑724 du 23 juillet 2008, qui énumère les collectivités qui sont situées outre‑mer.

Ainsi, ces collectivités sont aussi bien les départements et régions d’outre‑mer et les collectivités uniques régies par l’article 73 que les collectivités d’outre- mer régies par l’article 74, (Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française, Saint‑Barthélemy et Saint‑Martin). À cette liste, il faut ajouter les populations de Nouvelle‑Calédonie (al. 3 de ce même art. 72‑3).

La Corse, elle, qui ne fait pas partie de cette liste, ne comprend donc pas de populations ultramarines ([5]).

La question de l’identification de ces populations dites d’outre‑mer reste posée. Il faut la résoudre et c’est l’objet de cette Proposition de loi constitutionnelle qui veut sortir enfin d’une certaine colonialité, mais par le haut et la responsabilité.

Quoi qu’il en soit, la diversité au sein de la République est donc devenue une réalité constitutionnelle qui est une des conséquences de l’organisation décentralisée de la République et qui peut donc conduire à une nouvelle conception des rapports entre l’unité et la diversité ([6]). Notamment pour les dits outre‑mer.

La notion constitutionnelle de l’insularité

Autre question fondamentale : dès lors qu’est‑ce qui identifie les outre‑mer ? L’article 349 du traité de Lisbonne sur le fonctionnement des institutions européennes l’indique clairement.

« Compte tenu de la situation économique et sociale structurelle de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Martinique, de la Réunion, de Saint‑Barthélemy, de Saint‑Martin, des Açores, de Madère et des îles Canaries, qui est aggravée par leur éloignement, l’insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis‑à‑vis d’un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement, le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l’application des traités à ces régions, y compris les politiques communes. Lorsque les mesures spécifiques en question sont adoptées par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, il statue également sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen. »

Les deux premiers critères cités sont essentiels : l’éloignement et l’insularité.

De fait, au Portugal, l’autonomie des Açores et de Madère résulte directement de leur caractère insulaire.

En vertu de l’article 225‑1 de la Constitution, portugaise « le régime politique et administratif propre aux archipels des Açores et de Madère est fondé sur les caractéristiques géographiques, économiques, sociales et culturelles de ces régions et sur les immémoriales aspirations à l’autonomie des populations insulaires ».

Et le même article de rappeler, en son paragraphe 3, que cette autonomie « ne porte pas atteinte à la souveraineté de l’État ». Ni donc à son indivisibilité.

Plus haut, dès son article 6 intitulé « État unitaire », le texte suprême portugais rappelle même que l’autonomie des îles se développe au sein d’un État unitaire mais qui « respecte, dans son organisation et son fonctionnement, le régime autonome des régions insulaires (…) ».

En conséquence, les deux archipels bénéficient d’une autonomie dans les matières qui ne sont pas réservées à l’État, et développées dans leurs statuts respectifs plusieurs fois modifiés ([7]).

Le second objet de cette Proposition de loi est donc de donner au concept d’insularité toute sa puissance juridique en droit français, qui n’existe pas à l’heure actuelle.

Pas tout à fait en fait. Le débat, lui, existe. On l’a vu avec la Corse. Mais même avec des petites îles « continentales » il a surgi.

En effet, il existe une vingtaine d’îles habitées en France métropolitaine qui sont reliées par voie maritime en un temps limité compte tenu de la faible distance à parcourir ([8]). Ainsi, l’île proche la plus lointaine, Hoëdic dans le Morbihan, est située à seulement 24 km de la Bretagne continentale. Les deux plus vastes, Belle‑Île‑en‑Mer, 86 km2, et l’Île d’Yeu, 23 km2, sont encore plus proches du continent.

Et bien que ces îles soient à une faible distance des côtes de la France métropolitaine, il a été impossible au Législateur de ne pas prendre en compte leur spécificité géographique par rapport au territoire continental. Elles sont en effet confrontées à « plusieurs enjeux cruciaux liés à leur condition insulaire : difficile maintien des services essentiels à la population, fragilisation de leur équilibre démographique avec une montée en puissance de l’habitat secondaire, rareté du foncier ou encore risques liés à l’insularité hydrique et énergétique », sans oublier la nécessité de préserver la continuité territoriale ([9]).

Leur caractère insulaire a donc posé des questions spécifiques en termes de scolarité, de logement, d’alimentation en eau potable, d’assainissement, d’approvisionnement énergétique ou même d’organisation institutionnelle. Ces questions d’organisation territoriale n’ont pu être totalement ignorées par le législateur. Par exemple, les îles mono‑communales ont été exemptées de l’obligation d’être rattachées à une intercommunalité. Quant aux établissements publics de coopération intercommunale insulaires, ils peuvent, en dérogation du principe général exigé par la loi de 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), ne pas être soumis au seuil démographique minimum de droit commun qui est de 15 000 habitants, comme c’est le cas de Belle‑île‑en‑mer.

De même, les communes sur des îles proches non reliées au continent par une infrastructure routière reçoivent, depuis la loi de finances pour 2017, une dotation communale d’insularité qui a pour but de compenser les charges induites par leur situation géographique. La répartition entre les communes de ladite dotation s’effectue au prorata de leur population ([10]).

Le rapport précité du Sénat s’est même demandé « si la situation particulière des îles métropolitaines n’exigerait pas de reconnaître un principe général d’adaptation législative dans différents domaines ».

Il cite notamment l’exemple du logement, domaine dans lequel les îles font face à la fois à l’augmentation du nombre des résidences secondaires et à une non adéquation des critères d’accession au logement social qui ne prennent pas en compte le surcoût de la vie sur place.

Le rapport du Sénat insiste également sur l’urbanisme et considère nécessaire d’y adapter les normes des réglementations nationales. La notion d’espaces proches du rivage, la nouvelle définition des hameaux ouvrant droit à une extension de l’urbanisation en continuité et l’interdiction de construire sur la bande littorale de cent mètres sont jugées très restrictives et parfois peu adaptées pour des îles à la superficie limitée et ne comportant pratiquement pas d’arrière‑pays.

Cette situation adaptée à des îles proches s’applique également à d’autres États européens et se traduit par des particularités institutionnelles.

Par exemple, en Finlande, les îles d’Åland, dans la mer Baltique, bénéficient d’un statut d’autonomie gouvernementale ([11]).

En Italie, la touche de fédéralisme décidée par la constitution républicaine de 1946 au profit de quatre régions périphériques, concerne notamment la Sicile, l’île la plus vaste de Méditerranée, séparée de la péninsule par le détroit de Messine, large d’un peu plus de 3 kilomètres, et la Sardaigne, il est vrai plus éloignée, à 190 km au sud‑ouest de la punta Torre Ciana située au sud de la Toscane, mais également vaste, puisqu’au deuxième rang en Méditerranée. L’instauration du statut de « région autonome » avait notamment pour objectif d’écarter le risque de séparatisme dans deux régions « historiques » ([12])et dans deux régions insulaires, sachant que la Sicile se trouvait en 1946 en situation pré‑insurrectionnelle. Le texte constitutionnel italien donne à ces régions autonomes des pouvoirs législatifs et une autonomie budgétaire importante leur permettant parfois de conserver une part significative des impôts perçus sur leur territoire.

En droit français comme européen, la situation spécifique des îles permet des adaptations voire des autonomies législatives et/ou constitutionnelles.

Qui plus est donc pour les outre‑mer, éloignés et quasiment tous insulaires.

En effet, intégrer le fait insulaire dans la Constitution française serait un moyen intelligent et innovant de dépasser la question des « populations d’outremer » en ouvrant la porte du chemin constitutionnel offert par le Constituant de 2003 et le Conseil constitutionnel dans sa décision relative à la Proposition de loi constitutionnelle relative à la Corse.

Ce dernier projet de loi constitutionnelle prévoyait d’insérer un article sur la Corse qui indiquait que « les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité ainsi qu’à ses caractéristiques géographiques, économiques ou sociales » ([13]).

On pourrait penser que, pour la première fois, à l’instar des constitutions espagnole (pour les Canaries), portugaise (pour Madère et les Açores), ou danoise (Féroés), le Gouvernement français prenait en compte enfin le fait insulaire d’un point de vue institutionnel. Une insularité qui aurait ainsi fait son entrée dans la Constitution, mais ce ne fut pas le cas.

Toutefois, il y a bien eu une première pour la France, et elle date de la réforme relative à Wallis‑et‑Futuna, territoire d’outre‑mer. Double première donc !

En effet, le mot « île » pour désigner celles de Wallis et Futuna a bien été explicitement mentionné initiant un droit dérogatoire de l’outre‑mer, né de facto, et de jure, avant tout justifié par les besoins des « populationspeuples » de ces îles. Ce droit nouveau créé ici s’appuie sur les « caractéristiques et contraintes particulières » ou « intérêts propres », engendrées par l’insularité que connaissent la quasi‑totalité des territoires ultra‑marins.

Les choses évoluent donc, mais reste toujours la même question qui est nôtre : l’insularité peut‑elle faire à brève échéance l’objet d’un droit constitutionnel ? De fait, il existe donc.

Dès lors comment définir constitutionnellement des îles ou l’insularité ?

La multitude des statuts constitutionnels des îles d’outre‑mer, contenus dans les constitutions et lois constitutionnelles ou organiques, est déjà une réponse en soi et dessine un aperçu d’un droit possible. En ce sens, oui, l’insularité peut être objet de droit constitutionnel.

Si géographiquement, l’île est une terre entourée d’eau, juridiquement, l’insularité est porteuse de contraintes spécifiques.

Elles semblent aller de soi, comme si le handicap économique, mais aussi l’identité culturelle, découlaient de cet isolement. Une fois mentionnées les spécificités, les textes suprêmes en tirent généralement les conséquences.

Pour lutter contre les effets négatifs, parfois handicapants de l’insularité, ou dans une logique de reconnaissance d’une identité propre, les constituants européens ont offert à ces îles des moyens juridiques leur permettant de compenser les effets négatifs, ou du moins les gérer au plus près d’eux.

Ces moyens juridiques découlent, pour la plupart des îles européennes, de l’autonomie législative qui leur est accordée, dans des supports et degrés souvent très variables ([14]).

En France, pays théoriquement centralisé, jacobin, l’outre‑mer dispose déjà d’une autonomie législative avec la Nouvelle‑Calédonie, et des adaptations ou expérimentations sont possibles aux iles et territoires outre‑mer, même si la constitution ne fait pas mention de l’insularité de la majorité de l’outre‑mer comme facteur principal de spécificité.

De même pour la Polynésie française, la loi organique qui la régit se contente de définir le champ d’application de la loi… en nommant les îles qui composent la Polynésie, ([15])vant d’en détailler le statut.

Mais le fait insulaire, en revanche, est bel et bien explicitement présent dans les Accords de Nouméa, ([16]) et notamment dans son préambule, dont les termes et le sens sont particulièrement illustrants : « La Grande Terre et les îles étaient habitées par des hommes et des femmes qui ont été dénommés kanak (…). L’identité kanake était fondée sur un lien particulier à la terre. Chaque individu, chaque clan se définissait par un rapport spécifique avec une vallée, une colline, la mer, une embouchure de rivière, et gardait la mémoire de l’accueil d’autres familles. Les noms que la tradition donnait à chaque élément du paysage, les tabous marquant certains d’entre eux, les chemins coutumiers structuraient l’espace et les échanges »  ([17]).

La spécificité de l’autonomie de certaines régions découle donc, même dans la loi fondamentale française, du caractère insulaire ou de l’éloignement, qui entraînent des conséquences juridiques, tout en préservant le caractère indivisible de la République.

L’exemple des îles européennes

Un chemin d’émancipation existe donc pour des peuples d’outre‑mer insulaires et éloignés. Même si ce fut refusé par le Conseil constitutionnel pour la Corse ([18]).

D’autant que cette suspicion de l’incompatibilité entre autonomie des territoires et caractère indivisible, voire unitaire, d’une République ne résiste in fine pas à l’épreuve des exemples internationaux et Européens notamment.

L’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Finlande, le Danemark, pour ne citer que les pays les plus voisins accordent un certain degré d’autonomie à toutes ou certaines parties de leur territoire tout en les maintenant dans leur République.

Les îles bénéficient d’un certain degré d’autonomie notamment en raison de cette caractéristique insulaire. Au Portugal, en Finlande et au Danemark, seules les îles sont autonomes, précisément du fait de leur insularité.

Le statut constitutionnel des îles est si varié qu’il est complexe d’en dresser une typologie ([19]).

Un certain nombre de variables sont utilisés pour vérifier et mesurer chacune de ces logiques, les indicateurs tels que l’éloignement géographique ou la domination politique étant plus significatifs de ceux partisans, culturels ou financiers.

Le prisme de la nécessité d’en passer par une réforme institutionnelle conduisent les signataires de cette Proposition de loi constitutionnelle, non à réfuter les diverses classifications existantes, mais à en privilégier une. Celle de la subsidiarité.

En effet, la fonction de faire la loi, expression suprême de la souveraineté de la nation, doit rester une émanation directe de la volonté du peuple. Ce qui nécessite pour toute évolution son accord pour accorder aux territoires le pouvoir de « prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon », pour reprendre les termes de la Constitution de la Vème République française, ([20]) est le critère minimum précédant à la décongestion du pouvoir central.

En France, les collectivités territoriales n’ont pas de pouvoir politique. Elles ne jouissent que de compétences transférées.

Même la Polynésie française ne dispose pas d’une vraie et complète autonomie, malgré l’intitulé de son statut. Les lois de pays qu’elle peut adopter sont au plus le signe d’une certaine souplesse normative mais demeurent des actes administratifs.

Une autonomie législative est néanmoins offerte à la Nouvelle‑Calédonie, avec l’existence même des « lois du pays », susceptibles de faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité de la part du Conseil constitutionnel. L’article 22 de la loi organique énumère ainsi les compétences de ce territoire, et l’article 99 précise celles relevant d’une loi du pays, les autres pouvant faire l’objet d’une simple délibération du Congrès.

L’autonomie pourrait ainsi résulter de la reconnaissance du fait insulaire et de la subsidiarité qui doit en découler.

Subsidiarité et non différenciation.

Car seule la subsidiarité, bien définie en droit depuis sa consécration par l’article 5 instituant du traité sur le fonctionnement des institutions de l’Union européenne (traité de Lisbonne), en 2007, peut au niveau constitutionnel permettre de prendre en compte les réalités de chaque outre‑mer dans leur bassin de vie, dans leurs composantes notamment géographique, sociologique, historique.

La démarche novatrice en l’espèce consisterait de manière concrète à transformer a minima le premier alinéa de l’article 72‑3 de la Constitution pour l’outre‑mer : « La République reconnait, au sein du peuple français, les populations d’outremer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité », qui pourrait devenir après réforme : « La République reconnait, au sein du peuple français, les peuples insulaires et éloignées d’outremer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité »  ([21]).

Ce serait un bel exemple d’ « écologie décoloniale » pacifiée, raisonnable et responsable. Ce n’est pas là de l’ordre de l’utopie. Mais cela participerait bien d’une « utopie refondatrice » à l’œuvre du Pacte républicain existant entre la République et les outre‑mer, et cela rejoindrait le précédant de l’article 1er de la loi n° 2017‑256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre‑mer, voté par le Législateur et ratifié par le Conseil constitutionnel, et portant autres dispositions en matière sociale et économique qui dispose dans ses trois premiers alinéas :

« La République reconnait aux populations des outremer le droit à l’égalité réelle au sein du peuple français.

La République leur reconnait le droit d’adopter un modèle propre de développement durable pour parvenir à l’égalité dans le respect de l’unité nationale.

Cet objectif d’égalité réelle constitue une priorité de la Nation. »

L’objet de la présente proposition de loi constitutionnelle est donc de reconnaitre la place des peuples insulaires et éloignés au sein de la République et de permettre d’organiser leurs compétences et pouvoirs subsidiaires conformément à leur situation particulière. Il est aussi d’intégrer le concept d’insularité dans la Constitution française à l’instar d’autres pays européens.

Dans cette perspective, l’article 1er et unique de la proposition de loi constitutionnelle modifie le premier alinéa de l’article 72‑3 de la Constitution en substituant aux mots « populations d’outre‑mer » les mots « les peuples des territoires français éloignés ou insulaires des océans indien, pacifique et atlantique ».

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Au premier alinéa de l’article 72‑3 de la Constitution, les mots : « populations d’outre‑mer » sont remplacés par les mots : « peuples des territoires français éloignés ou insulaires des océans Indien, Pacifique et Atlantique ».

 


([1])  Patrick Lingibé, « Par‑delà l’article 73 et l’article 74 de la Constitution : pour la reconnaissance d’un droit différencié », Portail internet du droit de l’Outre‑mer, DROM‑COM, 21.12.2019

([2])  Décision du Conseil Consitutionnel 435 DC du 7 décembre 2000.

([3])  François LUCHAIRE, « La France d’outre‑mer et la République », Revue française d’administration publique, n° 123, 2007, Institut national du service public pp. 399‑408.

([4])  Propos d’Annick GIRARDIN, Ministre des outre‑mer, prononcés le 27 novembre 2019, sur RadioPeyi (radio guyanaise).

([5])  Michel VERPEAUX, « Le Conseil constitutionnel et les collectivités territoriales », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 42, janvier 2014.

([6])  Michel VERPEAUX, « Le Conseil constitutionnel et les collectivités territoriales », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 42, janvier 2014..

([7])  Wanda Mastor, « L’insularité saisie par le droit constitutionnel », Mélanges en hommage à Dominique Rousseau, Lextenso, 2020, pp. 457‑471.

([8])  Archipel de Chausey, Île de Bréhat, Île de Batz, Île d’Ouessant, Île de Molène, Île de Sein, Île de Groix, Île d’Arz, Île aux Moines, Belle‑Ile‑en‑Mer, Île de Houat, Île d’Hoëdic, Île d’Yeu, Île d’Aix, Porquerolles, Port‑Cros, Levant, Îles du Frioul, Îles de Lérins…

([9])  Rapport d’information fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur la situation des îles métropolitaines et leurs besoins en matière de différenciation territoriale, Jean‑Marie Bockel, Sénat, n° 626, 10 juillet 2020.

([10])  Gérard‑François DUMONT, « La Corse et l’indivisibilité de la République française », Les analyses de Polpulations et Avenir, 2018/12, n° 2, p. 1‑23.

([11])  Dumont, Gérard‑François, « Les régions d’Europe : une extrême diversité institutionnelle », Diploweb.com, La revue géopolitique, 11 janvier 2014.

([12])  Le Val d’Aoste et le Trentin Haut‑Adige (Sud Tyrol) ; cf. Dumont, Gérard‑François, Démographie politique, Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007.

([13])  Amendement n° 328 adopté le 4 juillet 2018,

http ://www.assemblee‑nationale.fr/15/amendements/0911/AN/328.asp

([14])  Wanda Mastor, « L’insularité saisie par le droit constitutionnel », Mélanges en hommage à Dominique Rousseau, Lextenso, 2020, pp. 457‑471.

([15])  Article premier : « La Polynésie française comprend les îles du Vent, les îles Sous‑le‑Vent, les îles Tuamotu, les îles Gambier, les îles Marquises et les îles Australes, ainsi que les espaces maritimes adjacents ».

([16])  Accord sur la Nouvelle‑Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998, JORF n° 121 du 27 mai 1998, p. 8039.

([17])  Wanda Mastor, « L’insularité saisie par le droit constitutionnel », Mélanges en hommage à Dominique Rousseau, Lextenso, 2020, pp. 457‑471.

([18])  Wanda Mastor, “Pour un statut constitutionnel de la Corse », Rapport à l’Assemblée de Corse, https ://www.isula.corsica/assemblea

([19])  André Fazi, « Insularity and Autonomy : From a misleading equation to a New Typology », in A. G. Gagnon, M. Keating (dir.), Autonomy : Imagining Democratic Alternatives in Complex Settings, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2012, pp. 134‑154.

([20])  Article 72 alinéa 2.

([21])  Chantal MillionDelsol, » Le principe de subsidiarité », Presses Universitaires de France, Coll. Que saisje ?, Paris, 1993 et » L’État subsidiaire », Presses Universitaires de France, Paris, 1992.

Eric Doligé, Rapport d’information sur la situation des départements d’Outremer, Sénat, Paris 7 Juillet 2009, p.75.