N° 1887

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 novembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à étendre la qualification d’homicide aux violences ou négligences ayant causé le décès in utero d’un fœtus viable,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Fabien DI FILIPPO, M. Thibault BAZIN, Mme Émilie BONNIVARD, M. Jean-Yves BONY, M. Xavier BRETON, M. Hubert BRIGAND, M. Dino CINIERI, M. Pierre CORDIER, Mme Josiane CORNELOUP, M. Vincent DESCOEUR, M. Julien DIVE, M. Francis DUBOIS, Mme Justine GRUET, M. Meyer HABIB, M. Michel HERBILLON, M. Patrick HETZEL, M. Olivier MARLEIX, M. Maxime MINOT, M. Alexandre PORTIER, M. Nicolas RAY, M. Pierre VATIN, M. Stéphane VIRY,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La question du statut du fœtus se caractérise en droit français par la volonté délibérée du législateur de ne pas définir ce statut. Cette abstention n’a pas été remise en cause par la dernière révision des lois bioéthiques du 2 août 2021.

Ainsi, en matière pénale, c’est le fait de « naître vivant et viable » qui conditionne l’attribution de la personnalité juridique à l’enfant. L’embryon et le fœtus ne sont quant à eux pas considérés comme des personnes juridiques, mais comme des « personnes en devenir » : les atteintes à leur vie ne peuvent donc en aucun cas être considérées comme des homicides.

Ainsi, dans un arrêt en date du 30 juin 1999 (n° 97‑82.351), la Cour de cassation a refusé d’assimiler l’atteinte au fœtus à « la mort d’autrui » visée par l’article 221‑6 du code pénal relatif à l’infraction d’homicide involontaire. Elle a réaffirmé sa position dans un arrêt rendu en assemblée plénière le 29 juin 2001 (n° 99‑85.973), alors qu’une femme enceinte de six mois avait été victime d’un accident de voiture occasionné par un conducteur sous l’empire d’un état alcoolique. À cette occasion, l’assemblée plénière a affirmé que « le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221‑6 du code pénal, réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendu au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus ». Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, soit un enfant n’est pas né vivant et la qualification d’homicide involontaire sur sa personne ne saurait être retenue, y compris si sa mort est le résultat des fautes perpétrées par le prévenu, soit il est né vivant, et les poursuites sont possibles, même si l’enfant est mort quelques minutes après sa naissance des atteintes qu’il a subies in utero.

En 2002, la question de l’homicide du fœtus a été reposée à la Cour de cassation dans le cadre d’une faute médicale. La patiente, sur le point d’accoucher, avait signalé une anomalie du rythme cardiaque de l’enfant à la sage‑femme qui avait refusé d’appeler le médecin. Le fœtus décéda quelques heures avant sa naissance d’un arrêt cardiaque. La cour d’appel de Versailles déclara la sage‑femme et le médecin coupables d’homicide involontaire au motif que l’enfant « disposait d’une humanité distincte de celle de sa mère ». La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 juin 2002 (n° 00‑81.359), sanctionna ce raisonnement et maintint sa position : « le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination d’homicide involontaire s’applique à l’enfant qui n’est pas né vivant ». Enfin, dans un arrêt du 4 mai 2004 (n° 03‑86.175), la chambre criminelle de la Cour de cassation a de nouveau rappelé que « l’enfant n’étant pas né vivant, les faits ne sont susceptibles d’aucune qualification pénale ».

Certaines familles confrontées à une situation dans laquelle des actes d’une particulière gravité ont provoqué la mort de leur enfant à naître, considéré comme viable à ce stade de la grossesse, déplorent ainsi que justice n’ait été rendue ni à elles, ni à leur bébé né sans vie.

Actuellement en France, pour le législateur, les enfants pesant au moins 500 grammes ou nés après vingt-deux semaines d’aménorrhée ont atteint la limite légale de viabilité. Cette notion de viabilité a été précisée par la circulaire n° 50 du 22 juillet 1993 relative à la déclaration des nouveau‑nés décédés à l’état civil, conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.

L’enfant viable se définit comme « celui qui a la capacité naturelle de vivre. »

La présente proposition de loi vise à modifier l’état actuel du droit, en demandant que la personnalité juridique ne débute plus à la naissance de l’enfant, à condition qu’il soit né vivant et viable, mais qu’elle soit uniquement liée au critère de viabilité. Une telle disposition permettra une véritable reconnaissance pénale du fœtus.

Aujourd’hui, un enfant naissant à 5 mois et demi de grossesse ou après pourra bénéficier de soins de la part du personnel médical afin de pouvoir poursuivre son existence, et une atteinte à sa vie pourra être qualifiée d’homicide : en revanche, l’enfant ayant atteint le même stade d’évolution ou un stade plus avancé et mourant dans le ventre de sa mère des suites d’un acte engageant fortement la responsabilité d’un tiers ne sera pas considéré comme victime d’un homicide. Ainsi, deux êtres humains décédés alors qu’ils avaient atteint le même stade de développement ne recevront pas la même reconnaissance d’un point de vue juridique, selon qu’ils ont perdu la vie dans le ventre ou en dehors du ventre de leur mère.

C’est la réalité de l’enfant d’un point de vue biologique, scientifique, qui est niée.

Un enfant considéré comme viable recevra à sa naissance les soins nécessaires à sa survie, tandis qu’un enfant considéré comme non viable n’en bénéficiera pas. Ce traitement différencié entre enfants viables et non viables au moment de l’accouchement doit se retrouver aussi sur le plan pénal. La condition pour acquérir une personnalité juridique doit être liée à la condition de viabilité, car lorsqu’une personne ôte la vie à un fœtus viable, c’est la vie d’un être humain ayant la capacité naturelle de vivre qui est atteinte : cet être humain qui était en capacité de mener son existence et dont la vie a été retirée doit pouvoir obtenir justice, et la personne qui a commis cet acte doit en assumer les conséquences.

Le 28 juillet 2023, en raison d’une collision avec un conducteur qui roulait à contre‑sens, un jeune couple a perdu son bébé alors qu’il se rendait à la maternité en vue de l’accouchement. Le père de la petite née sans vie, ayant découvert que le décès de sa fille, qui était pourtant en parfaite santé et prête à naître, ne pourrait pas être reconnu sur le plan pénal, a déclaré : « On ne peut pas dire que Jade n’est rien parce qu’elle n’a pas respiré une bouffée d’air. Ce n’est pas valable. »

C’est l’atteinte à la vie de leur fille qui est niée, une atteinte bien réelle à la vie d’un bébé arrivé au terme de la grossesse, qu’ils auraient dû avoir près d’eux et qui leur a été arraché. Pourtant, la justice ne reconnaît absolument pas la perte tragique de cet enfant, puisqu’elle ne reconnaît même pas son existence.

Cette proposition de loi vise donc à étendre la qualification d’homicide aux actes qui entraînent la fin du développement d’un être humain ayant la capacité naturelle de vivre, c’estàdire ayant atteint le seuil de viabilité de vingt-deux semaines d’aménorrhées ou de 500 grammes défini par l’OMS. À partir de ce stade, il convient de protéger le fœtus comme une personne, de le considérer comme un enfant qui a perdu la vie et ses parents comme des personnes ayant perdu un enfant. Cette reconnaissance pénale serait tout simplement fondée sur le constat d’une réalité scientifique.

Il est important de souligner que ce seuil de viabilité est par ailleurs déjà pris en compte par la loi française, puisque les allocations versées par la Caisse d’allocations familiales (CAF) en cas de décès d’un enfant sont dues en cas de décès intervenant à partir de la vingtième semaine de grossesse.

Notre proposition de loi exclut en revanche explicitement les interruptions volontaires de grossesse à motif thérapeutique de cette notion d’homicide.

De plus, en précisant que les accusations d’homicide involontaire ne peuvent porter que sur des actes ayant causé la mort du fœtus d’autrui, il protège les femmes enceintes qui pourraient perdre leur enfant en cours de grossesse et voir s’ajouter à leur souffrance une accusation d’homicide.

Cette proposition de loi vise avant tout à rendre justice à des parents ayant perdu leur enfant à naître en faisant reconnaître le préjudice qu’ils ont subi, de sanctionner la ou les personnes responsables à la hauteur des dommages qui ont été causés, et de refuser qu’un être humain viable soit considéré comme sans existence sous prétexte qu’il n’a pas respiré à l’air libre.

Qu’il s’agisse d’un conducteur automobile ayant pris le volant sous l’emprise d’alcool et de stupéfiants ou pratiqué des excès de vitesse et causé un accident impliquant une femme enceinte, d’une personne ayant exercé des violences physiques sur une femme enceinte, ou encore d’un membre du personnel médical ayant commis une faute lourde ayant conduit à un décès in utero, il est essentiel que la qualification des actes commis et les peines qui s’appliquent prennent en compte non seulement les atteintes portées à l’intégrité voire à la vie de la femme, mais aussi à la vie humaine qui a été stoppée, alors qu’elle était celle d’un enfant en capacité de naître et de vivre en dehors du ventre maternel.

Concernant les fautes d’ordre médical qui conduisent à un décès in utero, parfois le jour même du terme de la grossesse, des mises en examen de membres du personnel médical pour homicide involontaire et non‑assistance à personne en péril ont eu lieu à plusieurs reprises, mais elles se sont toujours soldées par des non‑lieux, le juge d’instruction ayant considéré que l’infraction d’homicide ne peut s’appliquer au fœtus, et que l’on ne peut considérer la mort d’un fœtus comme la « mort d’un patient ».

L’article L. 1142‑1 du code de la santé publique dispose que « les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. »

La responsabilité civile ou pénale du médecin peut donc être engagée en cas de faute, une faute étant considérée comme « tout acte, émanant du soignant, ayant entraîné un dommage anormal au regard de l’évolution prévisible de l’état de santé du patient. »

En matière pénale, les agissements fautifs des professionnels de santé dans l’exercice de leurs fonctions et ayant entraîné des séquelles ou le décès du patient, sont poursuivies à travers les infractions de blessures involontaires et d’homicide involontaire prévue par les articles 222‑19, 222‑20 et 221‑6 du code pénal.

Ces agissements fautifs relèvent d’un manquement à une obligation légale, telle que la nécessité d’avoir recours à un médecin pour les accouchements les plus difficiles.

Pour le moment, en tout état de cause, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une telle faute n’est punissable que si l’enfant naît vivant, y compris si son décès est en relation directe et exclusive avec le manquement constaté.

Les modifications du code pénal portées par cette proposition de loi permettront qu’un décès in utero survenu sur un enfant viable, alors même parfois que le terme est atteint, des suites de fautes médicales caractérisées, commises de manière consciente par un ou plusieurs membres du personnel médical, puisse donner lieu à la qualification d’homicide involontaire.

Il s’agit là d’une mesure de justice et de bon sens pour les parents ayant perdu un enfant viable et pour l’enfant qui n’a pas pu voir le jour alors qu’il avait la capacité naturelle de vivre.

L’article 1 de cette proposition de loi complète donc l’article 221‑6 du code pénal afin d’étendre la notion d’homicide involontaire au fait de causer la mort du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint les seuils de viabilité définis par l’Organisation mondiale de la santé.

L’article 2 précise que celle notion d’homicide involontaire s’applique également dans le cadre de ce qui sera bientôt qualifié d’« homicide routier ».

L’article 3 punit de la réclusion criminelle les violences ayant entraîné, sans que cela soit intentionnel, la fin du développement du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint les seuils de viabilité définis par l’OMS.

L’article 4 précise que la qualification d’homicide involontaire peut aussi s’appliquer pour les fautes médicales ayant entraîné la fin du développement d’un fœtus viable.

L’article 5 exclut les interruptions volontaires de grossesse de toute possibilité de qualification d’homicide volontaire, et étend la notion d’homicide volontaire au fait de causer volontairement la fin du développement d’un fœtus viable.

 


proposition de loi

Article 1er

L’article 221‑6 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le fait de mettre fin, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121‑3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, au développement du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint vingt‑deux semaines d’aménorrhée ou le poids de 500 grammes, conformément aux seuils de viabilité définis par l’Organisation mondiale de la santé, constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».

Article 2

L’article 221‑6‑1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité prévu par l’article 221‑6 est commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, l’homicide involontaire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Cette peine s’applique également si le conducteur a mis fin au développement du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint vingt‑deux semaines d’aménorrhée ou le poids de 500 grammes, conformément aux seuils de viabilité définis par l’Organisation mondiale de la santé. »

Article 3

L’article 222‑7 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 2227.  Sans préjudice de l’application des textes relatifs aux interruptions volontaires de grossesse pratiquées pour motif thérapeutique, telles que décrites à l’article L. 2213‑1 du code de la santé publique, les violences ayant entraîné la mort d’autrui ou la fin du au développement du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint vingt‑deux semaines d’aménorrhée ou le poids de 500 grammes, conformément aux seuils de viabilité définis par l’Organisation mondiale de la santé, sans intention de les provoquer, sont punies de quinze ans de réclusion criminelle ».

Article 4

Après le premier alinéa du I de l’article L. 1142‑1 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. Cela vaut également si ces conséquences concernent des fœtus ayant atteint ou dépassé le seuil légal de viabilité établi à 500 grammes ou vingt‑deux semaines d’aménorrhées par l’Organisation mondiale de la santé. En cas de décès du fœtus, la qualification d’homicide involontaire peut s’appliquer. »

Article 5

L’article 221‑1 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 2211.  Sans préjudice de l’application des textes relatifs aux interruptions volontaires de grossesse pratiquées pour motif thérapeutique, telles que décrites à l’article L. 2213‑1 du code de la santé publique, le fait de donner volontairement la mort à autrui ou de causer volontairement la fin du développement du fœtus d’autrui lorsque celui‑ci a atteint vingt‑deux semaines d’aménorrhées ou le poids de 500 grammes, conformément aux seuils de viabilité définis par l’Organisation mondiale de la santé, constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle. »