N° 1889

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 novembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre la discontinuité territoriale et à réaliser un véritable service public de la mobilité en outre-mer,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Sabrina SEBAIHI, M. Elie CALIFER, M. Steve CHAILLOUX, M. Johnny HAJJAR, Mme Emeline K/BIDI, M. Tematai LE GAYIC, Mme Karine LEBON, M. Frédéric MAILLOT, M. Marcellin NADEAU, M. Jean-Hugues RATENON, M. Olivier SERVA, M. Jiovanny WILLIAM, Mme Estelle YOUSSOUFFA, M. Aurélien TACHÉ, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Rodrigo ARENAS, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Lisa BELLUCO, M. Mickaël BOULOUX, Mme Sophia CHIKIROU, M. Éric COQUEREL, Mme Karen ERODI, M. Charles FOURNIER, M. Andy KERBRAT, Mme Julie LAERNOES, M. Benjamin LUCAS, Mme Francesca PASQUINI, Mme Christine PIRES BEAUNE, Mme Marie POCHON, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Sandra REGOL, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le principe d’égalité est un fondement de la République française. Nos politiques publiques doivent garantir l’effectivité de cette égalité entre les citoyens quel que soit leur territoire d’origine ou de vie.

Or, bien que la République reconnaisse aux ultra marins le droit à l’égalité réelle au sein du peuple français (art.1er Titre IER de la LOI n° 2017‑256 du 28 février 2017), les rapports et les indicateurs démontrant l’aggravation des écarts entre l’hexagone et les outre‑mer se succèdent. Ces inégalités concernent notamment la santé, le logement, le coût de la vie ou encore les transports.

Les liens historiques avec l’hexagone n’ont cessé de se renforcer au fil des années rendant les déplacements nécessaires pour des raisons éducatives, professionnelles, familiales, de santé, de loisirs, ou autre. Concernant l’éducation, nombre de formations ne sont pas disponibles en outre‑mer, contraignant les jeunes à s’expatrier de leurs territoires.

Les défaillances en matière de santé publique en outre‑mer sont bien connues et documentées. Le pilotage national n’a pas permis d’enrayer cette inégalité de santé tant en matière d’offre qu’en termes d’organisation territoriale. Ainsi, de nombreux concitoyens ultramarins sont contraints de se faire soigner, à leur frais, sur le territoire hexagonal. Les relations commerciales des outre‑mer se concentrent essentiellement avec l’hexagone, dans une proportion très importante : 75 % des importations et plus de 80 % des exportations ultramarines sont échangées avec la France hexagonale. Plus d’un million d’ultramarins vivent en France hexagonale sous l’impulsion, notamment, de la politique mise en place jusqu’en 1981 du BUMIDOM. Nombre d’entre eux se retrouvent alors isolés de leur famille ou de leur communauté, étant répartis sur l’ensemble du territoire hexagonal.

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Le développement économique des outre‑mer ainsi que le lien humain et social de ses enfants ne peut donc pas se concevoir sans une fluidité et une facilité des déplacements de ses acteurs.

Au vu de leur répartition géographique, les Outremer sont très majoritairement accessibles en avion. Ce n’est pas un luxe que de prendre l’avion pour aller voir sa famille, retrouver ses proches ou bien assister à un événement d’ampleur. Or, le prix du transport aérien est en constante augmentation depuis des années. Plus de 1 000 € pour un Paris –Pointe à Pitre la plupart du temps, ou encore plus de 1 500 € pour un Paris – Papeete. Les prix se sont ainsi envolés de plus de 40 % sur les dernières années. Il en est de même pour les déplacements d’outre‑mer à outre‑mer, avec des vols Guyane – Antilles à près de 1 300 € pour… Deux heures de trajet. A titre de comparaison, un Paris – Nice est bien souvent à moins de 200 € avec Air France, qui est la même compagnie opérant l’ensemble de ces vols en outre‑mer.

Le principe de continuité territoriale a pourtant été instauré en janvier 1976 dans d’autres territoires hors hexagone, comme en Corse, afin de réduire les contraintes de l’insularité. Pour assurer l’application de ce principe de continuité territoriale, la Collectivité de Corse a alors disposé d’un corpus législatif et réglementaire fondé sur la nécessité d’atténuer les contraintes liées à l’insularité, mais aussi de faciliter le développement économique de l’aménagement équilibré du territoire insulaire et, enfin, d’assurer le développement des échanges économiques et humains entre l’île et la France hexagonale.

L’application de ce principe a donné lieu à deux dispositifs :

– Sur le plan des mobilités, la Collectivité peut imposer des obligations de service public qui ont pour objet, dans le cadre adapté à chaque mode de transport, de fournir des services passagers ou fret suffisants en termes de continuité, régularité, fréquence, qualité et prix. Ces obligations de service public (OSP) se traduisent par des délégations de service public (DSP) conclus avec des opérateurs pour des liaisons aériennes et maritimes entre la Corse et le continent.

– Sur le plan de l’accès à ces mobilités, la collectivité territoriale de Corse (CTC) peut mettre en place un dispositif d’aides à caractère social financé également par l’État et par l’Europe. Ainsi, au titre des dispositifs, la Corse bénéficie de mécanismes de régulation profitables sur les liaisons aériennes et maritimes. Sur le plan économique et l’aménagement équilibré du territoire de la Corse, la CTC a pu disposer d’un plan exceptionnel d’investissement de rattrapage et de convergence sur plusieurs années, financé à 70 % par l’État, dans le cadre de conventions pluri annuelles conclues avec l’État.

L’application du principe de continuité territoriale de Corse relève donc de deux dimensions, celle de l’accès à la mobilité et celle de l’égalité territoriale. Ces deux notions visent à faire converger la Corse avec les standards économiques et humains des régions hexagonales, et à garantir l’unité nationale.

Les collectivités ultra marines qui cochent toutes cases pour l’application de cette doctrine (insularité, éloignement, enclavement sévère, développement économique dégradé, disparités territoriales) sont écartées aujourd’hui de l’application de ce principe. Ce principe est même dévoyé dans les outre‑mer, puisque qu’il se résout à une simple dotation dite « de continuité territoriale » alors qu’en l’espèce, il s’agit d’une simple aide à la mobilité au sens du droit européen. Cela ne s’apparente pas à un mécanisme de régulation, créatrices de valeurs d’égalité, mais se défini comme un mécanisme de compensation tarifaire sans contrepartie de la part les opérateurs aériens.

Pour les territoires ultramarins le modèle proposé est celui d’un dispositif d’accès à la mobilité géré par l’Agence de l’outre‑mer pour la mobilité (LADOM), dans le cadre d’un fonds qualifié abusivement de continuité territoriale. Ce dispositif actuel demeure largement inefficace, malgré les 6 millions d’euros d’augmentation annoncés en mars 2023. Cette subvention individuelle qui s’élevait de 270 à 846 euros sur les déplacements entre les territoires ultramarins de résidence et l’hexagone est soumise à conditions de ressources dont seuls les plus modestes ayant des revenus annuels inférieurs 11 991 euros (soit moins d’un smic) peuvent prétendre (14 108 euros pour Wallis et Futuna, la Polynésie et la Nouvelle Calédonie) et n’est mobilisable que tous les 3 ans.

La continuité territoriale doit être similaire pour l’ensemble des territoires français hors de l’hexagone, en prenant exemple sur la doctrine corse dans le respect des principes constitutionnelles d’égalité et d’unité nationale. Elle doit être un impératif national, visant à garantir à l’ensemble des populations ultramarines leur déplacement, dans des conditions raisonnables d’accès, à des services passagers ou fret suffisants en termes de continuité, régularité, fréquence, qualité de service et prix, le cas échéant, de capacité.

 


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proposition de loi

Article 1er

La section 1 du chapitre III du titre préliminaire du livre VIIII de la première partie du code des transports est ainsi modifiée :

1° Le second alinéa de l’article L. 1803‑1 est ainsi rédigé :

« Elle tend à faciliter les déplacements et l’accès aux services de transports aériens des ressortissants ultramarins de et vers la métropole, entre territoires ultra‑marins, à l’intérieur de ces territoires du fait de l’insularité, du caractère archipélagique, de leur enclavement, de l’étendue du territoire ou de l’éloignement de ces territoires de la métropole, sous certaines conditions, en tenant compte de la situation géographique, économique et sociale particulière de chaque collectivité territoriale d’outre‑mer. Peuvent en bénéficier, dans des conditions prévues par la loi, des personnes résidant en France métropolitaine. »

2° Le dernier alinéa de l’’article L. 1803‑2 est ainsi rédigé :

« Le fonds de continuité territoriale finance des aides et des mesures destinées à faciliter le retour des résidents ultramarins dans leur collectivité d’origine dans les cinq ans suivant l’accomplissement d’une période de formation en mobilité. Pour la mise en œuvre de ce fonds, l’État peut imposer des obligations de service public qui ont pour objet, dans le cadre adapté au mode de transport aérien, de fournir des services passagers suffisants en termes de continuité de régularité, de fréquence, de qualité et de prix. Ces obligations de service public se traduisent par des délégations de service public conclues avec des opérateurs pour des liaisons aériennes désignées. »

3° L’article L. 1803‑3 est ainsi rédigé :

« Art. L. 18033. – Les résidents des collectivités mentionnées à l’article L. 1803‑2, pour les déplacements prévus à L. 1803‑1, et les personnes mentionnées à l’article L. 1803‑2, bénéficient des aides financières par le fonds de continuité territoriale, dans le cadre d’un dispositif d’aides à caractère social (DCS) fixé par arrêté conjoint du ministre chargé du budget et du ministre chargé des outre‑mer. Ce dispositif doit garantir à chaque bénéficiaire un reste à charge maximum de 30 % du montant du billet d’avion.

« Dans un souci de protection de l’environnement et de non‑aggravation de la pollution, l’accessibilité à ce dispositif d’aide à caractère social est limitée à trois trajets au cours de la même année. »

4° L’article L. 1803‑4 est ainsi modifié :

a) À la fin du premier alinéa, les mots : « entre leur collectivité de résidence et le territoire métropolitain est appelée « aide à la continuité territoriale » » sont remplacés par les mots : « et pour les déplacements mentionnés à l’article L. 1803.1 et les personnes mentionnées à l’article L. 1803.2, est appelée « aide à la mobilité » » ;

b) Le second alinéa est supprimé.

5° Le dernier paragraphe de l’article L. 1803‑5 est ainsi modifié :

a) Les mots : « Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et de Saint‑Barthélemy » sont remplacés par les mots : « ces territoires » ;

b) Les mots : « et que » sont remplacés par le mot : « , dont ».

Article 2

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.