N° 1922

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 novembre 2023.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

visant à redonner aux parlementaires l’ancrage d’un exécutif local,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Karl OLIVE, M. Damien ABAD, M. Xavier ALBERTINI, M. Xavier BATUT, M. Thierry BENOIT, M. Benoît BORDAT, M. Guy BRICOUT, M. Hubert BRIGAND, M. Yannick CHENEVARD, M. Jean-Pierre CUBERTAFON, M. Romain DAUBIÉ, M. Francis DUBOIS, M. Pierre-Henri DUMONT, M. Philippe FAIT, M. Luc LAMIRAULT, Mme Virginie LANLO, M. Tematai LE GAYIC, M. Vincent LEDOUX, M. Didier LEMAIRE, Mme Lise MAGNIER, M. Didier MARTIN, M. Nicolas METZDORF, M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER, M. Nicolas PACQUOT, M. Richard RAMOS, M. Davy RIMANE, M. Lionel ROYER-PERREAUT, M. Mikaele SEO, Mme Michèle TABAROT, M. Stéphane TRAVERT, M. David VALENCE, M. Frédéric VALLETOUX, M. Lionel VUIBERT, Mme Estelle YOUSSOUFFA,

députées et députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi organique n°  2014‑125 encadre le cumul des mandats depuis le 14 février 2014. Elle interdit notamment le cumul d’un mandat parlementaire avec celui d’un exécutif local. Si les objectifs de cette interdiction voulue par une précédente législature étaient louables (dégager du temps au parlementaire pour l’exercice de son mandat, assurer le bon fonctionnement de la représentation nationale, permettre l’émergence de nouvelles personnalités politiques, etc.), cette loi n’a pas apporté les résultats espérés pour répondre à la crise démocratique. Au contraire, elle a été, à bien des égards, contre‑productive. En effet, la suppression du cumul des mandats a contribué à l’éloignement de l’élu national vis‑à‑vis du citoyen. Les reproches contre les élus, en particulier les parlementaires se sont depuis accentués, franchissant parfois un seuil inégalé d’agressivité. La déconnexion est palpable sur l’ensemble du territoire. Le mandat de parlementaire est déconsidéré par les citoyens comme par les élus locaux : de nombreux députés – maires, sénateurs – maires ou suppléants - maires ont préféré renoncer au mandat parlementaire pour se consacrer à leur ville quand le choix était devenu inéluctable.

Les élections municipales, les élections départementales en province et encore plus en zone rurale, montrent un attachement important des Français envers les élus qu’ils désignent à ces occasions.

Il nous faut relier ces deux derniers constats, et montrer que la présence de parlementaires maires ou parlementaires vices – présidents d’un département ou d’une région est l’un des moyens, pas le seul, qui peut répondre à cette fracture. Ce moyen, c’est l’expérience du terrain et c’est le lien.

L’expérience de terrain ne peut que nourrir les réflexions des parlementaires sur leurs travaux législatifs, cette expérience pourrait s’appeler l’expertise d’usage.

De la même façon, les liens tissés par les élus locaux et territoriaux ne peuvent que permettre une diffusion de l’information optimisée par le meilleur média qui soit : la proximité. Cette proximité se double d’une véritable relation avec la presse quotidienne régionale, terrain où les maires excellent, terrain où se crée l’opinion.

Nombre de maires devenus députés en 2012, 2017*, 2022*

Législature

Maires devenus députés

XIV - 2012

250

XV  2017*

133

XVI  2022*

42

*ont démissionné depuis en appliquant la loi

Si la fracture démocratique qu’éprouve notre pays est ancienne, la crise des Gilets jaunes a démontré, lors de l’automne – hiver 2018/ 2019, que la distance était trop grande entre les élus nationaux et le quotidien vécu des Français. Les parlementaires, toutes tendances confondues, n’ont ainsi ni anticipé, ni vu la colère qui montait et l’incompréhension qui grondait envers notre système politique.

M. Emmanuel Macron : « Quand ils étaient députés ou sénateurs, les maires relayaient au niveau national les choses et réciproquement, il y avait un vaetvient. »

Face aux revendications multiples et protéiformes des manifestants, les réponses du Gouvernement furent fortes, en premier lieu sur le pouvoir d’achat. Mais, face aux aspirations politiques de ces manifestants, des volontés des Français d’être écoutés, d’être entendus, la solution est venue du terrain. Le Président de la République Emmanuel Macron lança en janvier 2019 le Grand Débat National, après avoir sondé des maires en premier lieu.

À l’époque, période durant laquelle il avait été reproché aux élus d’être coupés du territoire, le Président de la République avait déjà évoqué l’idée de revenir sur le non cumul des mandats.

En décembre 2021 encore, en déplacement dans le Cher, Monsieur Emmanuel Macron expliquait : « La situation n’est plus la même qu’en 2014 et ce ne serait pas absurde de revenir sur cette loi, car c’est difficile pour les maires après de relayer au niveau national et les députés ont envie d’avoir des responsabilités exécutives. Aujourd’hui l’action de l’État est portée par les préfets. Ils réunissent les maires, mais ceux‑ci ont le sentiment d’être moins acteurs, il faut veiller à les associer beaucoup plus ».

Ces maires sont des chefs d’équipes municipales qui intègrent la diversité politique et citoyenne. Les majorités locales sont généralement plus larges que les frontières partisanes. Les maires sont des fantassins de la – République, en prise directe avec les administrés et la réalité du quotidien.

En juin 2022, lors de la dernière séquence électorale législative, plus d’un Français sur deux ne s’est pas déplacé aux urnes (taux abstention au deuxième tour : 53,77 %).

Nos compatriotes sonnent l’alarme en « boycottant » de plus en plus les urnes. Il nous revient d’entendre l’appel des électeurs qui considèrent trop souvent que la politique ne les concernerait plus parce que ceux qui l’exercent ne représenteraient qu’eux‑mêmes.

Le président du Sénat, Monsieur Gérard Larcher, confirmait ce vœu en fin d’année 2021.

M. Gérard LARCHER : « En tant qu’ancien maire, je considère que l’expérience au service du local est extrêmement utile dans l’exercice de fonctions parlementaires. »

Cette proposition de loi a la volonté de redonner le sens de l’action concrète au Parlement par la valorisation de ce qui fonctionne sur le terrain, la nécessité d’avoir des élus pragmatiques, qui portent les combats de nos concitoyens, sans idéologie, ni militantisme, qui légifèrent sur ce qui est nécessaire et redonnent de la liberté là où l’initiative locale peut faire école. Il s’agit bien là d’un cumul d’expériences, et non d’un cumul d’indemnités ! Le cumul d’expériences nourrit la démocratie.

Si la loi du 14 février 2014 permet aux parlementaires de siéger dans les assemblées délibératives (en tant que conseiller municipal, départemental ou régional), la responsabilité opérationnelle dans un exécutif local ne pourrait qu’être profitable à l’exercice du mandat parlementaire et, au‑delà, à la qualité du débat parlementaire.

Fort du même constat, plusieurs initiatives parlementaires ont été prises depuis 2017 par des parlementaires conscients de remettre un souffle de terrain au cœur du travail législatif. Ainsi, la proposition de loi relative à l’implantation locale des parlementaires du sénateur Hervé Marseille a été déposée et débattue au Sénat et à l’Assemblée nationale en 2021. Cette proposition loi instaurait un seuil de 10 000 habitants maximum pour pouvoir cumuler ces deux mandats. D’autres prises de position, comme m ; François Rebsamen, maire de Dijon, ancien ministre et ancien sénateur, ont été publiées ces derniers mois. Monsieur Rebsamen proposait quant à lui un retour au cumul des mandats pour les maires des grandes villes.

Aussi, pour répondre aux demandes de terrain et aux différentes prises de position sur les différents bancs politiques, cette proposition de loi propose dans son article unique de revenir sur le cumul des mandats en portant l’autorisation des mandats parlementaires avec des mandats locaux limités. Elle autorise ainsi les maires sans seuil, les présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), mais également les adjoints au maire, les vice‑présidents des départements et des régions à cumuler leur fonction avec un mandat parlementaire.

Par cette proposition de loi, nous souhaitons apporter aux deux Chambres et au Parlement européen des expertises de terrain, un ancrage plus fort, un cumul d’expériences issues de l’exercice de responsabilités locales, pour être en résonance plus directe des réalités vécues de nos concitoyens. Elle permettra de donner un nouveau souffle de proximité aux futures séquences électorales et à notre démocratie.

 

 


proposition de loi ORGANIQUE

Article unique

Les deuxième à quatorzième alinéas de l’article LO 141‑1 du code électoral sont remplacés par dix alinéas ainsi rédigés :

« 1° Les fonctions de président de conseil départemental ;

« 2° Les fonctions de président de conseil régional ;

« 3° Les fonctions de président du conseil exécutif de Corse et de président de l’Assemblée de Corse ;

« 4° Les fonctions de président de l’assemblée de Guyane ou de l’assemblée de Martinique ; de président du conseil exécutif de Martinique ;

 « 5° Les fonctions de président du gouvernement de la Nouvelle‑Calédonie ; de président du congrès de la Nouvelle‑Calédonie ; de président d’une assemblée de province de la Nouvelle‑Calédonie ;

« 6° Les fonctions de président de la Polynésie française ; de président de l’assemblée de la Polynésie française ;

« 7° Les fonctions de président de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;

« 8° Les fonctions de président du conseil territorial de Saint‑Barthélemy, de Saint‑Martin, de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon ;

« 9° Les fonctions de président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;

« 10° Les fonctions de président de l’Assemblée des Français de l’étranger. »