N° 1937

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 novembre 2023.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à supprimer la Cour de Justice de la République,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Julien BAYOU, M. Jérémie IORDANOFF, M. Bertrand PANCHER, M. Aymeric CARON, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe NAILLET, Mme Christine PIRES BEAUNE, Mme Christine ARRIGHI, Mme Francesca PASQUINI, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Eva SAS, Mme Karine LEBON, M. Stéphane PEU, M. Charles DE COURSON, M. Paul MOLAC,

députés et députées.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Cour de Justice de la République a été créée par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 aux articles 68‑1 et 68‑2 de notre Constitution. À ce titre, les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions ‑ et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis ‑ devant la Cour de Justice de la République. 

La composition et le fonctionnement de cette juridiction d’exception ont été fixés par la loi organique du 23 novembre 1993. En particulier, la Cour est composée de trois magistrats professionnels du siège à la Cour de cassation ainsi que de douze parlementaires (six élus par l’Assemblée nationale et six élus par le Sénat). L’ouverture de la procédure aux particuliers est plus que partielle : la constitution de partie civile étant exclue devant la Cour. 

Les législateurs de 1993 ont souhaité concrétiser le principe de séparation des pouvoirs tel que consacré par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ». Cette révision constitutionnelle qui se voulait conforme à l’équilibre des pouvoirs, dans la mesure où les magistrats judiciaires ne seraient pas en mesure de juger les membres de l’exécutif, n’a pas réussi à atteindre son objectif et cette cour semble désormais obsolète et anachronique.

La composition même de la Cour est une incursion directe du pouvoir législatif, puisqu’elle est composée de douze parlementaires, au sein de l’autorité judiciaire et entache la légitimité des décisions rendues. 

Nul ne remet en cause la probité des parlementaires juges qui décident en leur âme et conscience à partir des faits qui leur sont présentés. Le problème est structurel et intrinsèque à cette composition hybride entre des magistrats et des parlementaires jugeant un membre du Gouvernement.

Qu’il soit condamné ou relaxé, la décision est inévitablement jugée « politique » car majoritairement rendue par des hommes et des femmes politiques. Est‑il condamné que déjà dans l’opinion publique bruisse l’idée que l’opposition a obtenu, en justice, une revanche sur le résultat des urnes, instrumentalisant la justice pour des calculs politiciens. Est‑il relaxé qu’aussitôt prospère le refrain du jugement par des pairs, nécessairement moins sévères, qui font mine de se combattre dans l’hémicycle mais se soutiennent entre eux, dans le huis‑clos des délibérés du tribunal.

L’adage « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » est mortifère pour notre démocratie et le principe d’égalité entre les citoyens et devant la loi. Sa progression dans l’opinion doit être chaque jour combattue.

Au‑delà de la composition de la Cour, de nombreux éléments procéduraux tendent à affaiblir encore le principe de séparation des pouvoir. Les magistrats du Parquet sont autant sous l’autorité hiérarchique du ministère de la justice que soumis à une possible sanction disciplinaire. Le procureur général près la Cour de cassation, qui porte l’accusation contre les ministres accusés pour défendre l’intérêt général, est en outre nommé par le chef de l’État après un avis consultatif du Conseil supérieur de la magistrature. L’immixtion du pouvoir exécutif au sein du pouvoir judiciaire est caractérisée et problématique.

C’est pour ces motifs que nous proposons de supprimer la Cour de justice de la République afin que les ministres soient jugés par une juridiction de droit commun.

L’article unique de la proposition de loi constitutionnelle propose une réécriture des articles 68‑1 à 68‑3 de la Constitution dans un nouvel article 68‑1. Cette réécriture a été préalablement déposée par le Premier ministre, au nom du Président de la République, dans un projet de loi constitutionnelle intitulée « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » le 9 mai 2018 avant d’être retirée en 2019. Elle est également alignée avec les conclusions du Rapport du comité des États généraux de la justice, qui se sont tenus d’octobre 2021 à 2022, appelant à la suppression de la Cour de justice de la République et à un alignement sur le droit commun les règles de procédure et de compétence applicables aux membres du Gouvernement, sous réserve de l’institution d’un dispositif de filtrage. 

Le premier alinéa de l’article 681 dispose que les membres du Gouvernement sont responsables dans les conditions du droit commun pour les actes qui ne se rattachent pas directement à l’exercice de leurs fonctions, y compris lorsqu’ils ont été accomplis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. 

Le second et troisième alinéa de l’article 681 disposent que les membres du Gouvernement sont comptables des crimes et délits accomplis dans l’exercice de leurs fonctions devant la Cour d’appel de Paris, juridiction judiciaire de droit commun composée de magistrats professionnels.

Le quatrième alinéa de l’article 681 instaure une commission des requêtes, composée de trois magistrats de la Cour de cassation, de deux membres du Conseil d’État et de deux magistrats de la Cour des comptes, afin d’exercer un filtrage pour écarter les requêtes manifestement non fondées.

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

I. – L’article 68‑1 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) À la fin, les mots : « pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis » sont remplacés par les mots : « responsables, dans les conditions de droit commun, des actes qui ne se rattachent pas directement à l’exercice de leurs attributions, y compris lorsqu’ils ont été accomplis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ».

b) Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Ils sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Leur responsabilité ne peut être mise en cause à raison de leur inaction que si le choix de ne pas agir leur est directement et personnellement imputable. »

2° Les deuxième et troisième alinéas sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés : « 

« Ils sont poursuivis et jugés devant les formations compétentes, composées de magistrats professionnels, de la cour d’appel de Paris.

« Le ministère public, la juridiction d’instruction ou toute personne qui se prétend lésée par un acte mentionné au deuxième alinéa saisit une commission des requêtes comprenant trois magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l’un préside la commission, deux membres du Conseil d’État et deux magistrats de la Cour des comptes. La commission apprécie la suite à donner à la procédure et en ordonne soit le classement, soit la transmission au procureur général près la cour d’appel de Paris qui saisit alors la cour.

« La loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »

II. – Les articles 68‑2 et 68‑3 de la Constitution sont abrogés.