N° 1971

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 décembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre obligatoire la saisine du procureur en cas de mariage avec un ressortissant étranger en situation irrégulière,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Louis THIÉRIOT, M. Alexandre VINCENDET, Mme Véronique LOUWAGIE, M. Stéphane VIRY, M. Éric PAUGET, Mme Isabelle VALENTIN, M. Hubert BRIGAND, Mme Nathalie SERRE, Mme Annie GENEVARD, Mme Émilie BONNIVARD, Mme Emmanuelle ANTHOINE, M. Philippe JUVIN, Mme Virginie DUBY-MULLER, M. Thibault BAZIN,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le traitement du sujet de l’immigration se heurte à de nombreux problèmes constitutionnels.

Les tentatives législatives pour lutter contre les mariages frauduleux entre un français et un étranger en situation irrégulière dans l’unique but pour celui‑ci d’obtenir un titre de séjour en sont un exemple percutant.

L’article 63 du code civil dispose que « Lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer, le cas échéant au vu de l’audition ou des entretiens individuels mentionnés à l’article 63, que le mariage envisagé est susceptible d’être annulé au titre de l’article 146 ou de l’article 180, l’officier de l’état civil saisit sans délai le procureur de la République. Il en informe les intéressés. Le procureur de la République est tenu, dans les quinze jours de sa saisine, soit de laisser procéder au mariage, soit de faire opposition à celuici, soit de décider qu’il sera sursis à sa célébration, dans l’attente des résultats de l’enquête à laquelle il fait procéder. Il fait connaître sa décision motivée à l’officier de l’état civil, aux intéressés. La durée du sursis décidé par le procureur de la République ne peut excéder un mois renouvelable une fois par décision spécialement motivée. À l’expiration du sursis, le procureur de la République fait connaître par une décision motivée à l’officier de l’état civil s’il laisse procéder au mariage ou s’il s’oppose à sa célébration… ».

Il ressort de ces dispositions que le maire ou autre officier d’état civil devant célébrer le mariage n’est tenu de saisir le procureur de la République qu’en l’existence d’indices sérieux laissant présumer que le mariage pourrait être annulé en raison d’un défaut de consentement réel. Or, les entretiens individuels ou les auditions ne permettent pas nécessairement de mettre en évidence l’existence d’indices sérieux laissant présumer que le mariage est recherché uniquement dans un but autre l’union matrimoniale.

Cette appréciation succincte et subjective met à mal la capacité de l’État à lutter contre les mariages frauduleux contractés entre un français et un ressortissant étranger en situation irrégulière dont l’unique but est d’obtenir un titre de séjour.

La loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a tenté de remédier à cette difficulté en ajoutant à l’article 63 du code civil les dispositions suivantes : « Constitue un indice sérieux le fait, pour un ressortissant étranger, de ne pas justifier de la régularité de son séjour, lorsqu’il y a été invité par l’officier de l’état civil qui doit procéder au mariage. Ce dernier informe immédiatement le préfet ou, à Paris, le préfet de police, de cette situation ».

Cette disposition a cependant été censurée par le Conseil constitutionnel, au motif que « le respect de la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par luimême, au mariage de l’intéressé » et que « le législateur, en estimant que le fait pour un étranger de ne pouvoir justifier de la régularité de son séjour constituerait dans tous les cas un indice sérieux de l’absence de consentement, a porté atteinte au principe constitutionnel de la liberté du mariage » (Décision 2003‑483 DC).

Pour contourner cette difficulté dans l’attente d’une révision constitutionnelle globale, la présente proposition de loi ajoute l’obligation pour l’officier d’état civil devant célébrer un mariage entre un français et un ressortissant étranger en situation irrégulière de saisir le procureur de la République afin qu’une enquête soit diligentée sur la réalité du consentement.

Une telle rédaction qui ne présume pas l’absence de consentement à partir de la seule circonstance de l’irrégularité du séjour ne devrait pas contrevenir à la liberté de contracter mariage telle que protégée par le Conseil constitutionnel puisque dans cette hypothèse, l’obligation de saisine du procureur est une obligation purement objective dénuée de tout jugement de la part de l’officier d’état civil. L’irrégularité du séjour ne fait pas obstacle par lui‑même au mariage, elle est un fait objectif générateur d’une procédure de saisine du procureur, seul à même d’apprécier un faisceau d’indices sérieux laissant à penser que l’unique but du mariage est d’obtenir frauduleusement un titre de séjour et de diligenter une enquête le cas échéant.

Cette saisine objective a en outre le mérite de mettre les officiers d’état civil en situation de compétence liée ; ainsi l’officier d’état civil qui, ayant connaissance de l’objectif de fraude au titre de séjour ne saisirait pas le procureur pour des raisons idéologiques ou politiques commettrait une faute dans l’exercice de son mandat susceptible de sanction disciplinaire et pénale.

 


proposition de loi

Article unique

Le dixième alinéa de l’article 63 du code civil est complété par les mots : « , ou lorsque l’un des futurs époux est un ressortissant étranger ne justifiant pas de la régularité de son séjour sur le territoire ».