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N° 2026

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

portant définanciarisation de la dette publique,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Hadrien CLOUET, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Sébastien DELOGU, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mme Raquel GARRIDO, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, Mme Rachel KEKE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Tematai LE GAYIC, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. Stéphane PEU, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Sébastien ROME, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, M. Nicolas SANSU, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER,

députées et députés.

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Vendredi 1er décembre 2023, la société privée Standard & Poor’s a rendu son verdict concernant la note attribuée à la dette publique française : AA avec perspective négative, stable depuis 2011. Deux lettres qui ont provoqué des angoisses ministérielles et conduit la Première ministre à des promesses de « libéralisation » supplémentaire du marché du travail. Quelques minutes après la publication officielle, M.Bruno Le Maire s’engageait sur la voie de nouvelles réductions de dépenses publiques, afin de complaire à cette officine.

Mais que fait notre dette publique sur les marchés, au lieu de demeurer sous contrôle démocratique et populaire ? Elle participe d’un grand commerce du crédit d’État, aux deux sens du terme. Ce commerce a plus d’un siècle d’ancienneté, mais n’occupe la place prééminente qui lui est dévolue aujourd’hui que depuis quarante ans. Les agences de notation évaluent, par des méthodes et des diagnostics qui leur sont propres, la solvabilité et la crédibilité des émissions de dette de la majorité des États qui recourent à l’adjudication sur marché. Le marché de la notation est éminemment concentré, avec trois sociétés privées monopolistes, Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, qui partagent un même logiciel libéral d’analyse des politiques publiques. Plus libérale est la politique, plus élevée est la note, plus faibles sont les taux d’intérêt.

Voici en tout cas le scénario idéal. Car en réalité, même en maintenant une note élevée, les pays concernés peuvent connaître une montée des taux d’intérêt, en fonction des comportements grégaires et des esprits animaux qui animent les créanciers privés. Le président Macron n’a pas lésiné dans ses contre‑réformes libérales, censées rassurer les marchés. Mais ceux‑ci en demandent toujours plus, en témoigne l’explosion des taux d’intérêt depuis l’été 2017 : +4,4 points sur les obligations à un mois, +4,2 points sur les obligations à un an, +2,5 points sur les obligations à dix ans. La situation se détériore, d’où l’urgence de penser l’alternative pour un financement soutenable et pérenne des finances publiques.

Rien de cela n’est une fatalité. De 1948 à 1966, la dette publique française était levée hors-marché, via un circuit du Trésor qui impliquait un emprunt forcé permanent. Les établissements de crédit et bancaires avaient obligation de détenir un plancher de bons du Trésor. Ni offre, ni demande, ni enchère, ni négociation, ni agence de notation : une fraction de la dette publique est détenue de manière obligatoire, à un prix indiqué. Surtout, dans l’idée de lutter contre l’inflation, en « fléchant » une partie de leur portefeuille vers l’État, le dispositif retire des disponibilités aux banques et permet d’encadrer et guider leur allocation du crédit. Financement de l’État, contrôle du crédit et lutte contre l’inflation sont étroitement articulés. S’ils ne sont pas d’accord, les banquiers ont l’isoloir pour s’exprimer, comme tout le monde.

À partir de la Ve République, les hauts fonctionnaires sous influence anglo-saxonne deviennent majoritaires dans le ministère des Finances, à l’instigation des conseillers néolibéraux du gaullisme. Les réformes Debré‑Haberer obligent l’État à trouver des acheteurs pour sa dette, plutôt que de contraindre les banques à la détenir. Pour investir, au lieu de forcer les banques à prêter la réserve qu’on exige d’elles à un taux imposé, on cherche un riche financier disposé à prêter et on négocie le taux d’intérêt avec lui. Dit autrement : la classe des créanciers privés peut désormais refuser de prêter au Trésor public si elle ne soutient pas la politique appliquée. Et voici l’État obligé de « vivre comme un emprunteur, c’est‑à‑dire à se poser les questions de l’emprunteur sur le coût de l’emprunt et le service de la dette », pour citer l’intellectuel libéral à l’origine de cette transformation, Jean‑Yves Haberer. Le contribuable est devenu la variable d’ajustement de la politique publique, le service public est devenu une charge à liquider, puisqu’il fait désormais plaire à la finance pour qu’elle accepte de prêter.

La contrainte du marché sur nos politiques est donc choisie. L’État décide de se lier les mains, comme l’a prouvé le rapport n° 2723 du 22 avril 2015 du député Nicolas Sansu, au nom de la commission des Finances de l’Assemblée nationale. Ce rapport a montré que la dette française est le résultat de politiques publiques. Les taux d’intérêt exorbitants, supérieurs à la croissance, expliquent un tiers de la hausse de l’endettement public depuis 1990. Tandis que les cadeaux fiscaux rémunèrent les mêmes ménages riches, auxquels l’État démuni doit emprunter, expliquent les deux autres tiers. Dans ce cadre, la souscription d’obligations assimilables du Trésor (OAT) se mue en outil de pression sur les décisions publiques. Le gouvernement n’est plus à Matignon mais dans le comité d’administration des créanciers privés. Et quand la banque est libre, le citoyen ne l’est jamais tout à fait.

Le mur de l’argent : pour complaire aux créanciers privés de la dette et maintenir des taux bas…

– privatisation des autoroutes en 2005 ;

– suppressions de postes dans l’Éducation nationale en 2011 ;

– répression des Gilets jaunes en 2018 ;

– refus de reprendre la dette des hôpitaux en 2019 ;

– report de 2 ans de l’âge de départ à la retraite en 20230.

Cette logique est dangereuse et sans fin. La dette coûte trop cher ? C’est qu’on ne plaît pas assez à la finance et qu’il faut donc la couvrir de cadeaux. Les taux demeurent trop hauts ? C’est que la finance se méfie encore. On souhaite ouvrir des écoles ou des hôpitaux ? Aucune utilité aux yeux des financiers qui rehaussent leurs taux d’intérêt, parfois même supérieurs à la croissance du pays.

La mise en marché de la dette oblige à une coupe sauvage dans les dépenses sociales et écologiques pour attirer de nouveaux prêteurs internationaux et maintenir les taux des prêteurs actuels. La dette détermine le gouvernement d’un pays : qui décide de la répartition de l’argent disponible et de son investissement dans le futur, décide que tel projet est valable tandis qu’un autre devrait être retiré. Des créanciers privés, non contents de s’enrichir en dormant, voudraient en plus remplacer les élus du peuple et décider des politiques de la France en petits comités.

Cette proposition de loi ouvre la voie au retour de la souveraineté du peuple, par le peuple et pour le peuple. Mieux vaut faire défaut à la finance qu’à nos compatriotes.

 


proposition de loi

Article 1er

Au 1er janvier 2024, les établissements définis à l’article 2 sont tenus d’employer au moins 15 % de leurs fonds propres en obligations assimilables du Trésor.

Le pourcentage mentionné au premier alinéa du présent article peut être fixé à un niveau supérieur par décret du ministre chargé de l’économie et des finances.

Un décret fixe la liste, la périodicité et les modalités de transmission des documents justificatifs que les établissements concernés sont tenus de fournir.

Article 2

La présente loi est applicable :

1° Aux établissements de crédit agréés en qualité de banque ;

2° Aux établissements de crédit agréés en qualité de banque mutualiste ;

3° Aux établissements de crédit agréés en qualité de banque coopérative ;

4° Aux établissements de crédit agréés en qualité d’établissement de crédit spécialisé ;

5° Aux établissements de crédit agréés en qualité d’établissement de crédit et d’investissement ;

6° Aux établissements de crédit agréés en qualité de caisse de crédit municipal ;

7° Aux organismes de placement collectif et, le cas échéant aux sociétés de gestion auxquelles est déléguée la gestion de leurs portefeuilles ;

8° Aux entreprises d’assurance et aux entreprises de réassurance sur lesquelles l’État exerce son contrôle.