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N° 2033

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

relative à la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean TERLIER, M. Sylvain MAILLARD, M. Laurent MARCANGELI, M. Jean-Paul MATTEI, M. Sacha HOULIÉ, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, M. Philippe PRADAL, Mme Caroline ABADIE, M. Florent BOUDIÉ, Mme Émilie CHANDLER, Mme Clara CHASSANIOL, M. Philippe DUNOYER, M. Marc FERRACCI, Mme Marie GUÉVENOUX, M. Benjamin HADDAD, M. Daniel LABARONNE, M. Gilles LE GENDRE, Mme Marie LEBEC, M. Ludovic MENDES, Mme Laure MILLER, M. Didier PARIS, M. Jean-Pierre PONT, M. Éric POULLIAT, M. Rémy REBEYROTTE, M. Thomas RUDIGOZ, Mme Laetitia SAINT-PAUL, Mme Sarah TANZILLI, M. Guillaume VUILLETET, M. Christopher WEISSBERG, Mme Caroline YADAN, M. Damien ABAD, M. Damien ADAM, M. Éric ALAUZET, M. David AMIEL, M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, M. Jean-Philippe ARDOUIN, M. Antoine ARMAND, M. Quentin BATAILLON, M. Clément BEAUNE, M. Belkhir BELHADDAD, M. Mounir BELHAMITI, Mme Fanta BERETE, M. Denis BERNAERT, M. Benoît BORDAT, Mme Élisabeth BORNE, M. Éric BOTHOREL, Mme Chantal BOULOUX, Mme Pascale BOYER, Mme Yaël BRAUN-PIVET, Mme Maud BREGEON, M. Anthony BROSSE, Mme Anne BRUGNERA, Mme Danielle BRULEBOIS, M. Stéphane BUCHOU, Mme Françoise BUFFET, Mme Céline CALVEZ, Mme Eléonore CAROIT, M. Lionel CAUSSE, M. Pierre CAZENEUVE, M. Jean-René CAZENEUVE, M. Yannick CHENEVARD, Mme Fabienne COLBOC, Mme Claire COLOMB-PITOLLAT, M. François CORMIER-BOULIGEON, Mme Bérangère COUILLARD, Mme Laurence CRISTOL, M. Dominique DA SILVA, Mme Christine DECODTS, Mme Julie DELPECH, M. Frédéric DESCROZAILLE, M. Benjamin DIRX, Mme Ingrid DORDAIN, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, M. Olivier DUSSOPT, M. Philippe EMMANUEL, Mme Sophie ERRANTE, M. Philippe FAIT, M. Jean-Marie FIÉVET, M. Philippe FREI, M. Jean-Luc FUGIT, M. Thomas GASSILLOUD, Mme Anne GENETET, M. Raphaël GÉRARD, M. Hadrien GHOMI, M. Éric GIRARDIN, M. Joël GIRAUD, Mme Olga GIVERNET, M. Jean-Carles GRELIER, Mme Claire GUICHARD, Mme Nadia HAI, M. Yannick HAURY, M. Alexandre HOLROYD, M. Éric HUSSON, Mme Monique IBORRA, M. Alexis IZARD, M. Jean-Michel JACQUES, Mme Caroline JANVIER, Mme Brigitte KLINKERT, M. Emmanuel LACRESSE, Mme Amélia LAKRAFI, Mme Virginie LANLO, M. Michel LAUZZANA, M. Pascal LAVERGNE, Mme Sandrine LE FEUR, M. Didier LE GAC, Mme Constance LE GRIP, Mme Annaïg LE MEUR, Mme Christine LE NABOUR, Mme Nicole LE PEIH, M. Fabrice LE VIGOUREUX, M. Vincent LEDOUX, M. Mathieu LEFÈVRE, Mme Patricia LEMOINE, Mme Brigitte LISO, M. Jean-François LOVISOLO, Mme Laurence MAILLART-MÉHAIGNERIE, Mme Jacqueline MAQUET, M. Bastien MARCHIVE, M. Louis MARGUERITTE, M. Christophe MARION, Mme Sandra MARSAUD, Mme Alexandra MARTIN (GIRONDE), M. Didier MARTIN, M. Denis MASSÉGLIA, M. Stéphane MAZARS, Mme Graziella MELCHIOR, Mme Lysiane MÉTAYER, M. Nicolas METZDORF, Mme Marjolaine MEYNIER-MILLEFERT, M. Paul MIDY, Mme Véronique DE MONTCHALIN, M. Karl OLIVE, M. Nicolas PACQUOT, Mme Sophie PANONACLE, Mme Astrid PANOSYAN-BOUVET, M. Didier PARAKIAN, Mme Charlotte PARMENTIER-LECOCQ, M. Emmanuel PELLERIN, M. Patrice PERROT, Mme Anne-Laurence PETEL, Mme Michèle PEYRON, Mme Béatrice PIRON, Mme Natalia POUZYREFF, M. Robin REDA, Mme Cécile RILHAC, Mme Véronique RIOTTON, Mme Stéphanie RIST, Mme Marie-Pierre RIXAIN, M. Charles RODWELL, M. Xavier ROSEREN, M. Jean-François ROUSSET, M. Lionel ROYER-PERREAUT, M. Mikaele SEO, M. Charles SITZENSTUHL, M. Philippe SOREZ, M. Bertrand SORRE, Mme Violette SPILLEBOUT, M. Bruno STUDER, Mme Liliana TANGUY, Mme Huguette TIEGNA, M. Stéphane TRAVERT, M. David VALENCE, M. Olivier VÉRAN, Mme Annie VIDAL, M. Patrick VIGNAL, Mme Corinne VIGNON, M. Stéphane VOJETTA, M. Lionel VUIBERT, M. Éric WOERTH,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les juristes d’entreprise sont autorisés par l’article 58 de la loi du 31 décembre 1971 à donner des consultations juridiques à l’entreprise qui les emploie.

Leur rôle est indispensable. Les entreprises françaises sont en effet soumises à des obligations de conformité de plus en plus exigeantes et touchant un nombre croissant de domaines : gouvernance, droits humains et droits sociaux, devoir de vigilance, protection des données, respect des règles déontologiques, responsabilité sociale et environnementale, lutte contre le blanchiment des capitaux…

Toutefois, contrairement à ce qui est prévu dans la législation de nombreux pays, les consultations des juristes d’entreprise ne sont pas confidentielles. Les juristes d’entreprise français sont aujourd’hui dans une situation paradoxale : ils doivent mettre en œuvre ces obligations de conformité de plus en plus nombreuses et donc pouvoir alerter les cadres dirigeants sur les risques juridiques, tout en évitant le risque d’auto‑incrimination de leur entreprise.

La France, par l’absence de toute confidentialité des avis des juristes d’entreprise, se singularise parmi les pays de l’OCDE.

Cette situation nuit objectivement à l’attractivité de la France : de nombreuses directions juridiques choisissent de s’établir dans des pays qui bénéficient de ce cette protection ; d’autres sociétés, qui restent en France, font le choix de ne pas recruter de juristes d’entreprise français et se tournent vers des lawyers anglo‑saxons.

Et n’oublions pas que lorsque la direction juridique est à l’étranger, le choix du droit des contrats de l’entreprise sera celui d’un droit étranger. Ce n’est pas une question purement juridique : derrière le choix du droit applicable, il y a des emplois et de l’attractivité.

Surtout, avec le développement ces dernières années de réglementations demandant aux entreprises de procéder spontanément à des mises en conformité (concurrence, données personnelles, etc…), les juristes d’entreprise français sont placés dans une situation qui ne leur permet pas d’informer par écrit les dirigeants des manquements qu’ils constatent.

Pour remédier à ces difficultés, le Parlement a introduit un legal privilege « à la française » au paragraphe IV de l’article 49 de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023‑2027.

Toutefois, ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel faute de lien avec des dispositions initiales du projet de loi (Décision n° 2023‑855 DC du 16 novembre 2023, considérants n° 142 à 148).

La présente proposition de loi reprend en des termes identiques les dispositions adoptées par le Parlement et censurées, pour un motif de procédure, par le Conseil constitutionnel.

L’article unique confère un caractère confidentiel aux consultations des juristes d’entreprise. Il ne crée pas une nouvelle profession réglementée du droit.

La confidentialité porte sur le document écrit et ne constitue pas un nouveau secret professionnel attaché à la personne du juriste d’entreprise.

Le juriste d’entreprise devra avoir un niveau de diplôme de Master en droit et suivre une formation initiale et continue en déontologie.

L’article unique prévoit un champ d’application limité aux matières civile, commerciale et administrative et exclut les procédures pénales et fiscales car elles sont les premières garantes de l’ordre public économique.

Il fixe les conditions de la levée de la confidentialité qui peut être obtenue pour tout manquement pouvant faire l’objet d’une sanction au titre de la procédure administrative concernée, lorsque le document visait à inciter ou faciliter la commission du manquement. Il détaille la procédure applicable et ses délais.

Enfin, il prévoit, pour l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise, le recours obligatoire à l’avocat en cas de contestation de la confidentialité. La nature des procédures et les enjeux le justifient. En revanche, les administrations demeurent dispensées de cette obligation, en application du droit commun.

 


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proposition de loi

Article unique

Après l’article 58 de la loi n° 71‑1130 du 31 décembre 1971, il est inséré un article 58‑1 ainsi rédigé :

« Art. 58‑1. – I. – Les consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, au profit de son employeur, sont confidentielles.

« II. – Pour être couvertes par la confidentialité prévue au I, les consultations juridiques doivent satisfaire les conditions suivantes :

« 1° Le juriste d’entreprise ou le membre de son équipe placé sous son autorité est titulaire d’un master en droit ou d’un diplôme équivalent français ou étranger ;             

« 2° Le juriste d’entreprise justifie du suivi de formations initiale et continue en déontologie.

« Ces formations sont conformes à un référentiel défini par arrêté conjoint du ministre de la justice et du ministre chargé de l’économie, sur proposition d’une commission dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret ;

« 3° Ces consultations sont destinées exclusivement au représentant légal, à son délégataire, à tout autre organe de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui l’emploie, à toute entité ayant à émettre des avis auxdits organes, aux organes de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui, le cas échéant, contrôle au sens de l’article L. 233‑3 du code de commerce l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ainsi qu’aux organes de direction, d’administration ou de surveillance des filiales contrôlées, au sens du même article L. 233‑3, par l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ;             

« 4° Ces consultations portent la mention « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise » et font l’objet, à ce titre, d’une identification et d’une traçabilité particulières dans les dossiers de l’entreprise et, le cas échéant, dans les dossiers de l’entreprise membre du groupe qui est destinataire desdites consultations.

« III. – Les documents couverts par la confidentialité en application du présent article ne peuvent, dans le cadre d’une procédure ou d’un litige en matière civile, commerciale ou administrative, faire l’objet d’une saisie ou d’une obligation de remise à un tiers, y compris à une autorité administrative française ou étrangère. Dans ce même cadre, ils ne peuvent davantage être opposés à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou aux entreprises du groupe auquel elle appartient.

« La confidentialité n’est pas opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale.

« IV. – Le président de la juridiction qui a ordonné une mesure d’instruction dans le cadre d’un litige civil ou commercial peut être saisi en référé par voie d’assignation, dans un délai de quinze jours à compter de la mise en œuvre de ladite mesure, aux fins de contestation de la confidentialité alléguée de certains documents.

« Le juge des libertés et de la détention qui a autorisé une opération de visite dans le cadre d’une procédure administrative peut être saisi par requête motivée de l’autorité administrative ayant conduit cette opération, dans un délai de quinze jours à compter de celle‑ci, aux fins de voir :

« 1° Contester la confidentialité alléguée de certains documents ; 

« 2° Ordonner la levée de la confidentialité de certains documents, dans la seule hypothèse où ces documents auraient eu pour finalité d’inciter à ou de faciliter la commission des manquements aux règles applicables qui peuvent faire l’objet d’une sanction au titre de la procédure administrative concernée.

« Le juge saisi enjoint à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise de mettre à sa disposition l’ensemble des documents dont elle allègue la confidentialité. Il peut en prendre connaissance seul ou avec l’assistance d’un expert qu’il désigne.

« Après avoir entendu le requérant et l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise, le juge statue sur la contestation et, le cas échéant, sur la demande de levée de la confidentialité.

« Le juge peut adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle‑ci aux nécessités de la protection de la confidentialité.

« S’il est fait droit aux demandes, les documents sont produits à la procédure en cours dans les conditions qui lui sont applicables. À défaut, ils sont restitués sans délai à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise.

« En tout état de cause, l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise peut lever la confidentialité des documents.             

« Le présent IV s’applique en cas d’exercice d’une voie de recours.

« V. – L’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou, le cas échéant, l’entreprise membre du groupe destinataire de la consultation juridique est tenue d’être assistée ou représentée par un avocat dans les procédures mentionnées au IV.

« VI. – L’ordonnance du juge des libertés et de la détention peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué. L’appel peut être formé par l’autorité administrative, l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou, le cas échéant, l’entreprise membre du groupe destinataire de la consultation juridique.

« Le premier président de la cour d’appel ou son délégué statue dans un délai qui ne peut être supérieur à trois mois.             

« VII. – Est puni des peines prévues à l’article 441‑1 du code pénal le fait d’apposer frauduleusement la mention : « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise » sur un document qui ne relève pas du présent article.

« VIII. – Les modalités d’application du présent article, notamment les conditions dans lesquelles l’entreprise assure l’intégrité des documents jusqu’à la décision de l’autorité judiciaire, sont fixées par décret en Conseil d’État. »