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N° 2057

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2024.

PROPOSITION DE LOI

pour louer en toute confiance,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Boris VALLAUD, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Roger VICOT, les membres du groupe Socialistes et apparentés [(1)],

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Selon les comptes du logement de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pour 2023, plus de 7 millions de ménages louent leur résidence principale dans le parc privé. Ce sont autant d’histoires de rapports locatifs, très majoritairement fluides, mais encore trop souvent sources de tensions. Qu’il s’agisse de l’état du bâti et des parties communes, des équipements du logement ou plus récemment de sa performance thermique, les sources de telles tensions sont nombreuses. Cependant, aucune n’est aussi sensible que la question du loyer. Sa fixation et son évolution naturellement mais aussi, tout simplement, son paiement en temps et en heure. Ainsi plus des deux tiers des propriétaires listent la peur des loyers en retard ou impayés comme un frein à la mise en location de leur bien. Cette crainte induit par ailleurs une sur‑sélection des candidats locataires avec des demandes de garanties financières irréalistes et le plus souvent illégales.

Face à un tel constat, plusieurs évolutions législatives ont tenté de mieux réguler les rapports locatifs. La loi du 6 juillet 1989 en est la plus emblématique et devait être renforcée par la loi dite ALUR de 2014 avant que plusieurs de ses dispositions ne soient abrogées ou atténuées dans les années suivantes. Le rapport Nogal remis au Premier ministre en 2019 devait engager une nouvelle étape législative pour « louer en confiance » mais la pandémie de Covid‑19 a mis fin à toute initiative en la matière durant la XVe législature. Depuis lors, la tradition d’équilibre dans les textes traitant des rapports locatifs a été remplacée par une dynamique répressive, notamment sur les expulsions locatives, avec les lois ASAP de 2020 et Kasbarian de 2023.

La présente proposition de loi entend retrouver l’esprit qui a antérieurement prévalu en la matière en proposant le rétablissement de la garantie universelle des loyers, initialement créée dans la loi ALUR. En garantissant sous certaines conditions les propriétaires contre les effets économiques, finalement les plus impactant, des retards et impayés de loyers, ce dispositif permet de lever le principal frein à la mise en location et d’atténuer les attentes des bailleurs sur la solvabilité de leurs locataires.

Alors que la France connaît une grave crise du logement, induite par une forte rigidité dans les parcours locatifs et vers l’accession à la propriété, il est essentiel de redonner confiance aux bailleurs potentiels pour remettre ou mettre des biens sur le marché locatif classique et de protéger les locataires contre les demandes de garanties abusives tout en recréant de la confiance entre les deux parties.

Le succès du dispositif VISALE d’Action logement a montré l’intérêt d’un tel dispositif dans son principe, il convient désormais de lui donner un caractère universel.

Plutôt qu’un système assurantiel dont la charge pèserait en premier lieu sur le locataire, le dispositif de la garantie universelle des loyers (GUL) est une garantie publique. Sur la base d’un montant moyen des loyers privés en 2022 de 723 euros par mois, le coût maximal théorique de la mesure serait de l’ordre de 1,4 milliard d’euros ([1]). Il devrait naturellement être moindre selon le taux de sinistralité effectif.

Il convient enfin de rappeler que la GUL n’est pas un outil qui vise à déresponsabiliser le locataire au regard de ses obligations vis‑à‑vis du loyer, il ne le prémunit pas contre les recours que le bailleur pourrait intenter en cas d’impayé. Cependant il protège le bailleur contre l’impact des impayés sur ses revenus locatifs et notamment les petits propriétaires, là où les lois répressives votées depuis 2020 se contentaient de réprimer le locataire. Elle redonne ainsi de l’attrait à la location classique comparativement à la location saisonnière ou en bail mobilité. Enfin elle protège aussi le locataire en facilitant l’accès à la location aux ménages qui ne peuvent répondre aux attentes excessives en matière de revenus ou de garants qui se sont développées depuis de nombreuses années. Par cette proposition de loi, nous souhaitons permettre à nouveau aux bailleurs et aux locataires de louer en toute confiance.

Ainsi l’article 1er rétablit les dispositions de l’article 24‑2 de la loi de 1989 relative aux rapports locatifs tel qu’il résultait de la loi ALUR en y apportant plusieurs adaptations liées à son caractère obligatoire, aux articles référencés abrogés ou transférés depuis cette date et à la nécessité de substituer un mode de calcul du loyer de référence à celui proposé dans la version obsolète de l’article 17 de la loi précitée. Plusieurs simplifications sont également apportées par rapport à la version adoptée dans la loi ALUR. Ce faisant l’article crée la GUL et en définit les conditions d’éligibilité et modalités de mise en œuvre. Il instaure un établissement public administratif chargé d’en assurer la gestion et le suivi et en précise les modalités de fonctionnement et de gouvernance et les conditions de son financement. Le dispositif entre en vigueur pour les baux conclus, renouvelés ou modifiés par avenant à compter du 1er janvier 2025. Enfin, l’article prévoit la possibilité du fléchage d’une partie de la participation des employeurs à l’effort de construction (1 % logement) au financement du dispositif.

Enfin l’article 2 prévoit un gage de charge pour l’État résultant du caractère de garantie publique de la GUL telle que proposée et de la création de l’établissement public chargé d’en assurer la gestion.

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – L’article 24‑2 de la loi n° 89‑462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86‑1290 du 23 décembre 1986 est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. 242. – I. – La garantie universelle des loyers prémunit les bailleurs contre les impayés de loyer.

« Les impayés de loyer, au sens du présent article, s’entendent des loyers, des charges récupérables et de la contribution pour le partage des économies de charges prévue à l’article 23‑1 demeurés impayés.

« Au sens du présent article, la conclusion d’un contrat de location s’entend de sa conclusion initiale, de son renouvellement dans des conditions différentes ou de la conclusion d’un avenant.

« A. – La garantie universelle des loyers s’applique aux contrats de location des catégories de logements suivantes :

« 1° Logements constituant la résidence principale du preneur définis à l’article 2 ;

« 2° Logements meublés constituant la résidence principale du preneur, tels que définis aux articles 25‑3 et 25‑4 ;

« B. – Les aides versées au titre de la garantie sont accordées lorsque l’ensemble des conditions suivantes sont satisfaites par le bailleur d’un logement décent au sens de l’article 6 dont le contrat écrit respecte le contrat type mentionné à l’article 3 :

« 1° Le bailleur n’a pas demandé le cautionnement mentionné à l’article 22‑1 ;

« 2° Le bailleur n’a pas souscrit d’assurance pour les risques couverts par la garantie universelle des loyers ;

« 3° Le bailleur ne loue pas le logement à l’un de ses ascendants ou descendants, ou à ceux de leur conjoint ou concubin ou de toute personne liée à eux par un pacte civil de solidarité ;

« 4° Le bailleur a déclaré son contrat de location auprès de l’agence mentionnée au II du présent article dans les conditions prévues au même II ;

« 5° Lorsque le locataire bénéficie de l’aide personnelle au logement, le bailleur demande son versement entre ses mains dans des conditions fixées par décret.

« Le 1° du présent B ne s’applique pas lorsque le locataire est étudiant ou apprenti.

« Le bénéfice de la garantie est refusé lorsque le bailleur a fait l’objet d’une interdiction de bénéficier de la garantie en application du E du II ou lorsque, depuis moins de dix ans, il a été mis en demeure, par arrêté pris en application de l’article L. 511‑2 du code de la construction et de l’habitation, de faire cesser la mise à disposition aux fins d’habitation de locaux impropres à l’habitation en raison d’atteintes à la sécurité et la santé des personnes, sauf lorsque l’autorité responsable a prononcé la mainlevée de l’arrêté.

« Un décret précise le montant minimal d’impayés ouvrant droit à la garantie, le montant maximal de la garantie accordée pour un même logement en fonction de la localisation du logement et de sa catégorie, et la durée des versements. Il définit également les modalités de recouvrement des impayés ainsi que les mesures d’accompagnement social en faveur des locataires dont les impayés de loyer sont couverts par la garantie.

« C. – Les actions contentieuses introduites par le bailleur en raison du non‑paiement du loyer, des charges récupérables ou de la contribution pour le partage des économies de charges ne peuvent pas être rejetées du seul fait que le bailleur a perçu une aide en application du présent article.

« II. – L’Agence de la garantie universelle des loyers est un établissement public administratif de l’État qui a pour mission de favoriser l’accès au logement et de prévenir les risques d’expulsion par l’administration de la garantie universelle des loyers.

« A. – L’Agence de la garantie universelle des loyers est chargée de mettre en place et d’administrer la garantie prévue au I, directement ou par l’intermédiaire des organismes mentionnés au III, et de contrôler sa mise en œuvre ainsi que l’activité desdits organismes. À ce titre, elle peut financer des actions d’accompagnement social des locataires en situation d’impayés de loyer.

« Pour l’exercice des attributions mentionnées aux troisième et quatrième alinéas du présent A, l’agence conclut des conventions avec les organismes et personnes en cause.

« B. – L’agence est administrée par un conseil d’administration composé de six représentants de l’État, de deux représentants du groupe Action logement, de deux représentants des collectivités territoriales et de deux personnalités qualifiées nommées en raison de leur compétence en matière de logement.

« Le nombre de voix attribuées à chacun des membres du conseil d’administration est précisé par décret.

« Le président du conseil d’administration est nommé par décret, pris sur le rapport du ministre chargé du logement.

« L’agence est dirigée par un directeur général.

« Un comité d’orientation est chargé de faire toute proposition utile afin d’améliorer la gestion de la garantie universelle des loyers.

« C. – Pour l’accomplissement de sa mission, l’Agence de la garantie universelle des loyers peut disposer des ressources suivantes :

« 1° Les contributions et subventions de l’État et de ses établissements publics, de l’Union européenne, ainsi que de toute autre personne morale publique ou privée ;

« 2° Les recettes fiscales affectées par la loi ;

« 3° Les contributions de la participation des employeurs à l’effort de construction ;

« 4° Le produit issu du remboursement des aides versées au titre de la garantie ;

« 5° Les sommes correspondant aux aides accordées par d’autres personnes morales qui lui sont versées en application des conventions mentionnées au A ;

« 6° Les emprunts et le produit des placements financiers qu’elle est autorisée à faire ;

« 7° Le produit des dons et legs ;

« 8° Les recettes accessoires, notamment la rémunération des services rendus aux tiers, dans des conditions fixées par le conseil d’administration ;

« D. – Pour bénéficier des aides mentionnées au I, les bailleurs déclarent auprès de l’Agence de la garantie universelle des loyers la conclusion des contrats de location entrant dans le champ d’application du A du I, dans un délai fixé par décret. Cette déclaration peut s’effectuer de façon dématérialisée. Les locataires sont informés de cette déclaration, selon des modalités fixées par décret.

« E. – L’agence peut prononcer des sanctions à l’encontre des bailleurs ayant sollicité ou obtenu un versement par fraude d’aides au titre de la garantie et à l’encontre des locataires en cas de fausse déclaration.

« L’agence peut prononcer les sanctions suivantes, après avoir mis en œuvre la procédure prévue aux articles L. 121‑1, L. 121‑2 et L. 122‑1 du code des relations entre le public et l’administration :

« 1° Une sanction pécuniaire, qui ne peut excéder, pour les bailleurs, un montant équivalant à deux ans de loyer et, pour les locataires, deux fois le plafond mensuel de la sécurité sociale. Ces sanctions sont recouvrées par l’État au profit de l’agence comme en matière de créances étrangères à l’impôt ;

« 2° L’interdiction de bénéficier de la garantie universelle des loyers pendant une durée maximale de dix ans pour les bailleurs, de deux ans pour les locataires.

« Un comité des sanctions prononce les sanctions mentionnées aux 1° et 2°. La composition du comité est fixée par décret.

« F. – L’agence peut communiquer aux organismes payeurs de prestations familiales, aux départements et à la commission mentionnée à l’article 7‑2 de la loi n° 90‑449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement les données relatives aux impayés de loyer et aux locataires en situation d’impayés, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État. Elle peut également communiquer aux observatoires locaux des loyers mentionnés à l’article 16 de la présente loi les données utiles pour l’exercice de leur mission, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État.

« Les organismes chargés du paiement de l’allocation de logement communiquent à l’agence, à sa demande, l’information selon laquelle un locataire est bénéficiaire de l’aide personnelle au logement et un récapitulatif des versements des aides personnelles au logement entre les mains des locataires et des bailleurs.

« G. – Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’organisation, de gestion et de fonctionnement de l’agence.

« III. – Le présent article s’applique aux contrats de location conclus à compter du 1er janvier 2025.

« À compter de cette même date, les parties peuvent rendre applicable le présent article, par voie d’avenant, aux contrats de location en cours, sous réserve que le bailleur et le locataire remplissent les conditions qu’il fixe.

« Le bénéfice de la garantie pour les logements déjà occupés par le locataire est soumis à un délai de carence qui ne peut être inférieur à six mois, sauf dans le cas d’un renouvellement d’un contrat de location qui a été déclaré dans les conditions mentionnées au D du II du présent article ou d’un avenant à un tel contrat. Ce délai de carence ne s’applique pas dans le cas d’un renouvellement d’un contrat de location qui a fait l’objet d’un contrat d’assurance contre les impayés de loyer respectant le cahier des charges prévu au g de l’article L. 313‑3 du code de la construction et de l’habitation ou d’un avenant à un tel contrat.

« L’agence mentionnée au II est créée à compter du 1er juillet 2024. »

II. – Au début du g de l’article L. 313‑3 du code de la construction et de l’habitation, sont ajoutés les mots : « Au financement du dispositif prévu à l’article 24‑2 de la loi n° 89‑462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86‑1290 du 23 décembre 1986 et ».

Article 2

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) Les évaluations réalisées en 2013 par l’APAGL envisageaient une cotisation correspondant à 2,25% des loyers pour le financement de la GUL sous la forme d’un système assurantiel soit 2,25% des 60,7 milliards d’euros de loyers privés versés en 2022 sur la base de 7 millions de résidences principales louées auprès de bailleurs privés et du loyer moyen précité.


[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT.