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N° 2058

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à toucher sa retraite dès le premier jour,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Mélanie THOMIN, M. Boris VALLAUD, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Roger VICOT, les membres du groupe Socialistes et apparentés [(1)],

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Depuis juin, aucune pension de retraite de base n’a été versée et la CNAV me répond chaque semaine que c’est en cours, qu’ils n’ont pas de visu que cela est au niveau de leurs supérieurs mais que nous ne pouvons pas les contacter.

N’ayant plus de revenus puisque l’on m’a demandé d’arrêter mon activité et pas d’économie, ne sachant pas quand la CNAV se manifestera, je ne sais pas comment je vais faire pour m’en sortir »

Témoignage de Clément sur le site www.plus.transformation.gouv.fr, « pour des services publics plus proches, plus simples et plus efficaces »

Ils sont des dizaines de milliers de travailleurs, voire davantage, comme Clément, à se retrouver sans aucun revenu au premier jour de leur retraite. En effet, selon l’enquête annuelle de 2019 auprès des caisses de retraite (EACR), 263 000 dossiers d’attribution de minimum contributif (dont les liquidations sont survenues entre 2012 et 2018) n’étaient ainsi pas encore traités en 2019 et n’ont pas fait l’objet d’un versement d’avance. Les réformes intervenues en 2023 en matière de condition d’ouverture et de mode de calcul du minimum contributif ne pourront qu’aggraver ces situations.

Si, en 2022, l’administration invoque 20 000 à 25 000 dossiers traités en retard, induisant une rupture de ressources, les organisations syndicales contestent ces chiffres et alertent sur un accroissement de ces situations. Ainsi, en Bretagne, selon la CFDT, le stock de dossiers serait passé de 21 000 à 32 000 en un an ; avec des retards pouvant atteindre six mois, notamment s’agissant des indépendants, intégrés au régime général en 2020.

Avec la réforme de 2023, faute de moyens humains nouveaux au sein des organismes de sécurité sociale, en particulier pour un accueil physique, l’objectif de traiter les dossiers en moins de 75 jours (fixé dans la convention d’objectif et de gestion de la CNAV) demeurera un vœu pieu pour de nombreux assurés.

Pourquoi en arrive‑t‑on à de telles situations critiques à vivre au quotidien pour nos concitoyens ?

Chaque année ou presque, depuis 1996, notre régime de retraite a connu des rationalisations (fusion des régimes au sein du RSI par exemple), certains progrès sociaux comme la prise en compte d’une partie des primes et des indemnités dans le calcul des retraites des fonctionnaires ou encore de la pénibilité mais aussi des réformes majeures étendant la durée de cotisation et l’âge légal de départ à la retraite.

Or, les effectifs de la sécurité sociale connaissent, depuis 10 ans, une baisse continue, de 6 % entre 2012 et 2022 pour les agents en CDI, non compensée par une hausse marginale des effectifs en CDD.

Sur la période de la convention d’objectif et de gestion 2018‑2022, la branche vieillesse a ainsi perdu 900 agents, soit l’équivalent d’une Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT). Cette baisse des effectifs s’accompagne d’une perte croissante d’expérience, avec une ancienneté moyenne passée de 20,1 ans à 16,4 ans au sein de l’institution sur la même période ([1]).

Si cette dernière évolution témoigne d’abord du renouvellement générationnel des personnels, il traduit également une situation sociale dénoncée par les organisations syndicales en matière de charge de travail, de formation et de turnover.

En effet, la branche vieillesse a connu sur la période une hausse tendancielle du nombre de liquidations d’un droit direct, tous régimes confondus, passant de 741 000 liquidants en 2012 à 875 000 en 2021.

On constate, par ailleurs, une évolution des profils des assurés vers des carrières de moins en moins linéaires, relevant d’un nombre croissant d’employeurs et de régimes, ainsi qu’une complexification des règles qui rendent plus difficile la reconstitution des carrières pour l’administration.

Avec plus de dossiers, plus complexes, des réformes incessantes et moins d’agents, les caisses de retraite peinent à suivre.

Les ménages les plus impactés sont en premier lieu les ménages modestes, ceux dont la faible épargne ne permet pas de faire face, durant plusieurs mois, à l’absence de pension mais aussi du fait de réformes qui impactent en premier lieu les petites pensions.

C’est la raison pour laquelle les député.es du groupe Socialistes et apparentés proposent une mesure protectrice pour les assurés, simple et utile, sans charge nouvelle excessive pour l’administration. Une mesure qui, en pleine crise inflationniste, permette à chacun de partir à la retraite en toute sérénité, sans avoir à solliciter la solidarité familiale, à puiser dans l’épargne d’une vie, voire à devoir contracter des dettes bancaires du seul fait des retards dans le traitement d’un droit garanti. Que nul ne se retrouve à devoir solliciter une aide de sa Caisse centrale d’activités sociales (CCAS) alors qu’il a acquis tous ses droits après une vie de labeur.

Il est essentiel de garantir qu’aucune rupture de ressources n’intervienne lors du passage à la retraite.

Notre proposition de loi entend donc mettre en œuvre un bouclier social au moment du départ à la retraite. Pour que la France reste fidèle à l’engagement pris en 1950 devant l’Assemblée nationale par Ambroise Croizat, père de la Sécurité sociale : « Jamais nous ne tolérerons que soit renié un seul des avantages de la sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie, cette loi humaine et de progrès… ».

Pour répondre à cet objectif, l’article 1er prévoit que tout assuré ayant demandé son départ à la retraite au moins un mois avant la date de celui‑ci bénéficie, à défaut du versement de sa pension définitive, d’une première pension temporaire dès le mois suivant.

Le montant de ce bouclier social sera calculé sur la base de la dernière simulation de pension du travailleur concerné. Ce faisant, il se rapproche du montant final à percevoir, mais sera quasi systématiquement légèrement inférieur, pour éviter toute demande de remboursement de trop‑perçu.

Ce dispositif concerne tous les travailleurs, qu’ils relèvent du régime de la fonction publique civile et militaire, du régime agricole ou du régime général.

Il ne représente pas une dépense nouvelle pour les organismes de sécurité sociale, mais induira exclusivement des charges mineures de trésorerie et de gestion.

En outre, l’ensemble des néo‑retraités ne seront pas bénéficiaires de cette pension minimale temporaire : seuls seront concernés les assurés ayant demandé la liquidation de leur pension dans un délai ne permettant pas aux caisses de retraite saisies d’assurer la liquidation de leur pension dans le premier mois passé à la retraite, ainsi que les assurés à la carrière complexe, qui requièrent du temps aux mêmes caisses pour calculer la pension due.

De plus, assurer à chaque usager de ne pas avoir de rupture de revenus, au moment du départ à la retraite, en lui offrant une pension temporaire réduira la pression sur les caisses en matière de traitement et de régularisation de ces dossiers. C’est aussi faciliter le travail des agents des caisses de retraite.

Dans un contexte de difficultés accrues de pouvoir d’achat, cette mesure vise donc à protéger nos concitoyens d’un risque de précarisation au moment du passage à la retraite.

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – Le titre III du livre Ier du code des pensions civiles et militaires de retraite est complété par un chapitre III bis ainsi rédigé :

« Chapitre III bis

« Bouclier social pour la retraite

« Art. L. 23 bis. – I. – Tout fonctionnaire, magistrat ou militaire dont la demande de liquidation d’une pension de retraite a été déposée au moins un mois civil avant la date d’entrée en jouissance bénéficie d’une pension temporaire à compter du mois suivant cette date et en l’absence de versement de la pension calculée en application du présent code.

« Le montant de la pension temporaire est égal au montant estimé de la pension dû par le régime de la fonction publique calculé à l’âge atteint à la date à laquelle l’intéressé peut bénéficier du pourcentage maximum prévu au deuxième alinéa du I de l’article L. 13, tel que ce montant figure dans l’estimation indicative globale prévue au IV de l’article L. 161‑17 du code de la sécurité sociale la plus récemment effectuée.

« II. – Le bénéfice de la pension temporaire cesse au moment où l’intéressé perçoit la pension de retraite calculée en application du présent code.

« Lorsque le montant de la pension temporaire versée à l’intéressé est inférieur au montant de la pension de retraite qui lui est dû, ce montant fait l’objet d’une régularisation lors du premier versement de sa pension de retraite, dans des conditions fixées par décret.

« Lorsque le montant de la pension temporaire versée à l’intéressé est supérieur au montant de la pension de retraite qui lui est dû, le remboursement du trop‑perçu peut faire l’objet d’un échelonnement, dans des conditions fixées par décret.

« III. – Un décret fixe les modalités d’application du présent article. »

II. – Le paragraphe 2 de la sous‑section 1 de la section 3 du chapitre II du titre III du livre VII du code rural et de la pêche maritime est complété par un sous‑paragraphe 1 ainsi rédigé :

« Sous‑paragraphe 1

« Bouclier social pour la retraite

« Art. L. 732401. – I. – Tout assuré dont la demande de liquidation d’une pension de retraite a été déposée au moins un mois civil avant la date d’entrée en jouissance bénéficie d’une pension temporaire à compter du mois suivant cette date et en l’absence de versement de la pension de retraite calculée en application du présent paragraphe.

« Le montant de la pension temporaire est égal au montant estimé de la pension de retraite dû par le régime de base d’assurance vieillesse des non‑salariés des professions agricoles calculé à l’âge atteint à la date à laquelle l’assuré peut bénéficier d’une pension sans coefficient de minoration, tel que ce montant figure dans l’estimation indicative globale prévue au IV de l’article L. 161‑17 du code de la sécurité sociale la plus récemment effectuée.

« II. – Le bénéfice de la pension temporaire cesse au moment où l’assuré perçoit la pension de retraite calculée en application du présent paragraphe.

« Lorsque le montant de la pension temporaire versée à l’assuré est inférieur au montant de la pension de retraite qui lui est dû, ce montant fait l’objet d’une régularisation lors du premier versement de sa pension de retraite, dans des conditions fixées par décret.

« Lorsque le montant de la pension temporaire versée à l’assuré est supérieur au montant de la pension de retraite qui lui est dû, le remboursement du trop‑perçu peut faire l’objet d’un échelonnement, dans des conditions fixées par décret.

« III. – Un décret fixe les modalités d’application du présent article. »

III. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le IV de l’article L. 161‑17 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Pour l’application de l’article L. 23 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite, de l’article L. 732‑40‑1 du code rural et de la pêche maritime et de l’article L. 351‑18 du présent code, l’estimation indicative globale présente notamment le montant estimé des pensions de retraite dues par chaque régime à l’âge atteint à la date à laquelle l’assuré peut bénéficier d’une pension au pourcentage maximum, sans coefficient de minoration ou au taux plein. »

2° Le chapitre Ier du titre V du livre III est complété par une section 12 ainsi rédigée :

« Section 12

« Bouclier social pour la retraite

« Art. L. 35118. – I. – Tout assuré dont la demande de liquidation d’une pension de retraite a été déposée au moins un mois civil avant la date d’entrée en jouissance bénéficie d’une pension temporaire à compter du mois suivant cette date et en l’absence de versement de la pension calculée en application du présent chapitre.

« Le montant de la pension temporaire est égal au montant estimé de la pension de retraite dû par le régime général calculé à l’âge atteint à la date à laquelle l’assuré peut bénéficier du taux plein, tel que ce montant figure dans l’estimation indicative globale prévue au IV de l’article L. 161‑17 la plus récemment effectuée.

« II. – Le bénéfice de la pension temporaire cesse au moment où l’assuré perçoit la pension de retraite calculée en application du présent chapitre.

« Lorsque le montant de la pension temporaire versée à l’assuré est inférieur au montant de la pension de retraite qui lui est dû, ce montant fait l’objet d’une régularisation lors du premier versement de sa pension de retraite, dans des conditions fixées par décret.

« Lorsque le montant de la pension temporaire versée à l’assuré est supérieur au montant de la pension de retraite qui lui est dû, le remboursement du trop‑perçu peut faire l’objet d’un échelonnement, dans des conditions fixées par décret.

 « III. – Un décret fixe les modalités d’application du I du présent article. »

IV. – Les I et II et le 2° du III sont applicables aux demandes de liquidation de pensions de retraite déposées à compter du 1er juillet 2024.

Le 1° du III entre en vigueur le 1er juillet 2024.

Article 2

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) L’emploi à la sécurité sociale – UCANSS – éditions 2018 à 2023.


[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT.