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N° 2059

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à créer un arrêt de travail indemnisé pour menstruations incapacitantes,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Mickaël BOULOUX, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Boris VALLAUD, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Roger VICOT, les membres du groupe Socialistes et apparentés [(1)],

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La notion de santé au travail est ancienne. Ainsi, dans l’Antiquité déjà, 2 500 ans avant notre ère, les historiens ont pu établir qu’un médecin Égyptien était chargé de veiller sur l’état de santé des ouvriers et des esclaves sur le chantier des pyramides. Plus proche de nous, le recours à des médecins d’entreprise et à des visites d’embauche est apparu en 1810 pour les travailleurs des mines et des carrières et un premier décret est pris pour imposer au patronat de payer les frais médicaux des ouvriers blessés lors des accidents du travail. Formellement, l’inspection du travail est créée en 1874 et la loi sur les accidents du travail qui instaure une réparation forfaitaire en fonction de la perte de salaire est promulguée en 1898. Le code du travail, quant à lui, naît en 1910 et la loi qui fonde sur le plan légal la médecine du travail date du 28 juillet 1946. Enfin, le 23 décembre 1982, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de santé au travail pour les entreprises de plus de 50 salariés sont mis en place.

Alors que le cadre existe aujourd’hui dans notre pays pour permettre que le travail s’exerce dans des conditions satisfaisantes sur le plan sanitaire, la santé menstruelle au travail reste encore non traitée sur le plan législatif, plaçant les femmes dans une situation de fragilité en raison de leurs règles.

Alors que l’Espagne a adopté le 16 février 2023 un projet de loi pour créer un arrêt menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses, devenant le premier pays européen à légiférer en ce sens, il importe que la France lui emboîte le pas.

La loi espagnole permet dorénavant un « arrêt de travail d’une femme en cas de règles incapacitantes » liées, par exemple, « à des pathologies comme l’endométriose ». Cet arrêt sera « reconnu comme une situation spéciale d’incapacité temporaire » de travail. Le texte précise par ailleurs que l’enjeu est d’ » accorder à cette situation pathologique une réponse adaptée afin d’éliminer tout biais négatif [pour les femmes] dans le monde du travail ». Enfin, l’arrêt de travail, qui devra être accordé par un médecin et qui sera financé par la Sécurité sociale, n’a pas de limitation dans sa durée.

D’autres pays avant l’Espagne ont déjà ouvert la voie à une législation permettant aux femmes de s’absenter de leur travail en raison de leurs règles. C’est ainsi le cas du Japon et de la Corée du Sud, où cet arrêt est très majoritairement sans solde, ou encore de l’Indonésie, de Taïwan et de la Zambie, qui prévoient pour leur part le paiement de congés menstruels.

En France, de plus en plus d’employeurs font le choix de prendre en charge l’arrêt menstruel de certaines de leurs salariées. C’est le cas de la ville de Saint‑Ouen, du département de la Seine‑Saint‑Denis, du Parti socialiste ou encore des entreprises comme Carrefour, la SCOOP montpelliéraine « La Collective », Marédoc (dans l’Hérault), la société toulousaine Louis Design ou l’éditeur parisien Critizr.

La présente proposition de loi vise à faire entrer l’arrêt menstruel dans notre code du travail et à lever le tabou autour des cycles menstruels et de leurs conséquences physiques et mentales. Les effets indésirables des règles douloureuses (dysménorrhée) sont bien connus et particulièrement handicapants : douleurs abdominopelviennes, crampes, spasmes, fatigue, diarrhées, maux de tête, vertiges, nausées et vomissements notamment.

Pour certaines femmes, touchées par des pathologies liées aux cycles menstruels telles que l’endométriose, ces symptômes peuvent être aggravés et ainsi devenir d’autant plus handicapants dans leur vie professionnelle. Selon le ministère de la Santé, 2,5 millions de femmes seraient touchées par l’endométriose soit 10 % des femmes menstruées.

Pour se voir délivrer une ordonnance valable un an et ouvrant droit à des jours d’arrêt menstruel, les personnes souffrant de menstruations incapacitantes devront se rendre chez un médecin ou une sage‑femme. Ce rendez‑vous annuel doit permettre de mieux diagnostiquer les maladies liées aux menstruations. Aujourd’hui, il faut en moyenne sept ans pour qu’une femme victime d’endométriose soit correctement diagnostiquée ([1]). Cette proposition de loi vise donc également à réduire le retard de diagnostic des personnes victimes de menstruations incapacitantes.

L’inscription d’un arrêt menstruel dans le code du travail s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation, dont la chambre sociale a reconnu, dans un arrêt du 12 juillet 2017, qu’un accord collectif peut bénéficier aux seules salariées de sexe féminin, dès lors que cette mesure vise à établir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes.

L’article 1er prévoit la possibilité, pour un médecin ou une sage‑femme, de prescrire un arrêt maladie de treize jours maximum valable un an, pour une durée ne pouvant pas excéder deux jours par mois, pour les personnes souffrant de menstruations incapacitantes. Il fixe également les conditions d’une prise en charge, par l’assurance maladie, du congé maladie en cas de menstruations incapacitantes, sans jour de carence. Cet article 1er prévoit enfin que l’agent public n’aura pas de jour de carence lorsqu’il s’absentera en cas de menstruations incapacitantes.

L’article 2 inscrit dans le code du travail les mesures liées à l’instauration d’un arrêt menstruel en cas de menstruations incapacitantes sur justificatif médical mais sans préavis. Il laisse la possibilité aux entreprises d’accorder sous la forme d’un congé à sa charge une meilleure prise en charge via une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche. Il prévoit également que les agents publics bénéficient d’autorisations spéciales d’absence liées à l’arrêt menstruel sans que ces absences soient considérées comme des congés annuels et dans les conditions médicales prévues à l’article 1er de la présente proposition de loi.

L’article 3, enfin, gage la proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Après le chapitre 9 du titre VI du livre I, il est inséré un chapitre 9 bis ainsi rédigé :

« Chapitre 9 bis

« Prise en charge des personnes souffrant de menstruations incapacitantes 

« Art. L. 16914. – Le médecin ou la sage‑femme qui constate qu’une assurée souffre de menstruations incapacitantes établit une prescription d’arrêt de travail de treize jours, valable pendant un an, autorisant l’assurée à interrompre le travail pour une durée ne pouvant excéder deux jours par mois. » ;

2° L’article L. 321‑1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’assurance maladie assure également le versement d’indemnités journalières lorsque l’assurée interrompt le travail après y avoir été autorisée dans les conditions fixées à l’article L. 169‑14 du présent code. » ;

3° Après l’article L. 323‑1‑1, il est inséré un article L. 323‑1‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 323‑1‑11. – Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 323‑1, en cas d’incapacité de travail résultant de menstruations incapacitantes, l’indemnité journalière est accordée sans délai. » ;

4° Après l’article L. 323‑4, il est inséré un article L. 323‑4‑1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 323‑4‑1 A.  Par dérogation à l’article L. 323‑4, l’indemnité journalière versée dans le cas visé à l’article L. 323‑1‑1‑1 e est égale à la totalité des revenus d’activité antérieurs soumis à cotisations à la date de l’interruption du travail, retenus dans la limite d’un plafond et ramenés à une valeur journalière. »

II. – Le II de l’article 115 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est complété par un 8° ainsi rédigé :

« 8° À l’arrêt menstruel mentionné à l’article L. 169‑14 du code de la sécurité sociale. »

Article 2

I. – Après la section 3 du chapitre VI du titre II du livre II de la première partie du code du travail, il est inséré une section 3 bis ainsi rédigée :

« Section 3 bis

« Arrêt menstruel

« Art. L. 1226221. – La salariée a droit, sur justification mais sans préavis, à un arrêt menstruel dans les conditions fixées à l’article L. 169‑14 du code de la sécurité sociale. La durée de cet arrêt ne peut être imputée sur celle du congé payé annuel.

« Art. L. 122622‑2. – En cas de différend, le refus de l’employeur peut être directement contesté par la salariée, visé à l’article L. 1226‑22‑1, devant le conseil de prud’hommes, statuant selon la procédure accélérée au fond, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.

« Art. L. 122622‑3. – Une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peuvent prévoir d’accorder un congé menstruel à la salariée souffrant de menstruations incapacitantes pouvant être pris en supplément des jours indemnisés en application de l’article L. 321‑1 du code de la sécurité sociale. Les jours de congé ainsi accordés sont à la charge de l’employeur.

II. – La section 1 du chapitre II du titre II du livre VIII du code général de la fonction publique est complétée par un article L. 822‑5‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 82251. – Les agents publics bénéficient d’un arrêt menstruel dans les conditions fixées à l’article L. 169‑14 du code de la sécurité sociale. »

Article 3

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) Source : ministère de la Santé et de la Prévention, données consultables sur ce lien : https://www.sante.fr/endometriose/le-diagnostic-souvent-tardif-de-lendometriose


[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT.