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N° 2063

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à geler les tarifs des transports publics franciliens pendant les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Olivier FAURE, M. Jérôme GUEDJ, Mme Fatiha KELOUA HACHI, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Boris VALLAUD, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Guillaume GAROT, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Roger VICOT, les membres du groupe Socialistes et apparentés [(1)],

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les transports publics franciliens conditionnent la vie de millions de nos concitoyens, bien au‑delà des habitants de la Région Île-de-France, poumon politique et économique de notre pays. Chaque jour, plus de 10 millions de voyageurs empruntent le réseau de transport francilien ([1]). Ce flux de passagers représente les trois quarts des déplacements en transports collectifs urbains en France. Il répond à un besoin d’autant plus impérieux que 68 % des emplois sont concentrés sur 6 % du territoire régional et que le réseau routier francilien se trouve largement saturé. Une part importante des actifs dépend donc des transports en commun pour leurs déplacements. Pour le dire autrement, les transports franciliens constituent un élément au cœur de la vie des Françaises et des Français.

Contrairement à ce qui était affirmé par le ministre de l’économie M. Bruno Le Maire en novembre 2023, l’inflation est loin d’être vaincue ([2]). D’après l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), les prix à la consommation ont augmenté de 3,7 % en décembre 2023, tirés par les prix de l’énergie et des services. Comme l’ensemble de la population française, la forte inflation, notamment des produits alimentaires (près de 18 % entre janvier 2022 et août 2023) a fait chuter le pouvoir d’achat des Franciliens. L’Île‑de‑France reste la région dans laquelle le montant des dépenses contraintes est le plus élevé, atteignant un peu plus de 1 300 euros par mois, soit 33 % des revenus mensuels nets moyens[3]. Les dépenses liées au logement (847 euros par mois en moyenne contre 712 euros pour l’ensemble de la France) ainsi que celles concernant les transports en commun (75 euros contre 58 euros pour l’ensemble de la France) constituent les deux principaux postes incompressibles. Dès lors, la politique tarifaire des transports publics franciliens apparaît comme un levier déterminant pour protéger le pouvoir d’achat des Franciliens.

« Je maintiendrai le pass Navigo à 70 euros car je ne jouerai pas avec le pouvoir d’achat des Franciliens » : voici ce que déclarait en 2015 Mme Valérie Pécresse, alors candidate à la présidence de la région Île‑de‑France, au sujet du prix du pass Navigo.

Pourtant, les usagers franciliens paient, depuis 2016, une partie de plus en plus importante de l’effort de financement des transports publics franciliens. Utilisé par un peu plus de deux millions de Franciliens en janvier 2023, le pass Navigo est un dispositif indispensable aux mobilités en Île‑de‑France. Pourtant, son prix a connu entre 2015 et 2023 une hausse brutale de 14,10 euros le faisant passer de 70 euros en 2015 à 84,10 euros en 2023, soit une augmentation de 20 %. Pour rappel, les usagers ont vu le prix de l’abonnement au pass Navigo augmenter brutalement le 1er janvier 2023, passant de 75,20 à 84,10 euros par mois.

La signature d’un protocole de financement entre l’État et Île‑de‑France mobilité (IDFM), le 26 septembre 2023, pour la période 2024‑2031, signe l’échec d’une politique tarifaire devenue la variable d’ajustement de l’équilibre du réseau des transports collectifs en Île‑de‑France. Ainsi, cet accord de financement entre l’État et l’opérateur IDFM prévoit une nouvelle augmentation de près de 2,6 % du prix du pass Navigo, passant dès le 1er janvier 2024 à 86,40 euros. Plus grave encore, cet accord entérine le principe d’un pass Navigo dont le prix augmentera annuellement plus rapidement que l’inflation (l’accord prévoit une hausse annuelle équivalente à « l’inflation +1 % »).

Suivant un tel rythme, le prix du pass Navigo mensuel dépassera bientôt les 100 euros et coûtera donc de plus en plus cher à des Franciliens massivement touchés par le contexte d’inflation galopante.

En outre, les usagers franciliens subissent les conséquences d’une dégradation inédite du réseau géré par Île‑de‑France Mobilités depuis plusieurs mois. Retards récurrents, quais bondés, lignes saturées, problème de recrutement de conducteurs, vétusté de certaines lignes historiques : cette dégradation quotidienne de la qualité des transports ne peut conduire à une hausse aussi importante des tarifs.

Au coup de massue financier précité, s’ajoute la perspective de la mise en concurrence de la RATP qui conduit d’ores et déjà à une situation de mal être social et de désorganisation durable du réseau francilien sous pression. Ainsi, le rapport n° 1079 de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur la proposition de loi de M. Stéphane Peu et plusieurs de ses collègues visant à surseoir à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la Régie autonome des transports parisiens (995) ([4]) fait état de l’ensemble des questions qui restent en suspens concernant cette ouverture à la concurrence : « enjeux de la coordination de l’offre, de la gestion des incidents, de l’information des voyageurs ou encore de la billettique ne sont toujours pas traités, préfigurant une désorganisation durable du réseau et sa paralysie probable ». La question tarifaire, à laquelle cette proposition de loi vient répondre ne peut ainsi être dissociée de la perspective d’une désorganisation aussi importante du réseau francilien.

En sus de l’augmentation continue du prix des titres de transport, Valérie Pécresse a annoncé une tarification spéciale pour les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, vécue à juste titre comme un nouvel affront pour les usagers tributaires de politiques tarifaires déjà injustes. Ainsi, entre le 20 juillet et le 8 septembre 2024, le prix du ticket de métro à l’unité va ainsi quasiment doubler, passant de 2,10 euros actuellement à 4 euros. Pour un pass permettant l’accès à toutes les zones pour une semaine, il en coûtera 70 euros. Cette tarification spéciale concernera l’ensemble des personnes empruntant les transports, touristes comme habitants.

Par cette décision politique, inique et brutale, Mme Valérie Pécresse fait le choix de faire reposer les besoins financiers supplémentaires induits par la forte affluence des Jeux Olympiques et Paralympiques sur les quinze millions de visiteurs attendus qui seront à 90 % des Françaises et des Français ([5]), en grande partie des travailleurs des métiers de la première ligne, plutôt que de viser les touristes aisés qui ne contribuent que très modestement au financement des transports publics d’Île‑de‑France.

Cette nouvelle tarification va clairement à l’encontre de la promesse d’un « accès gratuit à l’ensemble du réseau de transport en commun pour les populations accréditées et les détenteurs de billets » inscrite dans le dossier de candidature pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024[6].

À défaut de constituer un événement accessible et inclusif pour une grande majorité des Français, cette politique tarifaire injuste risque de décourager de nombreux Français et touristes de participer aux festivités olympiques, en raison des coûts supplémentaires associés au transport. Ce choix est d’autant plus regrettable qu’historiquement les autorités organisatrices des Jeux Olympiques ont opté pour la gratuité des transports ou une politique tarifaire avantageuse. Ainsi, Athènes en 2004, Pékin en 2008 ou encore Londres en 2012 ont assuré des déplacements gratuits pour les personnes disposant d’un billet permettant d’assister à une épreuve olympique. De son côté, Rio de Janeiro avait rendu les transports payants, notamment pour financer l’extension et la remise à niveau du réseau de la mégalopole. Les prix avaient été fixés à l’époque, en tenant compte de la conversion et l’inflation, soit 7 euros pour un passe d’une journée, et 44 euros pour la semaine.

Enfin, la politique tarifaire actuelle, qu’il s’agisse de la hausse continue du prix des titres de transports ou de la hausse exceptionnelle prévue pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, ne permet pas d’accélérer la transition écologique, dans une région où 46 % des trajets domicile‑travail s’effectuent encore en véhicule individuel ([7]).

Alors que d’autres collectivités font le choix de politiques tarifaires extrêmement ambitieuses en matière de transports publics, à l’instar de Montpellier, plus grande métropole européenne à instaurer la gratuité des transports en commun pour tous ses habitants afin de réduire la pollution et améliorer la qualité de vie, l’Île‑de‑France s’inscrit dans une logique inverse d’inflation tarifaire qui risque à terme d’empêcher la progression du report modal vers les transports en commun.

Nous sommes conscients que l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques et l’affluence attendue dans les transports publics d’Île‑de‑France vont engendrer des coûts supplémentaires pour Île‑de‑France Mobilités. Pour faire face à l’afflux de touristes et de spectateurs, les lignes vont devoir être dédoublées ou renforcer, le nombre de chauffeurs augmenter, les cadences s’intensifier, les plages horaires élargies… Le coût global pour Île‑de‑France Mobilités sur la période des jeux olympiques est estimé à 200 millions d’euros ([8]).

Il existe néanmoins une autre option possible pour éviter d’augmenter le coût des tickets et des abonnements aux transports publics franciliens. À travers la taxe de séjour, nous pouvons mettre principalement à contribution les étrangers aisés, résidant notamment dans des palaces ou des hôtels de tourisme 4 et 5 étoiles, qui ont prévu de se déplacer sur l’Île‑de‑France à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024. Ce choix permettrait de préserver le pouvoir d’achat des Françaises et des Français qui pourraient ainsi bénéficier d’un gel des prix des transports publics en Île‑de‑France pendant la période des Jeux.

Pour remédier à cette situation injuste socialement et inconséquente en matière environnementale, l’article 1er vise donc à geler l’ensemble des tarifs relatifs aux transports publics du 1er juillet au 30 septembre 2024, afin de protéger le pouvoir d’achat des utilisateurs des transports en commun franciliens.

Il vise également à assurer une meilleure contribution de l’activité touristique au financement des charges de centralité des communes d’accueil et du réseau de transports en majorant la taxe de séjour additionnelle dans la région d’Île‑de‑France retenue par la loi n° 2023‑1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024. Le rapport de l’Inspection générale des finances sur les perspectives financières d’Île‑de‑France Mobilités ([9]) précise qu’ « une telle taxe additionnelle représente un faible surcoût pour les voyageurs » rapporté au coût d’une chambre et que « peu d’effets macroéconomiques significatifs sont à attendre ». Par exemple, la taxe de séjour pour un palace parisien atteint au maximum 5 euros alors que le prix moyen d’une chambre à Paris est de 230 euros la nuit. De plus, les familles seront moins impactées car les enfants de moins de 18 ans sont exonérés de taxe de séjour. Par ailleurs, la hausse du chiffre d’affaires est significative pour les hôteliers sur le premier semestre 2023 par rapport au premier semestre 2022 : près de 40 % pour les établissements parisiens de type économique, milieu de gamme ou encore luxe et palace et près de 50 % pour les établissements haut de gamme. Cette majoration de la taxe additionnelle, qui générera 200 millions d’euros sur l’année 2024, permettra de couvrir le coût d’exploitation supplémentaire imputable à Île‑de‑France Mobilités pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques en mettant davantage à contribution les touristes qui ne financent qu’à hauteur de 30 % le coût des transports. Ce faisant les travailleurs contraints de rester en Île‑de‑France durant l’été 2024 ne seront pas appelés à une contribution supplémentaire comme le prévoit l’accord Beaune‑Pécresse.

L’article 2 concerne une demande de rapport sur l’adéquation entre les hausses de tarifs applicables aux transports publics franciliens depuis 2016 et l’évolution du service rendu aux usagers.

L’article 3 gage la présente proposition de loi bien que l’impact réel soit nul puisque la recette nouvelle perçue par les collectivités sera immédiatement transférée vers Île‑de‑France Mobilités.

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – L’article L. 1241‑2 du code des transports est complété par un III ainsi rédigé :

« III. – Par dérogation au 5° du présent article et à l’article L. 1221‑5, les tarifs applicables en 2024 sont ceux appliqués au 1er janvier 2024. »

II. – L’article L. 2531‑18 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les nuitées comprises entre le 1er juillet 2024 et le 31 décembre 2024 inclus, le taux de la taxe additionnelle mentionnée au premier alinéa est porté à 400 %. »

Article 2

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’adéquation entre les hausses de tarifs des transports publics franciliens depuis 2016 et l’évolution du service rendu aux usagers.

Article 3

La perte de recettes pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) https://www.data.gouv.fr/fr/organizations/ile-de-france-mobilites/#:~:text=Chaque%20jour%2C%20ce%20sont%20plus,la%20RATP%20et%20la%20SNCF

([2]) https://www.francetvinfo.fr/economie/inflation/l-inflation-vaincue-selon-bruno-le-maire-on-ne-peut-pas-nier-le-recul-il-est-tout-a-fait-significatif-et-surtout-il-est-persistant-estime-un-economiste_6215424.html

([3]) https://csa.eu/news/indice-des-depenses-contraintes-vague-5/#:~:text=En%20moyenne%2C%20les%20Fran%C3%A7ais%20d%C3%A9boursent,2022%2C%20soit%20%2B9%25

([4]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-dvp/l16b1079_rapport-fond

([5]) https://www.leparisien.fr/jo-paris-2024/tourisme-a-paris-durant-les-jo-plus-de-15-millions-de-visiteurs-attendus-dont-90-de-francais-09-01-2024-HBDENLGHOBHVVHOYU45KIKTADA.php

([6]) https://international.franceolympique.com/international/fichiers/File/Paris2024/Candidature/p2024_p3.pdf

([7]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/1285604

([8]) https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/01/23/j0-2024-le-transport-necessitera-200-millions-d-euros-supplementaires-pour-ile-de-france-mobilites_6158959_3234.html#:~:text=de%20Paris%202024-,Paris%202024%20%3A%20200%20millions%20d'euros%20de%20d%C3%A9penses%20suppl%C3%A9mentaires%20%C3%A0,des%20Jeux%20olympiques%20et%20paralympiques.&text=Lecture%201%20min.

([9]) https://www.ecologie.gouv.fr/publication-du-rapport-ligf-et-ligedd-sur-perspectives-financieres-dile-france-mobilites


[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT.