N° 2097

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à améliorer la sécurité des commerçants dans l’exercice de leurs activités,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Romain DAUBIÉ,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les vols à l’étalage ont progressé de plus de 14 % en 2022, soit près de 42 000 délits de la sorte recensées par la police et la gendarmerie sur l’année. Ce pourcentage est d’ailleurs similaire qu’il s’agisse dans grandes villes ou des villes situées en zones rurales.

La première cause identifiée de cette recrudescence de vols à l’étalage est bien entendu l’inflation. Le prix des produits alimentaires a augmenté de près de 16 % sur une seule année. Bien que toutes les tailles de commerces soient touchées, les grands hypermarchés avec leurs caisses automatiques par exemple, ceux qui sont les plus fortement impactés sont les petits commerçants. Selon une enquête menée par la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) en 2018, trois commerçants sur quatre déclarent avoir déjà été victimes de vol ou de tentative de vol.

Les conséquences pour les petits commerces de nos villes et villages sont dramatiques : on chiffre la perte de chiffre d’affaires à près de 2 % du chiffre d’affaires, ce qui représente souvent une large partie de la trésorerie des commerçants. Ils n’ont pas la même résilience ou facilité à rebondir que les hypermarchés justement, de leur chiffre d’affaires dépend souvent leur salaire à la fin du mois, voire leur survie.

Au‑delà de l’aspect financier, ces vols sont complexes à gérer en interne. Tensions au sein des équipes, difficultés à travailler correctement, sentiment fort d’insécurité.

Le ministère de la justice a créé en juillet 2023 un nouveau dispositif pour lutter contre ces vols à l’étalage. Il s’agit d’une amende forfaitaire délictuelle que devront payer les auteurs de vol à l’étalage pris en flagrant délit, s’ils veulent éviter les poursuites judiciaires.

Par ailleurs, la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur doit permettre le recrutement de 8 500 policiers et gendarmes sur 5 ans grâce notamment à un investissement de 15 milliards d’euros d’ici 2027. L’ambition est de doubler la présence des forces de l’ordre sur le terrain d’ici 2030.

Ces mesures bienvenues sont essentielles pour la prévention de l’ordre public, pour lutter contre la petite délinquance notamment grâce à une police de proximité.

Malheureusement, le volume des vols est trop important pour qu’il soit demandé aux policiers de tous les identifier et d’en appréhender les auteurs.

Et malgré ces mesures, les vols à l’étalage continuent d’augmenter.

Alors, nombre sont les commerçants qui ont recours à l’installation de caméras de vidéoprotection pour lutter contre ce phénomène. L’installation de caméras dans un lieu ouvert au public est encadrée par la loi n° 95‑115 du 4 février 1995 dite « Pasqua ». Cette législation relative à la vie privée oblige les lieux au public à informer les usagers de l’utilisation d’un tel système.

Le recours à la vidéoprotection est souvent employé par les commerçants d’abord pour son effet dissuasif. Mais les choses se compliquent lorsqu’il s’agit d’exploiter réellement les images de ces caméras. En effet, ces images ne peuvent être utilisées ou diffusées sous peine de sanctions, en vertu du droit à l’image. Le seul moyen d’utiliser ces images est de les conserver comme preuve pour identifier les auteurs de vols ou d’agressions lors d’un procès au tribunal après avoir porté plainte. De nombreux commerçants se sentent découragés par cette procédure longue et complexe, dont les résultats incertains sont peu motivants et qui les protègent peu de la récidive des voleurs.

Dans l’état actuel du droit, l’article L226‑1 du code pénal dispose que « est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :

(…)

2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celleci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé

(…) ».

Bien entendu, cet article du code pénal exprime une forte volonté de protection de l’image de chacun, afin que des contenus ne se retrouvent pas en ligne sans le consentement de la personne visée. Mais dans sa rédaction, cet article du code pénal peut porter à interprétation, et avoir des effets contre‑productifs, puisqu’il protège, dans le cas du vol à l’étalage, les auteurs du délit.

Le « name and shame », bien qu’il ne soit pas une pratique toujours vertueuse, peut avoir tout de même pour effet de responsabiliser les auteurs de faits, mais aussi un effet dissuasif sur la récidive. C’est d’ailleurs une pratique utilisée dans d’autres secteurs, comme l’économie par exemple, lorsqu’il paraît opportun de signaler que telle ou telle entreprise ne respecte pas certaines de ses obligations, comme cela a été évoqué par le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté numérique en mai 2023 au sujet des prix de l’industrie agroalimentaire ou comme cela a été fait par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en juin 2023 au sujet d’influenceurs ayant des pratiques commerciales trompeuses.

Par ailleurs, le même article du code pénal cité ci‑dessus prévoit qu’en termes de consentement de la victime, lorsque les faits ont été commis au vu et au su de la victime sans qu’elle s’y soit opposée alors qu’elle pouvait le faire, son consentement est présumé.

La présente proposition de loi souhaite s’appuyer sur cet aspect de la disposition pour que le consentement soit présumé, pour les personnes entrant dans les établissements recevant du public spécifiques que sont les commerces, les magasins de vente, les restaurants ou débits de boissons indiquant que la vidéoprotection est utilisée.

Concrètement, cette proposition de loi répondra aux attentes de nombreux commerçants, notamment ceux appartenant au collectif « Ras le vol », et permettra la diffusion des images de vidéoprotection, par exemple sur les réseaux sociaux, pour identifier les voleurs et, dans le même temps, simplifier le travail des forces de l’ordre et de la justice.

L’article 1 de cette proposition de loi modifie l’article L. 226‑1 du code pénal afin que le consentement des personnes pénétrant dans des commerces, magasins de vente, restaurants ou débits de boissons ayant recours à la vidéoprotection soit présumé. Cette disposition ne s’appliquera pas aux mineurs.

L’article 2 ajoute un alinéa à l’article L. 253‑5 du code de la sécurité intérieure et précise que la charge de la preuve de l’absence de respect de l’obligation d’information de l’existence d’un système de vidéoprotection pèse alors sur la victime du droit à l’image.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article 226‑1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque les actes mentionnés aux 1° et 2° du présent article ont été accomplis au sein d’un commerce, magasin de vente, restaurant ou débit de boissons, le consentement des intéressés est présumé. Cette disposition ne s’applique pas aux mineurs. ».

Article 2

L’article L. 253‑5 du code de la sécurité intérieure est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Dans le cas particulier d’un défaut d’affichage de l’existence d’un système de vidéoprotection dans un commerce, magasin de vente, restaurant ou débit de boissons, la preuve de ce défaut doit être apportée par la personne se prévalant du droit à l’image.

« Les modalités d’application de cette disposition sont précisées par un décret du Conseil d’État. »