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N° 2101

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à favoriser et pérenniser l’emploi des travailleurs seniors,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Victor CATTEAU, M. Franck ALLISIO, M. Philippe BALLARD, M. Christophe BARTHÈS, M. Romain BAUBRY, M. José BEAURAIN, M. Christophe BENTZ, M. Pierrick BERTELOOT, M. Bruno BILDE, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Sophie BLANC, M. Frédéric BOCCALETTI, M. Jorys BOVET, M. Jérôme BUISSON, M. Frédéric CABROLIER, M. Sébastien CHENU, M. Roger CHUDEAU, Mme Caroline COLOMBIER, Mme Annick COUSIN, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, M. Jocelyn DESSIGNY, Mme Edwige DIAZ, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Nicolas DRAGON, Mme Christine ENGRAND, M. Frédéric FALCON, M. Grégoire DE FOURNAS, M. Thibaut FRANÇOIS, M. Thierry FRAPPÉ, Mme Stéphanie GALZY, M. Frank GILETTI, M. Yoann GILLET, M. Christian GIRARD, M. José GONZALEZ, Mme Florence GOULET, Mme Géraldine GRANGIER, M. Daniel GRENON, M. Michel GUINIOT, M. Jordan GUITTON, Mme Marine HAMELET, Mme Catherine JAOUEN, M. Alexis JOLLY, Mme Hélène LAPORTE, Mme Laure LAVALETTE, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Gisèle LELOUIS, M. Hervé DE LÉPINAU, Mme Katiana LEVAVASSEUR, Mme Christine LOIR, M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI, Mme Marie-France LORHO, M. Alexandre LOUBET, M. Matthieu MARCHIO, Mme Michèle MARTINEZ, Mme Alexandra MASSON, M. Bryan MASSON, M. Kévin MAUVIEUX, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Joëlle MÉLIN, Mme Yaël MENACHE, M. Thomas MÉNAGÉ, M. Serge MULLER, M. Julien ODOUL, Mme Mathilde PARIS, M. Kévin PFEFFER, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, Mme Anaïs SABATINI, M. Emeric SALMON, M. Philippe SCHRECK, M. Emmanuel TACHÉ DE LA PAGERIE, M. Jean-Philippe TANGUY, M. Michaël TAVERNE, M. Antoine VILLEDIEU,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le vendredi 17 février 2023, l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) portant l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans s’est achevé sans vote. L’article 7 dudit projet de loi, cœur nucléaire de cette réforme modifiant l’âge légal de départ à la retraite, n’a pas pu être discuté et voté par les députés.

Malgré la réelle contestation sociale, la loi a été promulguée le 14 avril 2023 et publiée au Journal officiel le 15 avril 2023.

Cette réforme, bien que vendue par la majorité comme étant une mesure financière nécessaire pour la survie de notre système de retraites, impactera évidemment, tant physiquement que professionnellement, les travailleurs seniors dans les années à venir comme ils avaient déjà été impactés à l’issue des réformes précédentes touchant à l’âge légal de départ à la retraite.

Il apparaît ainsi nécessaire de légiférer en faveur des travailleurs seniors de notre pays, dans la mesure où ceux‑ci font aujourd’hui face à un environnement salarié qui ne leur est pas favorable, et ce, dans l’objectif de les accompagner au mieux vers une fin de carrière digne et en adéquation avec leurs aspirations professionnelles mais aussi personnelles.

En France, la problématique de l’emploi des seniors n’est pas négligeable et s’illustre par le taux d’emploi actuel des travailleurs seniors qui demeure relativement faible en comparaison de nos voisins européens. Comme le souligne le rapport de la DARES ([1]), en 2021, le taux d’emploi des travailleurs français âgés de 55 à 64 ans (56 %) était inférieur à la moyenne des pays membres de l’Union européenne (60,5 %) et largement inférieur à celui du Portugal (63,4 %), de l’Allemagne (71,8 %) et de la Suède (76,9 %).

Ces écarts sont d’autant plus visibles au regard du taux d’emploi des travailleurs âgés de 60 à 64 ans qui était de 29,4 % en France tandis que la moyenne de l’Union européenne était de 42,5 % alors même que cette moyenne inclut des pays à situation économique moins favorable que celle de la France (notamment les pays du sud de l’Europe) et des pays où l’espérance de vie est bien inférieure à celle de notre pays (notamment les pays de l’Europe orientale).

La principale difficulté que rencontrent aujourd’hui les seniors français est celle du retour à l’emploi. Les perspectives de retour à l’emploi après une rupture d’activité se compliquent en effet à l’approche de l’âge légal de départ à la retraite. Ainsi, France Stratégie ([2]) note que le taux mensuel de sortie de Pôle Emploi suite à une reprise d’activité est de 1,2 % pour les personnes âgées de 60 à 64 ans, de 1,3 % pour celles de plus de 55 ans et de 1,6 % pour celles de plus de 50 ans. Ces chiffres contrastent nettement avec le taux d’insertion des plus jeunes, qui est de 6,2 % pour les personnes de moins de 25 ans et de 3,7 % pour celles âgées de 25 à 49 ans.

Les seniors ne représentent effectivement pas une priorité pour les entreprises, qui préfèrent les salariés plus jeunes ; moins coûteux, souvent moins exigeants sur les conditions de travail, et souvent plus enclins à s’installer sur le long terme au sein de l’entreprise. Une réelle discrimination à l’embauche, alimentée par un « effet d’horizon » contraint massivement les seniors à rester au chômage. Le retour à l’emploi est par conséquent souvent plus long est plus dur que pour les autres tranches d’âge ([3]).

Les seniors représentent pourtant une plus‑value réelle pour les entreprises dans la mesure où ils ont connu des carrières professionnelles dans la plupart des cas longues, riches d’apprentissages et d’expériences. Ces compétences peuvent ainsi représenter de véritables atouts pour les entreprises mais également pour les jeunes générations dans une logique d’apprentissage.

Outre le manque de volonté d’un bon nombre d’entreprises d’embaucher des travailleurs seniors, la difficulté pour ces derniers de retrouver un emploi s’explique également par le manque de politiques publiques qui ont été mises en place ces dernières années en faveur de l’emploi des seniors. Depuis le début du siècle, seuls deux plans ont en effet véritablement été mis en place dans cette optique, le plan senior de 2006 et le plan de 2014 ([4]).

Ce manque d’action de la part des pouvoirs publics s’explique en partie du fait des volontés politiques successives de ne pas pénaliser les jeunes sur le marché de l’emploi en favorisant les seniors. La crainte que les plus jeunes soient évincés du marché du travail par les travailleurs plus âgés avait d’ailleurs justifié la mise en place des politiques de préretraites publiques suite à la crise économique des années 1970 et à la hausse conséquente du chômage.

Toutefois, la littérature économique ([5]) considère généralement qu’il n’existe pas nécessairement de « concurrence » entre l’emploi des travailleurs seniors et celui des jeunes, du moins à long terme. Au niveau macroéconomique et à long terme, il apparaît ainsi que les variations des taux d’emploi ou de chômage sont surtout sensibles à l’évolution du produit intérieur brut du pays, qu’il s’agisse des jeunes ou des travailleurs seniors. C’est pourquoi le Conseil d’orientation des retraites (COR) ([6]) estime que « l’hypothèse d’une substitution entre emploi des travailleurs seniors et emploi des jeunes est peu probable, en raison des différences de capital humain et de poste occupé ».

Le principal objectif de cette proposition de loi porte ainsi sur la problématique du retour à l’emploi des seniors et de la pérennisation de leurs activités. Dans cette optique, il apparaît ainsi essentiel de mettre en place des mesures destinées à encourager la reprise d’activité des seniors mais également de favoriser le maintien des travailleurs seniors dans l’emploi afin de traiter le problème en amont.

Si cette proposition de loi n’a pas vocation à résoudre la problématique de l’emploi des seniors dans son ensemble, elle souhaite toutefois apporter rapidement des mesures concrètes relatives au maintien de l’emploi des seniors et à leur retour sur le marché du travail en cas de perte d’emploi. Ces mesures cherchent ainsi à aller dans le sens des seniors au vu de l’absence, à ce jour, de véritables plans ou projet de loi destinée à traiter le sujet dans sa globalité. Ces mesures semblent d’autant plus nécessaires qu’aucune action en faveur de l’emploi des seniors n’a été prise dans la précédente réforme des retraites, l’index senior et le contrat de travail senior, prévus aux articles 2 et 3 du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, ayant été rejetés par le Conseil constitutionnel.

L’article 1er vise à intégrer les travailleurs de plus de 55 ans dans la catégorie des « travailleurs protégés » dans le but de protéger les seniors en imposant une étude de la part de l’inspection du travail en cas de licenciement afin d’empêcher d’éventuelles discriminations liées à l’âge. Une présomption de discrimination est également créée par cet article afin de permettre aux travailleurs licenciés âgés de 50 à 54 ans de saisir l’inspection du travail s’ils estiment avoir été victime d’une discrimination dans leur licenciement.

L’article 2 a pour but de déplafonner le compte personnel de formation (CPF) des travailleurs de 50 ans révolus et plus. Créé en 2014, ce dispositif permet à son bénéficiaire de disposer chaque année de 500 euros supplémentaires dans les droits à formation qu’il peut utiliser, et ceci dans la limite d’un plafond de 5 000 euros (800 euros par an dans la limite de 8 000 euros pour les actifs les moins qualifiés). Déplafonner ce compte pourrait ainsi permettre aux travailleurs seniors de bénéficier d’une plus large capacité de financement de formation en cas de changement de voie professionnelle.

L’article 3 propose de modifier les dispositions actuelles du « CDD senior » en abaissant l’âge d’éligibilité à ce contrat de 57 à 55 ans afin d’inclure un plus grand nombre de seniors, et en portant sa durée maximale à cinq ans, renouvelable une fois, ajustement nécessaire au vu du report de l’âge de départ légal à la retraite à 64 ans. Ces modifications ont pour but de permettre aux seniors de bénéficier de possibilités de retour à l’emploi en cas de licenciements jusqu’à l’acquisition de l’ensemble de leurs droits via des contrats plus longs et moins précarisant qu’actuellement.

L’article 4 complète l’action de l’article 3 en supprimant le délai de carence entre deux contrats à durée déterminée destinés au retour à l’emploi des seniors. L’objectif est de faciliter l’embauche pour les entreprises, qui n’auront pas à assumer ce délai de carence, de seniors et de permettre à ces derniers de passer davantage de temps dans la même entreprise tout en étant couverts par le même contrat.

L’article 5 vise à l’instauration, au sein des négociations pré‑existantes et obligatoires dans les entreprises, de la question de l’emploi des seniors. Tous les quatre ans, les entreprises seront amenées à aborder la question du recrutement et de la pérennisation des emplois seniors.

L’article 6 vise à compenser les charges induites pour l’État par la présente proposition de loi afin d’en garantir sa recevabilité financière.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 1132‑3‑3, il est inséré un article L. 1132‑3‑4 ainsi rédigé :

« Art. L. 113234. – Toute personne faisant l’objet d’une procédure de licenciement, dont l’âge est compris entre cinquante et cinquante‑quatre ans révolus, et estimant faire l’objet d’une mesure discriminatoire en raison de son âge, peut solliciter l’inspection du travail au sens de l’article L. 1132‑1.

« Dès lors que la suspicion est établie et admise par l’inspecteur du travail, la procédure mentionnée à la section 1 ou à la section 2 du chapitre Ier du titre II du livre IV de la deuxième partie du code du travail peut s’appliquer au cas d’espèce. »

2° Après l’article L. 2411‑1, il est inséré un article L. 2411‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 241111. – Bénéficie également de la protection contre le licenciement prévue par le présent chapitre le salarié dont l’âge est supérieur ou égal à cinquante‑cinq ans. »

3° Le chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie est complété par une section 16 ainsi rédigée :

« Section 16

« Licenciement d’un salarié âgé de cinquante‑cinq ans et plus

« Art. L. 241126. – Le licenciement d’un salarié dont l’âge est supérieur ou égal à cinquante‑cinq ans ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail. »

4° La section 1 du chapitre II du titre Ier du livre IV de la deuxième partie est complétée par un article L. 2412‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 241211. – Bénéficie également de la protection contre le licenciement prévue par le présent chapitre le salarié dont l’âge est supérieur ou égal à cinquante‑cinq ans. »

Article 2

Après l’article L. 6323‑11‑1 du code du travail, il est inséré un article L. 6323‑11‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 6323112.  L’alimentation du compte des salariés de cinquante ans révolus et plus n’est pas soumise aux plafonds mentionnés aux articles L. 6323‑11, L. 6323‑11‑1, L. 6323‑27 et L. 6323‑34. »

Article 3

Après l’article L. 1242‑3 du code du travail, il est inséré un article L. 1242‑3‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 124231.  I. – Tout employeur, à l’exception des professions agricoles, peut conclure un contrat de travail à durée déterminée, en application du 1° de l’article L. 1242‑3, avec une personne âgée de cinquante‑cinq ans révolus et plus inscrite depuis plus de trois mois comme demandeur d’emploi ou bénéficiant d’une convention de reclassement personnalisé afin de faciliter son retour à l’emploi et de lui permettre d’acquérir des droits supplémentaires en vue de la liquidation de sa retraite à taux plein.

« II. – Le contrat de travail à durée déterminée conclu pour le retour à l’emploi des salariés âgés, prévu à l’article L. 1242‑3‑1, peut être conclu pour une durée maximale de cinq ans et peut être renouvelé une fois. »

Article 4

L’article L. 1244‑3 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le délai de carence établi au présent article ne s’applique pas au contrat à durée déterminée destiné à faciliter le retour à l’emploi des seniors tel que défini dans la partie réglementaire du présent code. »

Article 5

L’article L. 2242‑1 du code du travail est complété par un 3° ainsi rédigé :

« 3° Une négociation sur le recrutement et la pérennisation des emplois seniors dans l’entreprise. »

Article 6

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 


([1]) Rapport de la DARES (concept BIT) - “Les seniors et le marché du travail”

([2])  Rapport de France Stratégie -  “Les séniors, l’emploi et la retraite” - octobre 2018

([3])  LUBIN Monique et SAVARY René-Paul, Rapport d’information sur l’emploi des seniors, Sénat, 26 septembre 2019

([4])  « Emploi des seniors : agir sur tous les leviers », Institut Montaigne, Octobre 2022

([5])   « Les seniors, l’emploi et la retraite », France Stratégie, 1er octobre 2018

([6])  « Réformes des retraites et report de l’âge : quels effets et dans quelles conditions ? », Conseil d’orientation des retraites, La lettre du COR n°14, 14 février 2017