N° 2149

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 février 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à réduire l’exposition de la population à la pollution de l’air,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Luc FUGIT, M. Anthony BROSSE, M. Jean-Marc ZULESI,

députés.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Entre 2016 et 2019 et selon les données de Santé publique France, l’exposition aux particules fines (PM2,5) des personnes âgées de 30 ans a été responsable de près de 40 000 décès par an ([1]).

Si les données récentes évoquent une tendance à la baisse de la mortalité en lien avec la pollution de l’air ambiant (7 % de la mortalité totale de la population française attribuable à une exposition aux PM2,5 contre 9 % pour la période 2007‑2008), l’exposition de la population à la pollution de l’air reste un enjeu de santé publique majeur et représente un coût sanitaire et socio‑économique global de près de 100 milliards d’euros par an, selon un rapport rendu par la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air ([2]).

On distingue les polluants dits primaires (monoxyde d’azote, dioxyde de soufre, monoxyde de carbone, métaux lourds etc..) et les polluants dits secondaires (comme l’ozone Troposphérique) qui sont, eux, issus de réactions chimiques sous l’influence des conditions météorologiques. Certains polluants comme le dioxyde d’azote (NO2) et les particules fines (PM10 et PM2.5), sont à la fois des polluants primaires et secondaires.

Si les pics de pollution sont la partie visible de l’iceberg, c’est bien la pollution de fond, celle à laquelle nous sommes soumis quotidiennement, qui impacte le plus notre santé et l’environnement. Cette pollution fragilise nos systèmes respiratoires et augmente les risques de maladies respiratoires, neurologiques et cardio‑vasculaires. Elle a également un impact sur la biodiversité, les rendements agricoles, ou encore la dégradation des bâtiments.

Les polluants responsables de l’impact sanitaire et environnementale de la pollution de l’air, sont nombreux, et ne proviennent pas tous des mêmes sources. Selon les estimations du Centre interprofessionnel technique d’étude de la pollution atmosphérique (CITEPA), en France en 2022, les oxydes d’azote NOX proviennent à 53 % du secteur des véhicules utilisant des énergies fossiles, 57 % de l’émission des particules fines PM2.5 viennent du secteur résidentiel et tertiaire, (le chauffage au bois non performant correspond à lui seul à 43 % des émissions nationales de PM2.5), l’ammoniac NH3 est émis à 93 % par le secteur agricole, et le dioxyde de soufre SO2 à 82 % par l’industrie.

La présente proposition de loi n’a pas vocation à traiter des émissions de CO2 et de gaz à effet de serre, mais cible les polluants dits de proximité, à l’impact direct sur notre santé respiratoire.

Historiquement, les premiers objectifs de réduction des émissions de polluants atmosphériques ont été établis par la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance de 1979, confirmés par le protocole de Göteborg, adopté en 1999 sous l’égide de la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies et signé par 31 parties dont la France. Entré en vigueur le 17 mai 2005, il fixe pour la première fois, des plafonds d’émissions pour quatre polluants (dioxyde de soufre SO2, oxydes d’azote NOX, composés organiques volatils non méthaniques COVNM, ammoniac NH3) pour 2010. En 2012, de nouveaux engagements de réduction à l’horizon 2020, par rapport à l’année de référence de 2005 ont été fixés, avec l’ajout de plafonds d’émissions pour les particules fines primaires (PM2,5). Ce traité est le premier engagement multilatéral contraignant à fixer des engagements de réduction pour ces particules.

Les objectifs présentés par le Protocole de Göteborg, ont été repris et renforcés par l’Union européenne, à travers la Stratégie thématique sur la pollution atmosphérique (STPA), la directive 2001/81/CE du Parlement européen et du Conseil (qui a plafonné à partir de 2010, les émissions annuelles totales des 4 polluants présentées par le protocole de Göteborg) et à travers la directive (EU) 2016/2284 fixant de nouveaux plafonds pour la décennie 2030‑2040.

C’est dans ce cadre, que la France élabore son plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) qui fixe la stratégie de l’État pour réduire les émissions de polluants atmosphériques au niveau nationale et respecter ainsi, les exigences érigées au niveau communautaire (le dernier plan prendra fin en 2026). Ce plan regroupe des règlementations sectorielles, des mesures fiscales, des actions de sensibilisation et regroupe les orientations de l’État en faveur de la qualité de l’air sur le moyen terme et sur le long terme dans de nombreux secteurs comme l’industrie, les transports ou encore l’agriculture. Un décret fixe les objectifs de réduction à horizon 2020, 2025 et 2030 et un arrêté précise les actions de réduction des émissions à renforcer ou à mettre en œuvre. L’arrêté du 8 décembre 2022 précise les mesures à mettre en œuvre pour la période 2022‑2025 ([3]).

En ce qui concerne l’encadrement des politiques nationales de surveillance, de prévention et de réduction de la pollution atmosphérique et la qualité de l’air, la France s’en réfère à la loi n° 961236 du 30 décembre 1996 qui a notamment inscrit dans la loi le « droit reconnu à chacun, à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé ».

Depuis lors, la législation relative à la qualité de l’air, n’a cessé d’être étoffée et renforcée (notamment via la loi de transition écologique pour la croissance verte de 2005, la loi d’orientation des mobilités de 2019, la loi anti‑gaspillage pour une économie circulaire de 2020 ou encore la loi Climat et résilience de 2021), traduisant d’un engagement constant et soutenu des gouvernements successifs en faveur de la réduction des émissions de polluants liées à l’activité humaine.

Malgré une politique volontariste, la France fait régulièrement l’objet de condamnations pour nonrespect des normes de qualité de l’air par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et par le Conseil d’État, les deux juridictions appelant les gouvernants à la mise en place d’actions plus fortes pour améliorer la qualité de l’air respiré.

Aujourd’hui et alors même que l’action gouvernementale s’inscrit dans une trajectoire de réduction des émissions, l’ambition nationale de nos politiques publiques doit être renforcée, afin de réduire l’exposition de la population à la pollution de proximité.

Cette ambition représente le fil conducteur de la présente proposition de loi qui ambitionne de réduire l’exposition à la pollution de l’air tout au long de la vie. Afin d’agir pour lutter contre cette exposition, la présente proposition de loi prend en compte les facteurs pouvant affecter la qualité de l’air intérieur et extérieur : de la construction des bâtiments à leur rénovation, en passant par les enjeux d’urbanisme.

La présente proposition de loi vise donc à compléter le cadre juridique de la politique d’amélioration de la qualité de l’air, en élargissant ses objectifs, et en lui donnant une portée plus forte et plus transversale.

L’article 1er de la proposition de loi propose de redéfinir l’ambition de la politique d’amélioration de la qualité de l’air en France, en y ajoutant la mission de limiter et de surveiller l’exposition de sa population à la pollution atmosphérique.

Afin de limiter l’exposition des travailleurs sur leur lieu d’exercice professionnel, l’article 2 précise les conditions dans lesquelles les entreprises prévoir le recours au télétravail en cas de pic de pollution.

L’article 3 propose de garantir et de renforcer l’affichage des résultats de la surveillance de la qualité de l’air intérieur dans les établissements recevant du public, dans la continuité des dispositions réglementaires ayant déjà été prises.

Afin de renforcer la prise en compte par le secteur de l’urbanisme, de la nécessité d’œuvrer pour protéger la qualité de l’air, l’article 4 propose que soit intégré aux plans Climat‑Air‑Énergie (PCAET), une scénarisation de l’exposition de la population à la pollution de l’air, ainsi qu’une liste des objectifs et des actions permettant la mise en conformité des concentrations en polluants dans l’atmosphère. Cette information se fera en concordance avec les orientations émises par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2021, qui propose notamment, de renforcer progressivement les seuils de concentration de polluants à ne pas dépasser ([4]).

L’article 5 crée des garanties de santé‑environnement pour les installations sportives de plein air, contraignant ainsi l’exploitant d’un établissement recevant ce type d’activités, d’informer les usagers sur la qualité de l’air extérieure, telle qu’évaluée dans le cadre du dispositif national de surveillance de la qualité de l’air et de diffuser aux usagers les recommandations sanitaires et les informations sur les risques de la pratique sportive.

L’article 6 spécifie que le suivi des concentrations des émissions de particules ultrafines ainsi que de certains polluants dits émergents (regroupant les contaminants chimiques ou biologiques, sans statut règlementaire encore défini) doivent être soumis à des dispositifs de surveillance de la qualité de l’air.

L’article 7 prévoit la participation du public par voie électronique, à l’élaboration ou à la révision des plans de protection de l’atmosphère.

Enfin, l’article 8 gage la présente proposition de loi.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

Le second alinéa de l’article L. 220‑1 du code de l’environnement est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :

« Cette action d’intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques pour préserver la qualité de l’air caractérisée notamment par les niveaux en concentration et en émission des différents polluants. À ces fins, elle consiste à économiser et à utiliser rationnellement l’énergie.

« La France s’implique dans cette action au niveau européen et international et veille à la définition d’objectifs et de politiques publiques tenant compte du suivi de l’exposition des populations aux pollutions atmosphériques.

« La protection de l’atmosphère intègre la prévention de la pollution de l’air et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. »

Article 2

Le 1° du II de l’article L. 1222‑9 du code du travail est ainsi rédigé :

« 1° Les conditions de passage en télétravail en cas d’épisode de pollution mentionné à l’article L. 223‑1 du code de l’environnement, pour la protection de la santé des salariés. L’accord ou la charte peut moduler les modalités de passage en télétravail en fonction de la sévérité de l’épisode de pollution ; »

Article 3

La première phrase du premier alinéa de l’article L. 221‑8 du code de l’environnement est ainsi rédigée :

« Une surveillance de la qualité de l’air intérieur, ainsi que la mise à disposition de ses résultats notamment sous forme d’affichage auprès du public concerné est obligatoire, pour le propriétaire ou l’exploitant de certains établissements recevant du public déterminés par décret en Conseil d’État lorsque la configuration des locaux ou la nature du public le justifie. »

Article 4

I. – Après le deuxième alinéa du 3° du II de l’article L. 229‑26 du code de l’environnement, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Ce plan d’action comporte une scénarisation de l’exposition de la population à la pollution de l’air ainsi qu’une liste des objectifs et des actions permettant la mise en conformité des concentrations en polluants dans l’atmosphère avec les valeurs limites mentionnées à l’article L. 221‑1, ainsi que les impacts économiques de ces actions.

« Ce plan intègre également, en cas de risque de dépassement des valeurs recommandées par l’Organisation mondiale de la santé pour le dioxyde d’azote et les particules, un scenario qui vise à atteindre les lignes directrices de ladite organisation. »

II. – L’article L. 229‑26 du code de l’environnement dans sa version antérieure à la publication de la présente loi s’applique pour les plans climat‑air‑énergie territoriaux dont l’élaboration, la mise à jour ou le renforcement ont été initiés préalablement à la date de publication de la présente loi.

Article 5

Le titre II du livre III du code du sport est complété par un chapitre III ainsi rédigé :

« CHAPITRE III

Garanties de santé‑environnement

« Art. L. 3231. – L’exploitant d’un établissement où sont pratiquées une ou des activités physiques ou sportives de plein air informe les usagers sur la qualité de l’air extérieur, telle qu’évaluée dans le cadre du dispositif national de surveillance de la qualité de l’air prévu à l’article L. 221‑2 du code de l’environnement et fournie par les organismes agréés en application de l’article L. 221‑3 du même code.

« En cas d’épisode de pollution au sens de l’article L. 223‑1 dudit code, l’exploitant diffuse aux usagers les recommandations sanitaires et les informations sur les risques de la pratique sportive, établies par le ministre chargé de la santé ou l’Agence régionale de santé.

« Art. L. 3232. – En cas d’épisode de pollution au sens de l’article L. 223‑1 du code de l’environnement, l’autorité administrative peut solliciter les établissements où sont pratiquées une ou des activités physiques ou sportives de plein air, afin qu’ils adaptent leurs jours et horaires d’ouverture, en particulier pour les personnes mineures.

« Art. L. 3233. – L’autorité administrative peut s’opposer à l’ouverture ou prononcer la fermeture temporaire ou définitive d’un établissement qui ne remplirait pas les obligations prévues à l’article L. 323‑1 et l’article L. 323‑2.

Article 6

Après le I de l’article L. 221‑1 du code de l’environnement, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis. – Afin de prévenir leurs effets sur la santé, une surveillance des particules ultrafines et des polluants émergents dont la liste est définie par arrêté est assurée par l’État, avec le concours des collectivités territoriales et la coordination technique de l’organisme tel que mentionnés au I. »

Article 7

I. – À la fin du II de l’article L. 222‑4 du code de l’environnement, les mots : « à enquête publique, dans les conditions prévues au chapitre III du titre II du livre Ier du présent code » sont remplacés par les mots : « à la participation du public par voie électronique, dans les conditions prévues à l’article L. 123‑19 ».

II. – Les procédures d’élaboration ou de révision d’un plan de protection de l’atmosphère engagées avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi et pour lesquelles une enquête publique a été réalisée avant cette date, sont menées à leur terme dans les conditions en vigueur préalablement à la publication de la présente loi.

Article 8

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/pollution-de-l-air-ambiant-nouvelles-estimations-de-son-impact-sur-la-sante-des-francais

([2]) https://www.senat.fr/fileadmin/import/files/fileadmin/Fichiers/Images/commission/enquete/

pollution_air/Synthese_CE_Pollution_de_l_air.pdf

([3]) https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/23028_PREPA_BATweb.pdf

([4]) https://worldhealthorg-my.sharepoint.com/personal/creswickj_who_int/_layouts/15/

onedrive.aspx?ga=1&id=%2Fpersonal%2Fcreswickj%5Fwho%5Fint%2FDocuments%2FCOMMS%2FLWE%2FAir%20quality%2F2021%20AQG%20launch%2FWHO%20AQG%20launch%20%28external%29%2FAQG%20press%20release%20FINAL%20080921%20%5BFR%5D%2Epdf&parent=%2Fpersonal%2Fcreswickj%5Fwho%5Fint%2FDocuments%2FCOMMS%2FLWE%2FAir%20quality%2F2021%20AQG%20launch%2FWHO%20AQG%20launch%20%28external%29