N° 2169

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 février 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Laurent ESQUENET-GOXES, M. Jérémie PATRIER-LEITUS, Mme Violette SPILLEBOUT, M. Jean-Marc ZULESI, Mme Anne-Laure BABAULT, M. Quentin BATAILLON, Mme Chantal BOULOUX, Mme Céline CALVEZ, Mme Eléonore CAROIT, Mme Fabienne COLBOC, Mme Julie DELPECH, M. Philippe FAIT, M. Philippe FREI, Mme Monique IBORRA, M. Gilles LE GENDRE, Mme Constance LE GRIP, M. Denis MASSÉGLIA, Mme Sophie METTE, M. Bruno MILLIENNE, M. Karl OLIVE, M. Emmanuel PELLERIN, M. Stéphane TRAVERT, M. Frédéric VALLETOUX,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Entre 2000 et 2017, les recettes publicitaires des médias historiques (télévision, presse, radio, affichage, cinéma) français se sont effondrées de 43 %. Pour la presse, cette chute a même atteint 71 % ([1]). Depuis, la tendance s’atténue, mais se poursuit.

Pour compenser ces baisses de recettes, les développements du numérique ne suffisent pas. Au premier semestre 2023, les publicités digitales des médias atteignent à peine 6 % du total du marché ([2]). Même si elles sont en augmentation constante, ces nouvelles recettes ne compensent pas les baisses observées. Face à cela, il faut bien sûr repenser le marché publicitaire des médias à l’aune du numérique. Mais cette refonte ne suffira pas.

Dès lors, les médias traditionnels doivent diversifier leurs sources de revenus. Une des réponses à cette crise est le renforcement des droits voisins des éditeurs et agences de presse. Ces derniers sont récents, et ont été créés par la directive européenne 2019/790 « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique ».

Conçus pour permettre aux éditeurs et aux agences de presse de percevoir une partie des revenus que les entreprises du numérique tirent de leurs contenus, les droits voisins répondent à la philosophie européenne d’un développement du numérique nécessairement profitable à tous et cohérent avec le sens de l’intérêt général.

Depuis le début, sur cet enjeu, la France est à l’avant‑garde. Notre pays a été un des premiers États à transposer cette directive.

Pourtant, trois années pleines après l’entrée en vigueur du texte, le bilan de mise en application de celui‑ci est contrasté. Les entreprises du numérique ne jouent pas le jeu de la négociation. Les éditeurs et agences de presse sont contraints de les poursuivre en justice pour tenter d’obtenir une quelconque discussion. Si cette judiciarisation de la procédure a pu fonctionner, elle reste trop longue et incertaine pour permettre l’effectivité du droit. La seule entreprise véritablement sanctionnée n’a d’ailleurs pu l’être que par sa situation de position dominante sur son marché.

Face à ce constat, il est nécessaire d’agir. Les droits voisins peuvent représenter pour la presse française une source de financement de plusieurs centaines de millions d’euros par an.

L’article 1er de cette proposition de loi vise donc à renforcer la procédure de négociation des droits voisins.

D’abord, pour faire face à la mauvaise foi des acteurs numériques à la rétention d’informations que ceux‑ci pratiquent, il demande au gouvernement, après consultation des parties prenantes, d’établir par décret une liste des éléments devant obligatoirement faire l’objet d’une transmission des plateformes vers les acteurs du monde la presse. Actuellement, le flou sur les données devant faire l’objet d’une transmission permet aux entreprises du numérique concernées par le texte de ne délivrer que des éléments très partiels ou indéchiffrables. Il inscrit également dans la loi un délai maximum pour la transmission des éléments de négociation mentionné ci‑dessus. En l’absence de respect de ce délai, l’entreprise incriminée pourrait se voir imposer une amende pouvant aller jusqu’à 2 % de son chiffre d’affaires mondial.

Ensuite, il crée une procédure de médiation par l’Autorité de la concurrence en cas d’absence de conclusion d’un accord dans un délai d’un an à compter de l’ouverture des négociations. Si aucune issue n’est trouvée à cette négociation encadrée, l’autorité de la concurrence sera habilitée à déterminer elle‑même les conditions de rémunération. Cette procédure s’inspire du mécanisme créé par la loi de 2019 en cas d’échec des négociations entre un journaliste et un éditeur ou agence de presse pour la répartition de la rémunération des droits voisins.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

L’article L. 218‑4 du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Après consultation des éditeurs, agences de presse et services de communication au public en ligne concernés, un décret détermine la liste des éléments devant nécessairement faire l’objet d’une transmission de la part des services de communication au public aux personnes mentionnées à l’article L. 218‑1. »

2° Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :

« Le refus exprès ou tacite d’un service de communication au public en ligne de transmettre les éléments mentionnés au troisième alinéa du présent article, ou la transmission partielle de ceux‑ci, est puni d’une amende ne pouvant excéder 2 % de son chiffre d’affaires mondial.

« Est considéré comme un refus tacite le fait pour un service de communication au public en ligne de ne pas délivrer ces éléments dans un délai de six mois à compter de la première demande d’accès aux informations adressée par l’une des personnes mentionnées à l’article L. 218‑1.

« À défaut d’un accord portant sur la rémunération prévue au présent article dans un délai d’un an à compter d’une demande d’ouverture de négociation par une personne mentionnée à l’article L. 218‑1, celle‑ci peut saisir l’autorité de la concurrence. Cette dernière recherche alors, avec le demandeur et le ou les services de communication au public en ligne concernés, une solution de compromis afin de parvenir à un accord. En cas de désaccord persistant, elle fixe les modalités de rémunération. »

Article 2

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) BearingPoint, pour le CSA et le Ministère de la Culture, « Médias et Publicité en ligne », 2018

([2]) France Pub, IREP et Kantar Media, « Baromètre unifié du marché publicitaire pour le 1er semestre 2023 » 2023