N° 2171

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 février 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à rétablir le délit de séjour irrégulier,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Louis THIÉRIOT, M. Éric CIOTTI, M. Olivier MARLEIX, M. Jérôme NURY, M. Francis DUBOIS, M. Nicolas RAY, M. Jean-Jacques GAULTIER, M. Fabien DI FILIPPO, M. Alexandre PORTIER, M. Thibault BAZIN, M. Mansour KAMARDINE, M. Yannick NEUDER, Mme Michèle TABAROT, M. Marc LE FUR, M. Victor HABERT-DASSAULT, Mme Nathalie SERRE, M. Ian BOUCARD, M. Patrick HETZEL, Mme Annie GENEVARD, Mme Émilie BONNIVARD, M. Éric PAUGET, Mme Marie-Christine DALLOZ, M. Nicolas FORISSIER, M. Hubert BRIGAND, Mme Virginie DUBY-MULLER, M. Philippe JUVIN, Mme Josiane CORNELOUP, Mme Alexandra MARTIN (ALPES-MARITIMES), M. Michel HERBILLON, Mme Valérie BAZIN-MALGRAS, M. Emmanuel MAQUET, Mme Emmanuelle ANTHOINE,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 19 décembre 2023, l’Assemblée nationale adoptait, sur le rapport de la commission mixte paritaire, le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration enrichi des dispositions votées au Sénat portant des mesures attendues de longue date par la majorité du Peuple français, conscient de la nécessité de retrouver la maîtrise de son destin.

Cependant, par une décision rendue le 25 janvier 2024, le Conseil constitutionnel a censuré un tiers des articles du projet de loi au motif qu’ils ne présentaient « pas de lien, même indirect, avec les dispositions du projet de loi initial ».

L’article 17 du projet de loi qui visait à rétablir le « délit de séjour irrégulier » a ainsi fait les frais de la chasse aux cavaliers législatifs menée par le Conseil constitutionnel.

Cette censure sur la forme laisse pourtant intacte la pertinence de cette mesure sur le fond qu’il est urgent de remettre sur le métier des parlementaires.

En effet, le « délit de séjour irrégulier » qui était inscrit à l’ancien article L.621‑1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) avait été supprimé par une loi du 31 décembre 2012 qui prétextant une totale non‑conformité à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) l’avait remplacé par un article L.824‑3 du CESEDA pénalisant uniquement le maintien sur le territoire français.

Or, la décision de la CJUE qui était invoquée se borne en réalité à indiquer que c’est l’instauration d’une peine privative de liberté qui « risque de compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive retour, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier » (CJUE « El Dridi » – 11 avril 2011. Considérant 59) et ne proscrit nullement le principe de la pénalisation du séjour irrégulier.

Dans une autre décision, la Cour précise d’ailleurs que la directive « Retour » « ne s’oppose pas à ce que le droit d’un État membre qualifie le séjour irrégulier de délit et prévoie des sanctions pénales pour dissuader et réprimer la commission d’une telle infraction aux règles nationales en matière de séjour. » (CJUE « Achughbabian » – 6 décembre 2012. Considérant 28).

Ainsi, rien ne s’oppose à ce que soit rétabli le délit de séjour irrégulier pour autant qu’il ne prévoit pas de peine privative d’emprisonnement contraire à l’objectif conventionnel d’éloignement de l’étranger en situation irrégulière.

La présente proposition, à l’instar de l’article 17 du projet de loi immigration censuré, prévoit en conséquence de rétablir le délit de séjour irrégulier expurgé de la peine d’emprisonnement litigieuse et dont la sanction se limite à une peine d’amende et à une peine complémentaire d’interdiction du territoire.

La portée de cette réintroduction est d’abord symbolique : le fait de séjourner irrégulièrement sur le territoire est une infraction à la loi française et doit être sanctionnée en tant que telle. Force doit être donnée à la loi : il en va de la crédibilité de nos institutions que la loi soit appliquée et sanctionnée.

La portée de cette proposition de loi est aussi opérationnelle : la loi de 2012 en supprimant le délit de séjour irrégulier a privé les enquêteurs de tous les pouvoirs coercitifs d’investigation que leur permettait son inscription dans le code pénal.

Les procédures d’éloignement des étrangers en séjour irrégulier se déroulaient selon une procédure très encadrée. Elles commençaient le plus souvent par un contrôle d’identité ou un contrôle du titre de séjour, suivi d’une interpellation, puis d’une garde à vue de 24 à 48 heures, justifiée par la poursuite d’une infraction à la législation sur le séjour. La durée de cette garde à vue avait l’énorme avantage de laisser le temps à l’administration de vérifier l’identité et la situation de l’étranger.

Actuellement, la procédure de retenue administrative limite le contrôle d’identité à 4 heures et le contrôle du titre de séjour à 24 heures, rendant le travail des forces de l’ordre et des préfectures difficile, voire impossible dans un délai aussi court.

Il importe de redonner aux autorités les moyens de faire respecter la législation sur le séjour.

Tel est l’objet de l’article unique de la présente proposition de loi qui prévoit le rétablissement du délit de séjour irrégulier ainsi que la possibilité pour les enquêteurs de recourir à la garde à vue pour retenir dans les locaux de police les étrangers soupçonnés de séjourner illégalement sur le territoire français.

Il est ainsi précisé que le recours à la garde‑à‑vue est possible par dérogation aux dispositions de l’article 62‑2 du code de procédure pénale qui restreignent en principe le recours à la garde‑à‑vue aux crimes et délits passibles d’une peine d’emprisonnement.

 


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proposition de loi

Article unique

Au début du chapitre II du titre II du livre VIII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est ajoutée une section 1A ainsi rédigée :

« Section 1A :

« Manquement aux conditions de séjour

« Art. L. 822‑1 A. – I. – Est puni de 3 750 euros d’amende le fait pour tout étranger âgé de plus de dix‑huit ans de séjourner en France au‑delà de la durée autorisée par son visa ou en méconnaissance de l’article L. 411‑1.

« L’étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de trois ans d’interdiction du territoire français.

« II. – Pour l’application du présent article, l’action publique ne peut être mise en mouvement que lorsque les faits ont été constatés lors d’une procédure de retenue aux fins de vérification du droit à la circulation ou de séjour dans les conditions prévues aux articles L. 813‑1 à L. 813‑4.

« III. – La personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis le délit mentionné au I peut être gardée à vue dans les conditions prévues aux articles 62‑2 et suivants du code de procédure pénale. »