N° 2178

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 février 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre la violence et les comportements racistes dans les enceintes sportives,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Virginie DUBY-MULLER, Mme Marie-Christine DALLOZ, M. Francis DUBOIS, M. Nicolas FORISSIER, M. Patrick HETZEL, M. Philippe JUVIN, Mme Véronique LOUWAGIE, M. Yannick NEUDER, M. Éric PAUGET, Mme Christelle PETEX, Mme Nathalie SERRE, M. Jean-Pierre VIGIER, M. Olivier MARLEIX, M. Philippe GOSSELIN, Mme Emmanuelle ANTHOINE,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le samedi 20 janvier 2024, le gardien de but du club italien de l’AC Milan et de l’équipe de France, M. Mike MAIGNAN, a été pris pour cible à travers des insultes racistes à son égard dans le cadre d’un match de championnat contre l’équipe de l’Udinese.

Cette scène surréaliste a provoqué l’arrêt du match pendant plusieurs minutes. Après avoir alerté l’arbitre, sans que cela n’ait d’effet sur le public, M. MAIGNAN a pris l’initiative de quitter le terrain et de rentrer au vestiaire, accompagné de ses coéquipiers. Ce geste fort et solidaire symbolise le refus de banaliser la parole raciste dans l’espace public.

L’important est de montrer aux victimes d’insultes et de cris racistes qu’elles ne sont pas seules, quel que soit leur statut. M. MAIGNAN a rapidement reçu le soutien de plusieurs personnalités telles que MM. Kylian MBAPPÉ ou Antoine GRIEZMANN, la Fédération Française de Football, ou encore de nombreux autres acteurs du football, jusqu’au Président de la FIFA, M. Gianni INFANTINO. Il faut souligner également la réactivité du club de l’Udinese. Plusieurs auteurs ont été rapidement identifiés et « bannis à vie » du stade selon les déclarations du club italien. Si la transcription juridique de cette idée est possible, elle pose question sur la réalité de son application.

Actuellement, en France, une interdiction administrative peut être prise par le préfet sous forme d’arrêté pour une durée maximum de deux ans (en pouvant être prolongée de trois ans, si récidive). L’interdiction peut également être judiciaire. C’est une sanction pénale prononcée par un tribunal. Elle est d’une durée de cinq ans. Le tribunal précise l’étendue de l’interdiction (niveau de compétition, équipes concernées…). Cette peine implique que l’individu en question doit pointer dans le commissariat de police ou de gendarmerie le plus proche de son domicile, chaque soir de match de l’équipe dont il se revendique supporter, en fonction du niveau de sanction. Étendre cette interdiction d’un délai de cinq ans à une « interdiction à vie » représente, d’un point de vue juridique, une sanction disproportionnée. Par ailleurs, les médias ont plusieurs fois fait écho que, dans certains cas, malgré la sanction, les individus ne pointent pas forcément les soirs de match, sans être véritablement inquiétés. Cela semble donc être contre-productif.

En revanche, les clubs, à travers leur politique commerciale, peuvent tout à fait interdire de vendre des billets à un supporter dont le club connait le comportement néfaste. C’est ce que mentionne l’article L332-1 du code du sport. Dans cette situation, les clubs sont autorisés à gérer un fichier de personnes qui contreviennent aux règles, afin de les empêcher de se procurer des billets. Lorsque ceux-ci se rendront sur le site de la billetterie, ils se verront opposer un refus automatique. Ce fichier est encadré notamment par la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour respecter le règlement général sur la protection des données (RGPD). A priori, un individu ne peut pas être inscrit « à vie » dans ce fichier. Il est donc proposé d’inscrire ce principe dans la loi, en autorisant les clubs à interdire de manière définitive les individus qui ont eu un comportement raciste, après récidive.

L’interdiction commerciale de stade étant un des leviers majeurs pour les clubs pour interdire et bannir ces comportements, nous proposons donc de le renforcer. Néanmoins, nous gardons à l’esprit que ce type de fichier peut inquiéter les supporters et les organisations représentantes, notamment en raison de dérives arbitraires qui pourraient se produire. Pour cette raison, nous souhaitons que des contrôles d’autorités indépendantes soient maintenus. 

Au-delà de l’émotion provoquée par cette triste soirée pour le football et la société, ces faits ne sont pas uniques et sont visibles ailleurs en Europe, mais également en France. Le même week-end, en Coupe de France, le Lille Olympique Sporting Club (LOSC) à porter plainte contre X après des propos racistes de certains de ses supporters. On se rappelle également que, dans cette soirée terrible pour le football français avec le match opposant l’Olympique de Marseille (OM) à l’Olympique lyonnais (OL) le 29 octobre 2023, des supporters lyonnais ont été pointés du doigt pour avoir effectué des saluts nazis et avoir tenu des propos racistes et xénophobes.

Le stade est, aujourd’hui, l’un des rares endroits qui rassemble la population quelles que soient ses origines, sa classe sociale, ses opinions, etc. Mais l’enceinte sportive est également un lieu de lutte politique. Des groupes de supporters sont structurés et leur présence dépassent le cadre du sport, en développant des discours politiques, en général à travers des chants ou des banderoles par exemple.

Si la liberté d’opinion est une liberté fondamentale garantie par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »), on ne peut pas tout faire dans un stade ; la loi y pose des limites.

Comme dans le reste de la société, la violence ou le racisme n’ont pas leur place dans un stade. Le sport incarne des valeurs de respect, de tolérance et de partage. La rivalité n’autorise pas tout. C’est un espace de construction des individus et de la poursuite de l’éducation pour les nouvelles générations. Les champions font rêver nos jeunes – et moins jeunes. Ce sont des exemples : à travers les outils de communication, ils peuvent exercer une influence puissante pour faire émerger une société meilleure.

Il revient donc aux législateurs de prévoir des sanctions fortes et adaptées pour punir et exclure des stades les individus qui ne respecteraient pas les règles du bien-vivre en société.

L’article premier modifie l’article L332-1 du code du sport qui permet aux organisateurs de manifestations sportives de refuser ou annuler la délivrance de titres d'accès à ces manifestations, ou en refuser l'accès aux personnes qui ont contrevenu ou contreviennent aux dispositions des conditions générales de vente ou du règlement intérieur relatives à la sécurité de ces manifestations. Alors que nous constatons que les propos racistes sont toujours présents dans les enceintes sportives, il convient de donner les moyens aux clubs d’interdire de stade les individus qui ont commis de tels actes.

L’article 2 prévoit de doubler, par rapport à la situation actuelle, les peines attribuées aux individus coupables « de provoquer, par quelque moyen que ce soit, des spectateurs à la haine ou à la violence à l'égard de l'arbitre, d'un juge sportif, d'un joueur ou de toute autre personne ou groupe de personnes ».

L’article 3 propose d’augmenter la durée d’emprisonnement et le montant de la sanction financière au même niveau que ce prévoit le premier article de la présente proposition de loi pour l’article L332-7 du code du sport qui punit « le fait d'introduire, de porter ou d'exhiber dans une enceinte sportive, lors du déroulement ou de la retransmission en public d'une manifestation sportive, des insignes, signes ou symboles incitant à la haine ou à la discrimination à l'encontre de personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur sexe ou de leur appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». 

Les articles 2 et 3 complètent respectivement les articles L332-6 et 332-7 en indiquant que le représentant de l’État a le pouvoir d’arrêter temporairement ou définitivement la rencontre sportive mentionnée, en cas d’incident violent ou à caractère discriminatoire. Cela reprend la recommandation 57 du rapport d’enquête relatif l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont délégation de service public de nos collègues Mmes Béatrice BELLAMY et Sabrina SEBAIHI.

L’article 4 demande au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement sur les phénomènes de violence et de racisme dans le sport afin de déployer des solutions pour lutter contre ces phénomènes préoccupants.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le deuxième alinéa de l’article L. 332‑1 du code du sport est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’interdiction commerciale de stade est définitive dans le cas d’une récidive des faits mentionnés aux articles L. 332‑6 et L. 332‑7. »

Article 2

L’article L. 332‑6 du code du sport est ainsi modifié :

1° Les mots : « d’un an » sont remplacés par les mots : « de deux ans » ;

2° Le montant « 15 000 » est complété par le montant « 30 000 » ;

3° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Le représentant de l’État dans le département peut interrompre, temporairement ou définitivement, une rencontre sportive en cas d’incident violent ou à caractère discriminatoire, résultant des faits mentionnés au présent article. »

Article 3

L’article L. 332‑7 du code du sport est ainsi modifié :

1° La première phrase est ainsi modifiée :

a) Les mots : « d’un an » sont remplacés par les mots : « de deux ans » ;

b) Le montant « 15 000 » est complété par le montant « 30 000 » ;

2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Le représentant de l’État dans le département peut interrompre, temporairement ou définitivement, une rencontre sportive en cas d’incident violent ou à caractère discriminatoire, résultant des faits mentionnés au présent article. »

Article 4

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement portant sur les actions menées par les fédérations sportives, en tant que délégation de service public, pour lutter contre la violence et les phénomènes de racisme dans les événements sportifs. Ce rapport liste les actions entreprises fédération par fédération, en fonction des territoires, des sports, il présente les résultats obtenus par ces actions, il en tire un bilan et formule des recommandations pour poursuivre la lutte contre ces phénomènes néfastes. Ce rapport recense également les liens qui existent entre groupuscules violents et manifestations sportives.