N° 2195

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 février 2024.

PROPOSITION DE LOI

portant création d’un conseil national de simplification des normes agricoles,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Louis THIÉRIOT, M. Yannick NEUDER, M. Philippe GOSSELIN, M. Pierre CORDIER, M. Patrick HETZEL, M. Marc LE FUR, Mme Isabelle VALENTIN, M. Nicolas FORISSIER, Mme Marie-Christine DALLOZ, Mme Michèle TABAROT, Mme Virginie DUBY-MULLER, Mme Emmanuelle ANTHOINE,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En ce début d’année 2024, le mouvement « On marche sur la tête » a conduit les agriculteurs de France à manifester hors de leurs champs et à bloquer les routes avec leurs tracteurs pour « faire le siège » de Paris et se faire entendre des dirigeants.

Loin d’être anecdotique, cette colère du monde paysan dépasse la simple protestation contre la hausse du gazole non routier ou même les revendications plus que légitimes face au retard de versement de la politique agricole commune (PAC) 2023.

Ce mouvement est le symptôme d’un mal‑être des agriculteurs, victimes d’une politique menée depuis des années totalement déconnectée de la réalité du terrain qui a conduit tout le secteur agricole dans une véritable crise et menace la souveraineté alimentaire de la France.

L’agriculture française connaît en effet depuis les années 2000 une décroissance structurelle qui doit nous alerter : baisse des exportations, hausse des importations, disparition d’exploitations agricoles, achats de terres par des puissances étrangères…

La France n’est plus le champion agricole qu’elle était autrefois. En seulement dix ans, notre pays a en effet chuté du troisième au sixième rang des principaux pays exportateurs agricoles, affichant la plus forte perte de parts de marché enregistrée à l’échelle mondiale dans ce secteur. Dans le même temps, la part de nourriture importée est passée de 10 % à 20 %.

Si l’année 2022 connaît un excédent commercial, ces bons chiffres sont trompeurs. Sans l’exportation des vins et spiritueux d’une part et la hausse exceptionnelle des cours du blé consécutive à la guerre en Ukraine d’autre part, la balance agricole serait nettement déficitaire.

Dans nos campagnes, on assiste à une érosion régulière du nombre d’exploitations agricoles de l’ordre de 1,5 à 2 % chaque année. Entre 2010 et 2020, les défaillances agricoles ont ainsi causé la disparition de près de 20 % des exploitations selon le recensement agricole.

À travers le mouvement « On marche sur la tête », les agriculteurs dénoncent les normes absurdes qui nuisent à leur compétitivité et l’absence de défense de l’État face aux importations de produits qui ne respectent pas ces normes.

Pour absorber les obligations administratives dont ils doivent s’acquitter et rester compétitifs face aux produits importés produits à bas coût, les agriculteurs français sont contraints de travailler plus de 60 heures par semaine et de réduire leurs prix et leurs revenus (30 % des chefs d’exploitation gagnent moins de 350 euros par mois).

Les conséquences sur le plan humain sont dramatiques. Entre le manque de revenus, la dureté du métier et le prisme de la faillite, le mal‑être paysan est une réalité qui pousse un agriculteur au suicide tous les deux jours dans notre pays.

Nous ne pouvons pas nous résigner à assister à l’effondrement de notre agriculture et nous ne pouvons pas tolérer que ceux qui nous nourrissent se donnent la mort par désespoir.

Le monde agricole est en crise, il est urgent et vital d’agir.

Face à ce défi, les États généraux de l’alimentation de 2017 avaient suscité de nombreux d’espoirs. Malheureusement, la loi Egalim n’a pas réglé les problèmes. Si la question du rapport de force entre agriculteurs et distributeurs a été partiellement traitée, la question primordiale du manque de compétitivité de notre agriculture sur le marché européen et mondial, elle, n’avait même pas été posée.

Pourtant, nous connaissons la réponse : c’est l’excès de normes et de charges absurdes pesant inutilement sur les épaules des exploitants qui est la cause du décrochage de notre agriculture sur la scène européenne et mondiale.

Le monde agricole comme bien d’autres secteurs de notre économie est en effet la victime de l’inflation normative, mal bien français, nourrie par deux phénomènes convergents : la surtransposition de directives européennes et la surrèglementation en général.

Par surtransposition, nous entendons le fait pour un pays d’imposer à ses entreprises des obligations allant au‑delà de ce que requiert le droit de l’Union européenne, d’étendre leur champ d’application ou encore de ne pas mettre en œuvre une possibilité de dérogation ou d’exclusion qu’il prévoit.

Par surréglementation, nous entendons la pratique de l’État consistant à imposer à un secteur des contraintes administratives dont l’intérêt n’est pas justifié au regard du coût et du temps perdu en procédures qu’elles génèrent.

Ces phénomènes observables dans tous les secteurs sont particulièrement délétères s’agissant du secteur agricole.

Partant souvent d’une bonne intention de protection du consommateur ou de l’environnement, les normes supplémentaires au droit de l’Union que l’État impose aux agriculteurs français sont pourtant contre‑productives dans une zone de libre‑échange telle que le marché européen. Non seulement elles nuisent aux exportations, mais elles favorisent l’importation de produits agricoles en provenance d’Europe et hors Union bien moins respectueux du consommateur et de l’environnement.

Pour mettre fin à ce cercle vicieux, il faut donc cesser de produire des normes supplémentaires inutiles, supprimer celles existantes et, pour celles qui nous paraissent essentielles, négocier une harmonisation au niveau européen et international.

En dehors de toute transposition, il faut également mettre fin à la complexification administrative qui entrave l’activité agricole et épuise nos agriculteurs. Comment imaginer en effet une agriculture performante quand pas moins de treize organismes différents sont habilités à faire des contrôles et lorsque les chefs d’exploitation passent en moyenne neuf heures par semaine dans des démarches administratives ?

Ce constat fait, il s’agit de choisir le moyen d’action le plus efficace pour lutter contre ce fléau. À l’évidence, la perception qu’a l’administration des normes qu’elle produit diverge de celle des politiques et des professionnels du secteur impacté. C’est pourquoi il nous semble impératif que des élus et des professionnels du monde agricole soient pleinement associés au processus décisionnel.

S’inspirant du modèle du « Conseil national d’évaluation des normes » dont le champ matériel se limite à l’impact technique et financier des normes sur les collectivités territoriales, la présente proposition de loi entend ainsi créer un « Conseil national de simplification des normes agricoles » dont l’objet sera de combattre l’inflation normative dans le secteur agricole afin de lui rendre sa compétitivité.

Concrètement, plusieurs missions lui seront dévolues.

Le Conseil national de simplification des normes agricoles devra être consulté toutes les fois où le Gouvernement envisagera des projets de loi ou des actes règlementaires susceptibles d’avoir un impact technique et financier sur les exploitants agricoles. Le ministre devra fournir au Conseil des éléments justifiant la nécessité de leur édiction.

Par ses avis, le Conseil se prononcera sur l’intérêt de la norme en cause au regard de son impact sur la compétitivité de notre agriculture. Elle pourra proposer le cas échéant une solution plus adaptée à la réalité économique du secteur.

Le mot d’ordre qui devra prévaloir est « pas d’interdiction sans solution » !

Le Conseil aura également pour mission de donner son avis sur les projets d’actes de l’Union européenne afin que soit négociée en amont une harmonisation de ces règles.

Le Conseil sera enfin chargé d’évaluer l’impact technique et financier des normes existantes et le cas échéant, d’en proposer une modification ou une suppression. À cet effet, il pourra être saisi par le Gouvernement, les commissions compétentes des assemblées et les organisations agricoles. Il devra également pouvoir s’autosaisir.

L’ensemble des avis rendus par le Conseil national de simplification des normes agricoles sera porté à la connaissance des acteurs du monde agricole et des citoyens via une publication au Journal Officiel afin que le débat sur la compétitivité de notre agriculture puisse être utilement nourri.

Concernant sa composition, le Conseil national de simplification des normes agricoles devra comporter, en sus des membres représentant l’administration, d’une part de représentants des organisations professionnelles agricoles afin qu’ils partagent leur connaissance des contraintes réelles du métier, et d’autre part d’élus locaux et de parlementaires afin de remettre du sens politique dans les décisions.

La vision que ces différents acteurs porteront à travers les avis du Conseil devra ainsi aider les autorités compétentes à distinguer l’essentiel du superflu dans leur production normative et libérer le monde agricole du carcan administratif et des obligations chronophages.

Tel est l’objet de l’article unique de la présente proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article unique

Le titre Ier du livre III du code rural et de la pêche maritime est complété par un chapitre VI ainsi rédigé :

« Chapitre VI

« Conseil national d’évaluation des normes agricoles

« Art. L. 316‑1. – Le Conseil national de simplification des normes agricoles a pour mission de proposer aux autorités compétentes une simplification des normes applicables aux activités agricoles afin de rendre l’agriculture française plus compétitive.

« Son évaluation consiste à comparer les effets bénéfiques d’une norme ou d’un projet de norme avec les risques potentiels que celle‑ci fait peser sur la filière agricole.

« Art L. 316‑2. – I. – Le Conseil national de simplification des normes agricoles est consulté par le Gouvernement sur l’impact technique et financier, pour les exploitants agricoles, des projets de lois et des projets de textes réglementaires créant ou modifiant des normes qui leur sont applicables.

« Il émet également un avis sur les projets d’actes de l’Union européenne ayant un impact technique et financier sur les exploitants agricoles.

« II. – Le président d’une assemblée parlementaire peut soumettre à l’avis du conseil national de simplification des normes agricoles une proposition de loi ayant un impact technique et financier sur les exploitants agricoles déposée par l’un des membres de cette assemblée.

« III. – Le conseil national de simplification des normes agricoles peut se saisir de tout projet de norme technique résultant d’activités de normalisation ou de certification ayant un impact technique ou financier pour les exploitants agricoles.

« IV. – Dans les avis qu’il rend en application des I à III du présent article, le Conseil national de simplification des normes agricoles se prononce sur l’intérêt de la norme envisagée au regard de son impact technique et financier sur la compétitivité des exploitants agricoles.

« Lorsque l’application de la norme envisagée est susceptible de réduire la compétitivité des exploitants agricoles français, le Conseil propose le cas échéant une solution poursuivant le même objectif que la norme envisagée plus adaptée à la réalité économique du secteur.

« Art. L. 316‑3. – I. – Le conseil national de simplification des normes agricoles peut être saisi par le Gouvernement, par les commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que par les organisations professionnelles agricoles d’une demande d’évaluation des normes législatives et réglementaires en vigueur applicables aux exploitants agricoles.

« II. – Il peut également procéder de lui‑même à l’évaluation de l’impact technique et financier de normes en vigueur.

« III. – Dans les avis qu’il rend en application des I et II du présent article, le conseil national de simplification des normes agricoles peut proposer une modification ou une suppression des normes législatives et réglementaires évaluées si l’application de ces dernières entraîne, pour les exploitants agricoles, des conséquences matérielles, techniques ou financières manifestement disproportionnées au regard des objectifs qu’elles poursuivent.

« Art L. 316‑4. – I. – Les avis rendus par le conseil national en application des articles L. 316‑2 et L. 316‑3 sont publiés au Journal officiel de la République française.

« II. – Les travaux du conseil national font l’objet d’un rapport public annuel remis au Premier ministre, aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi qu’aux organisations professionnelles agricoles qui en font la demande.

« Art. L. 316‑5. – I. – Le conseil national est composé de représentants des organisations professionnelles agricoles, de représentants du Parlement, des collectivités territoriales et des administrations compétentes de l’État.

« Il comprend :

« 1° Douze représentants des organisations professionnelles agricoles ;

« 2° Deux députés ;

« 3° Deux sénateurs ;

« 4° Deux conseillers régionaux ;

« 5° Deux conseillers départementaux ;

« 6° Trois représentants de l’État.

« Le président et les deux vice‑présidents du conseil national sont élus parmi les membres siégeant au titre des organisations professionnelles agricoles.

« II. – Les mandats des membres du Conseil national d’évaluation des normes agricoles sont exercés à titre bénévole. Son secrétariat est assuré par les services du ministère chargé de l’agriculture.

« Art. L. 316‑6. – Les modalités d’application du présent chapitre sont précisées par décret en Conseil d’État. »