N° 2285

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mars 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à créer une immunité pénale de l’avocat dans le cadre de ses diligences,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christelle D’INTORNI, M. Jean-Luc BOURGEAUX,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 23 janvier 2023, un procès de deux éminents ténors du barreau poursuivis pour violation du secret professionnel et complicité de tentative d’escroquerie au jugement a ému et indigné l’ensemble de la profession.

D’autant que, dans cette affaire, la justice convient, dès le début, que ces deux avocats n’ont pas fabriqué le moindre faux et qu’ils ne pouvaient savoir que leur client leur en avait transmis un.

Eu égard à ces éléments, dès lors qu’un de leur client leur a versé un document dont l’authenticité n’a pas été vérifiée, ces avocats risquent aujourd’hui une peine d’emprisonnement.

De fait, le juge semble alors avoir instauré une obligation prétorienne de résultat qui incomberait aux avocats, à savoir, vérifier l’authenticité des pièces apportées par leur client. Cela, sans en avoir ni l’aptitude ni le pouvoir.

Or, créer une telle obligation de résultat sur le dos de l’avocat revient inéluctablement et définitivement à le réduire à un supplétif du magistrat. 

Pire, cette épée de Damoclès désormais suspendue au-dessus de la tête de chaque avocat participera à la lente déshumanisation de notre justice.

Chacun devrait se remémorer que, dans notre histoire judiciaire, une justice déshumanisée conjuguée à un entre-soi des praticiens du droit ont conduit aux injustices les plus épouvantables.

De plus, instaurer une telle obligation c’est inviter la morale dans les prétoires en la hissant au-dessus du droit. Oui, c’est précisément transformer des comportements individuels qui relèvent davantage du moralisme que du code pénal. 

À ce titre, pour paraphraser le ministre de la justice, « défendre ce n’est pas mentir et pour ne pas mentir je ne demande jamais à mes clients s’ils sont coupables ». De la même manière, l’avocat n’a pas vocation à rompre, a priori, un lien de confiance avec son client. 

Par ailleurs et afin de garantir de manière effectif les droits de la défense, l’avocat n’est pas un auxiliaire de justice au service de la justice mais au service de la défense de son client.

Par conséquent, l’avocat n’a pas vocation, contrairement à un directeur d’enquête, à faire la vérité mais à dire une vérité qui peut être multiple et complexe.

Au surplus, pour reprendre John Ralws, afin de se mettre au service de l’idéal de justice, l’avocat doit veiller à s’appuyer sur les règles d’équité, du contradictoire et au respect des droits.

L’avocat pénaliste n’est donc pas un automate se référant uniquement à la loi implacable. Celui-ci garde une marge de liberté dans son acte de défense, et participe ainsi à l’accomplissement plein et entier de la justice.

Si cette conception même du rôle de l’avocat est bouleversée, la présomption d’innocence, fondement de notre justice et de notre état de droit, sera relayée au rang d’un vœu pieu. 

Pour toute ces raisons, la présente proposition de loi, vise à créer une immunité de l’avocat afin qu’il devienne pénalement irresponsable d’une pièce versée qui ne serait pas jugée comme authentique. 

L’article 1er pose ainsi une exception à l’application de l’infraction d’escroquerie et de tentative d’escroquerie au jugement pour les avocats dans le cadre de leurs diligences et, en particulier, le versement des pièces au cours d’une procédure.

Dans le même esprit, l’article 2 permet de protéger l’avocat de l’infraction de recel de faux dans le cadre des diligences réalisées afin de garantir pleinement les droits de la défense.

Également, l’article 3 vise à prémunir l’avocat de poursuite du chef d’accusation de complicité de faux.

Au surplus, l’article 4 a vocation à intégrer au cœur du code de déontologie des avocats ledit principe d’immunité dans le cadre de la production de pièces au cours d’une procédure.

Enfin, l’article 5 permet de préciser que les pièces produites par l’avocat au cours d’une procédure devant une juridiction sont frappées du sceau de l’immunité.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Le chapitre III du titre Ier du livre III est ainsi modifié :

a) Avant le premier alinéa de l’article 313‑1, sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les avocats bénéficient d’une présomption de bonne foi dans le cadre des diligences réalisées afin de garantir le plein exercice des droits de la défense et, en particulier, lors de la communication des pièces au cours d’une procédure.

« Cette présomption de bonne foi est renversée dès lors qu’il est démontré que l’avocat a directement contribué à l’altération des pièces concernées et, par conséquent, a participé activement à la constitution de l’infraction. » ;

b) Après le premier alinéa de l’article 313‑3, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par exception, ladite tentative d’infraction prévue à la présente section n’est pas applicable aux pièces versées par un avocat au cours d’une procédure. » ;

2° L’article 441‑1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La production en justice de pièces versées au débat par le défendeur, au titre de l’exercice des droits de la défense, ne saurait donner lieu à aucune action du chef d’usage de faux sauf s’il est démontré que l’avocat a directement participé à l’élaboration d’un faux. ».

Article 2

Après le deuxième alinéa de l’article 321‑1 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La production en justice de pièces versées au débat par le défendeur, au titre de l’exercice des droits de la défense, ne saurait donner lieu à aucune action du chef de recel, sauf s’il est démontré que l’avocat a directement participé à l’élaboration d’un faux. »

Article 3

L’article 121‑7 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Par exception, la production en justice de pièces versées au débat par le défendeur, au titre de l’exercice des droits de la défense, ne saurait donner lieu à aucune action du chef de complicité d’usage de faux, sauf s’il est démontré que l’avocat a directement participé à l’élaboration d’un faux. »

Article 4

Le a du 8° de l’article 42 de la loi n° 2021‑1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaires est complété par les mots : « ainsi que la procédure et les sanctions disciplinaires. Celui‑ci doit respecter le principe d’immunité de l’avocat dans le cadre de la production de pièces au cours d’une procédure ».

Article 5

Au quatrième alinéa de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après le mot : « produits », sont ajoutés les mots : « par les avocats au cours d’une procédure ».