N° 2312

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 mars 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à supprimer les dispositions relatives aux mineurs non accompagnés dans la loi 202442 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Elsa FAUCILLON, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Arthur DELAPORTE, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Andy KERBRAT, M. Benjamin LUCAS, Mme Danièle OBONO, M. Davy RIMANE,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi du 26 janvier 2024 pour contrôler limmigration, améliorer lintégration, en dépit des censures opérées par le Conseil constitutionnel, contient de nombreuses dispositions contraires à lintérêt supérieur de lenfant.

Les débats lors de lexamen de ce projet de loi ont véhiculé des représentations insultantes à l’égard des étrangers, y compris des enfants. Les discours politiques accusent en effet les mineurs non accompagnés d’être à lorigine de tous les maux, notamment de la crise de la protection de lenfance. Ils sont également décrits comme étant, par essence et de manière automatique, des délinquants en puissance.

Ces discours abjects se sont concrétisés par ladoption de mesures portant atteinte au principe d’égalité et à lintérêt supérieur de lenfant que cette proposition de loi vise à abroger.

Larticle 39 de cette loi prévoit la création dun fichier « mineurs non accompagnés délinquants ». Cette mesure vise à ficher les mineurs pour lesquels « il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'ils aient pu participer, comme auteurs ou complices, à des infractions à la loi pénale ou l'établissement d'un lien entre plusieurs infractions commises par un seul de ces mineurs ». Cette rédaction imprécise ouvre la possibilité à un fichage de masse, laissant place à un arbitraire inquiétant.

Ce fichier permet un relevé dempreintes digitales et de photographie hors de toute condamnation pénale et sous contrainte. De plus, la durée de conservation des données est floue.

Dans sa décision du 12 janvier 2024, la Défenseure des droits dénonce la dangerosité dun tel fichier en précisant que « les dispositions telles que formulées ne garantissent ni labsence de croisement des données issues de ce nouveau traitement avec dautres, ni labsence de consultation par les autorités préfectorales, notamment dans le cadre de la procédure de détermination de minorité, ce sans aucune considération des droits et de lintérêt supérieur des mineurs. »

Cest une mesure qui porte atteinte au droit à la vie privée, ainsi quau principe d’égalité. La création de ce fichier est discriminatoire car il ne vise que les mineurs étrangers nayant pas de parents sur le territoire. Ces enfants en conflit avec la loi doivent au contraire être considérés comme des enfants en danger. Ils sont isolés et particulièrement vulnérables du fait de leur parcours migratoire. Lorsquils sont victimes de traite et dexploitation, ils doivent faire lobjet dune protection renforcée et relever du principe de non-sanction. 

Larticle 44 de cette loi a modifié larticle L. 222‑5 du code de laction sociale et des familles afin que les jeunes majeurs qui ont été confiés à laide sociale à lenfance durant leur minorité ne puissent continuer de bénéficier des dispositifs daccompagnement lorsquils font lobjet dobligation de quitter le territoire français. Cette mesure qui relève de la protection de lenfance na pas sa place dans un texte relatif à limmigration.

La mesure de « contrats jeunes majeurs » vise à mettre fin aux sorties sèches de laide sociale à lenfance. Aujourdhui, les contrats jeunes majeurs restent lexception et sont souvent signés pour une durée inférieure à six mois. Cette mesure vient aggraver la situation de jeunes isolés et fortement vulnérables du fait de leur parcours de migration.

Cela soppose de fait à lobjet même de la prestation daide sociale à lenfance garantie aux jeunes majeurs concernés, indépendamment de leur nationalité étrangère et de la régularité de leur séjour. Dans son ordonnance du 12 décembre 2022, le Conseil d’État a considéré que le droit à une prise en charge au titre de laide sociale à lenfance du jeune majeur qui remplit les conditions de larticle L. 222-5 du code de laction sociale et des familles (CASF) constitue une liberté fondamentale et ce même en présence dune obligation de quitter le territoire français.

Enfin, larticle 86 de cette loi prévoit que linterdiction de lenfermement des enfants à Mayotte sera différée au 1er janvier 2027. Linterdiction de lenfermement des enfants est enfin consacrée, après de nombreuses années de mobilisations dassociations et d’élus contre cette pratique attentatoire à lintérêt supérieur de lenfant.

Reporter cette interdiction à 2027 à Mayotte ne repose sur aucun fondement juridique et demeure contraire aux obligations internationales de la France issue de la Convention internationale des droits de lenfant. L'interdiction du placement de mineurs en rétention administrative doit donc concerner chaque enfant, de sa naissance au premier jour de ses 18 ans.

En 2022, sur les 2 999 enfants enfermés en rétention en France, 2 905 ont été placés au centre de rétention de Pamandzi. Linterdiction formelle de la rétention denfants à Mayotte se révèle dautant plus urgente que de nombreuses violations des droits sopèrent au sein du centre de rétention administrative de Pamandzi. Nombreux sont les enfants interpellés, placés en rétention et éloignés sans aucun représentant légal. Nombre dinstitutions ont documenté des pratiques illicites comme la modification unilatérale des dates de naissance de mineurs afin de les considérer comme majeurs (Défenseur des droits, Décision n° 2022-2026 du 14 octobre 2022) ou encore le rattachement artificiel denfants à des tiers qui leur sont inconnus ou qui nexercent pas lautorité parentale (Cour EDH, 25 juin 2020, Moustahi c. France, n° 9347/14).

Larticle 1er abroge la disposition créant le fichier de mineurs non accompagnés délinquants.

Larticle 2 abroge la disposition du code de laction sociale et des familles visant à interdire lobtention dun contrat jeune majeur pour un jeune sous le coup dune obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Larticle 3 abroge la disposition de la loi du 26 janvier 2024 qui reporte linterdiction de la rétention des mineurs en lieux de rétention à Mayotte à 2027.

 


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proposition de loi

Article 1er

Larticle L. 142‑3‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est abrogé.

Article 2

À la fin du 5° de larticle L. 222‑5 du code de laction sociale et des familles, les mots : « et à l’exclusion de ceux faisant l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l’article L. 611‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile » sont supprimés.

Article 3

Le III de larticle 86 de la loi n° 2024‑42 du 26 janvier 2024 pour contrôler limmigration, améliorer lintégration est abrogé.

Article 4

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.