N° 2323

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 mars 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à abroger l’article 222-14-2 du code pénal,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Mickaël BOULOUX,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 2010‑201 du 2 mars 2010 « renforçant la lutte contre les violences de groupe et la protection des personnes chargées d’une mission de service public » a créé une infraction nouvelle inscrite à l’article 222‑14‑2 du code pénal :

« Le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. »

En d’autres termes, le dispositif de cet article 222‑14‑2 prévoit de sanctionner de manière préventive l’accomplissement d’actes préparatoires présumés à une infraction non encore constituée.

Début 2019, quelques temps après l’épisode des Gilets jaunes en France, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a dénoncé les nombreuses interpellations sur le fondement de l’article 222‑14‑2 du code pénal en raison de la détention d’objets jugés suspects par la police, parfois de manière contestable (un masque de plongée ou un gilet jaune par exemple), au point qu’elle s’est demandée, dans le point n° 39 de son « Mémorandum sur le maintien de l’ordre et la liberté de réunion dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes » en France » ([1]) :

« Au cours de sa mission, l’attention de la Commissaire a […] été attirée sur […] le délit de participation à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens, réprimé́ à l’article 222142 du code pénal. [Combiné] à l’article 7822 du code de procédure pénale, qui permet aux procureurs de la République de délivrer des réquisitions aux fins de contrôle d’identité́, de visite de véhicules, d’inspection visuelle et de fouille de bagages, utiles à la recherche et à la poursuite d’un certain nombre d’infractions, cette disposition a conduit à l’interpellation et au placement en garde à vue de nombreuses personnes, parfois contrôlées dans une gare ou sur une aire d’autoroute à plusieurs dizaines de kilomètres d’une ville où se tenait une manifestation, en raison de la détention d’objets tels qu’un gilet jaune, un outil, ou encore un masque de plongée. Selon plusieurs professionnels du droit avec laquelle la Commissaire a pu s’entretenir, seule une minorité de ces gardes à vue a débouché sur des poursuites pénales, ce qui les conduit à se demander si l’objectif ainsi poursuivi n’est pas davantage d’empêcher la participation à une manifestation que de réprimer la commission d’une infraction, tandis que d’éminents membres du barreau et défenseurs des droits de l’homme ont publiquement qualifié de tels cas d’« arrestations préventives ».

Le 3 mai 2023, la Contrôleure générale française des lieux de privation de libertés a rendu publiques ses observations à l’issue des contrôles des conditions de privation de liberté des personnes interpellées dans le cadre ou en marge des manifestations ayant eu cours en mars 2023, dans plusieurs locaux de garde à vue dans la capitale. Ses conclusions sont sans appel, la Contrôleure générale indiquant « questionner la finalité réelle » de ces gardes à vue et dénoncer « un recours massif à titre préventif à la privation de liberté à des fins de maintien de l’ordre public ». De fait, la Contrôleure générale relevait qu’alors que « 80 % des procédures sont classées sans suite une fois opéré le contrôle de l’autorité judiciaire, la minorité de personnes déférées […] quitte le tribunal libre », après avoir néanmoins passé « près de 24 heures en garde à vue ».

Aussi, il apparaît que l’efficacité de l’article 222‑14‑2 du code pénal est toute relative et n’a pour effet que d’engorger un peu plus les services de la police et de la justice. En outre, tout acte préparatoire amené à être incriminé doit pouvoir constituer un lien suffisamment étroit et direct avec la commission d’une infraction pénale principale, avec un risque réel et prévisible que l’acte soit effectivement commis. En conséquence, la présente proposition de loi a pour objet d’abroger l’article 222‑14‑2 du code pénal.

 


– 1 –

proposition de loi

Article unique

L’article 222‑14‑2 du code pénal est abrogé.

 


([1])  CommDH(2019)8, 26 février 2019.