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N° 2356

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 mars 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre le temps d’enseignement scolaire égal sur l’ensemble du territoire de la République,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Emmanuel FERNANDES, Mme Charlotte LEDUC, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Sébastien DELOGU, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mme Raquel GARRIDO, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, Mme Rachel KEKE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, M. Sébastien ROME, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au cœur de la République, il y a l’égalité des citoyens devant la loi. 

L’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 dispose que « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » Ne pas respecter ce principe, inclus dans le bloc de Constitutionnalité, représente une atteinte profonde aux principes mêmes de notre pays - nul ne pourrait l’accepter.

Dans les écoles d’Alsace et de Moselle, les plus jeunes citoyens subissent une inégalité face à l’enseignement par rapport aux autres écoliers du pays. En effet, la norme est claire : le temps d’enseignement scolaire primaire est composé de 24 heures - et de 26 heures pour l’enseignement secondaire. Ce temps est consacré à un enseignement général qui est organisé par un programme national pour enseigner des savoirs, et proposer des exercices physiques et sportifs ainsi que des exercices d’expression artistique. Pourtant, en Alsace et en Moselle, une heure de ce bloc de 24 heures est consacrée à l’enseignement religieux selon un dispositif dérogatoire au droit. Cette heure provoque une réduction du temps d’enseignement scolaire pour les élèves d’école élémentaire en Alsace‑Moselle qui ne bénéficient que de 23 heures d’enseignement général et une heure d’enseignement d’une religion concordataire (excluant par exemple l’enseignement de l’Islam). En cinq ans, ces élèves perdent ainsi 180 heures de ces enseignements communs seulement pour l’enseignement en école élémentaire. Le code de l’éducation prévoit une dispense pour cet enseignement religieux. En Alsace, il est remplacé par un « complément d’enseignement moral » dont l’enseignement est particulièrement inégal selon les établissements et qui ne bénéficie d’aucun cadre éducatif particulier. En Moselle, aucun dispositif n’est prévu pour les enfants créant de ce fait une inégalité locale plus forte encore. Aussi, que l’enseignement religieux soit suivi ou non, les élèves d’école élémentaire et du secondaire perdent des heures de l’enseignement général. Par ailleurs, intégrer une heure de religion dans le temps scolaire obligatoire contrevient au principe de neutralité en ce qu’il devient possible de connaître qui s’identifie dans l’un des quatre cultes reconnus (catholique, protestant réformé, protestant luthérien et israélite) et qui ne s’y reconnaît pas. Enfin, cet enseignement est par nature confessionnel et se confond régulièrement avec le catéchisme. Il est assuré, pour le premier degré, par des ministres des cultes ou des agents non titulaires qui sont proposés par les autorités religieuses aux académies. Bien que les enseignants religieux soient des agents titulaires de la fonction publique pour le second degré, ils restent néanmoins proposés par les clergés concordataires. L’enseignement religieux dans un temps non distinct des enseignements pédagogiques entretient une confusion dans les esprits des élèves entre ce qui relève du savoir et ce qui relève de la foi. D’un côté, des problématiques laïques sont abordées pour présenter le culte comme étant à l’écoute de la société contemporaine, de l’autre, les pratiques ecclésiales sont encore encouragées a minima oralement. Ce risque d’amalgame n’est pas de nature à garantir la liberté de conscience des élèves au sein même de l’école.

Pourtant, depuis plusieurs années, le taux de participation à l’enseignement religieux a très largement baissé. Le collectif « Laïcité d’accord » note une nette augmentation des élèves dispensés de l’enseignement religieux selon l’âge des élèves : dans l’académie de Strasbourg, en 2021, si 45 % des élèves suivaient l’enseignement religieux à l’école élémentaire (71 % en 2006), ils n’étaient plus que 20 % dans l’enseignement secondaire. Pour l’ensemble de l’Alsace‑Moselle la baisse de la participation à cet enseignement est encore plus importante, dans les collèges elle passe de 50 % en 2007 à 12 % en 2023. L’enseignement religieux devient donc l’exception et le « complément d’enseignement moral » la norme. Qu’il soit moral ou religieux, cet enseignement prive pourtant les élèves d’une heure d’enseignement général. 

Nous sommes favorables à l’extension de la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l’État et donc à l’abrogation des dispositions concordataires en vigueur dans les territoires d’Alsace et de Moselle. Cette abrogation des dispositions concordataires qui concernent la religion et les cultes ne modifierait en rien les dispositions particulières du droit local d’Alsace‑Moselle relatives au droit social, commercial, foncier, associatif, au droit du travail (jours fériés, absence de délai de carence en cas d’arrêt maladie, durée réduite des préavis en cas de démission…) ni ne remettrait en cause le régime local d’assurance maladie d’Alsace‑Moselle. 

Nous proposons donc de rendre provisoirement optionnelle, comme une première étape avant l’extension de la loi du 9 décembre 1905 sur l’ensemble du territoire, la ou les heures d’enseignement religieux pour la sortir du bloc en école élémentaire de 24 heures et dans le secondaire de 26 heures hebdomadaires d’enseignement obligatoire afin que ce temps soit uniquement consacré à des enseignements de savoirs ou à des exercices physiques et artistiques comme sur le reste du territoire de la République. Le « complément d’enseignement moral » n’aura donc plus aucune pertinence et sera donc amené à disparaître. Ce texte se propose donc uniquement d’accorder à l’ensemble des élèves du territoire de la République, le même nombre d’heures d’enseignement scolaire obligatoire conformément au principe d’égalité de notre République. 

Cette proposition reprend à son compte l’avis sur le régime local des cultes en Alsace et en Moselle de l’Observatoire de la laïcité du 12 mai 2015 qui visait à « placer l’enseignement religieux en supplément du temps de l’enseignement scolaire commun » en ces termes : « l’Observatoire de la laïcité recommande une modification de l’article D. 4812 du code de l’éducation afin de ne pas priver les élèves des écoles primaires d’AlsaceMoselle d’une heure d’enseignement hebdomadaire par rapport aux élèves du même degré d’enseignement scolarisés dans le reste du territoire français. »

Au moment où Najat Vallaud‑Belkacem était ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, au printemps 2016, le plus haut niveau de l’exécutif s’était saisi de cette nécessaire réforme sur l’égalité des élèves. Ainsi la ministre déclarait à Strasbourg en juin 2016 : « Fautil à tout prix maintenir l’heure d’enseignement religieux dans les 24 heures de la scolarité commune ? Ma conviction est que le principe d’égalité justifie au minimum qu’une réflexion approfondie soit conduite. On ne peut pas détourner les yeux de ce problème ou le laisser sans solution ». Il nous apparaît donc nécessaire de reprendre ce chantier abandonné pour faire bénéficier aux écoliers d’Alsace‑Moselle de l’heure d’enseignement général qui leur manque chaque semaine.

Suite à l’adoption de cette présente loi, les articles du code de l’éducation qui organisent un dispositif dérogatoire pour l’enseignement primaire au droit national dans les départements du Bas‑Rhin, Haut‑Rhin et Moselle à savoir le R. 141‑8, D. 481‑2, D. 481‑5 et le D. 481‑6 seront donc abrogés.

La règle pour le pouvoir réglementaire, considéré comme étant de valeur législative par le Conseil d’État dans son arrêt du 6 avril 2001[1], d’assurer obligatoirement un enseignement religieux dans toutes les écoles de ces départements n’entre ici pas en contradiction avec le présent dispositif législatif car il ne s’agit ici que d’aménager l’enseignement pour qu’il ne se fasse plus au détriment du tronc commun.

En plus des décrets et règlements précités, les dispositifs normatifs, notamment par voie de circulaire rectorale, permettant un enseignement religieux obligatoire dans le temps scolaire pour les établissements publics d’enseignement du second degré seront également abrogés. 

Les articles 1er et 2 de la présente proposition de loi visent à retirer la ou les heures d’enseignement religieux inculquées en Alsace et en Moselle des vingt‑quatre heures d’enseignement scolaire obligatoire du premier degré et des vingt‑six heures d’enseignement obligatoire du second degré. L’enseignement religieux sera toujours proposé mais de manière facultative en dehors des heures d’enseignement obligatoire. Le « complément d’enseignement moral » dans l’enseignement primaire sera donc également supprimé. Enfin, les représentants légaux qui désirent pour leurs enfants un enseignement religieux le demanderaient de manière positive. Les autres n’auraient plus à solliciter une dispense.

L’article 3 de la présente proposition de loi reprend les dispositions précitées des précédents articles pour modifier la portée normative attribuée par le Conseil d’État à l’article 10a de l’ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l’exécution de la loi du 12 février 1873 par le Conseil d’État comme fondant l’obligation pour le pouvoir réglementaire d’organiser l’enseignement religieux, notamment dans l’enseignement secondaire, pendant le temps scolaire. 

 


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proposition de loi

Article 1er

Le chapitre unique du titre VIII du livre IV de la deuxième partie du code de l’éducation est complété par un article L. 481‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 4812. – Sans qu’il ne puisse être opposé l’article L. 481‑1 du présent code et tant que la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 n’a pas été remplacée par les dispositions de droit commun ou harmonisée avec elle, l’enseignement religieux, notamment dans les établissements d’enseignement du premier et second degré, dans les départements du Bas‑Rhin, du Haut‑Rhin et de la Moselle ne peut être donné aux enfants inscrits dans les établissements d’enseignement qu’en dehors du temps scolaire défini par décret et uniquement de manière facultative, lorsque leurs représentants légaux expriment le choix qu’ils suivent cet enseignement religieux. »

Article 2

L’article L. 141‑4 du code de l’éducation est complété par les mots : « et uniquement de manière facultative, lorsque leurs représentants légaux expriment le choix qu’ils suivent cet enseignement religieux, notamment dans les départements du Bas‑Rhin, du Haut‑Rhin et de la Moselle ». 

Article 3

L’article 10 a de l’ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l’exécution de la loi du 12 février 1873 sur l’enseignement est ainsi modifié :

1° Le mot : « doivent » est remplacé par le mot : « peuvent » ;

2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « L’enseignement religieux, notamment dans les établissements d’enseignement du premier et second degré, dans les départements du BasRhin, du HautRhin et de la Moselle ne peut être donné aux enfants inscrits dans les établissements d’enseignement qu’en dehors du temps scolaire défini par décret et uniquement de manière facultative, lorsque leurs représentants légaux expriment le choix qu’ils suivent cet enseignement religieux. »

 

 


([1]) conseil d'etat, 8 / 3 ssr, du 6 avril 2001, 219379 221699 221700, publie au recueil lebon