N° 2365

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 mars 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à mieux lutter contre le harcèlement scolaire,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Alexandra MARTIN (ALPES-MARITIMES), Mme Michèle TABAROT, M. Nicolas FORISSIER, Mme Isabelle VALENTIN, Mme Véronique LOUWAGIE, M. Ian BOUCARD, M. Francis DUBOIS, M. Hubert BRIGAND, Mme Isabelle PÉRIGAULT, M. Nicolas RAY, M. Éric PAUGET, M. Patrick HETZEL, M. Thibault BAZIN, M. Jean-Pierre TAITE, Mme Sylvie BONNET, M. Stéphane VIRY, M. Jean-Pierre VIGIER, Mme Émilie BONNIVARD, Mme Josiane CORNELOUP, M. Éric CIOTTI, Mme Virginie DUBY-MULLER, M. Yannick NEUDER, Mme Emmanuelle ANTHOINE, Mme Annie GENEVARD, M. Michel HERBILLON, M. Alexandre PORTIER, M. Philippe JUVIN, M. Vincent DESCOEUR, Mme Emmanuelle MÉNARD, M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER, Mme Véronique BESSE,

députées et députés.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Nous sommes les soins palliatifs, les familles nous appellent quand elles ont tout essayé et que personne n’a voulu les entendre. »

Nora Tirane Fraisse, déléguée générale et fondatrice de l’Association Marion la main tendue.

 

Mesdames, Messieurs,

Chaque année, le harcèlement scolaire fait 800 000 à un million de victimes.

Loin de ne toucher que les victimes directes, ce fléau implique également leurs familles, leurs proches, leurs entourages, leurs collègues, et les équipes pédagogiques.

Dans la cour de récréation, dans les classes, dans les couloirs, dans les toilettes, à la cantine, sur le chemin de l’école, et sur les réseaux sociaux, de trop nombreux élèves subissent un harcèlement - un sur cinq d’après l’enquête réalisée par l’Institut français d’opinion publique (IFOP) pour l’association Marion la main tendue et Head & Shoulders, en novembre 2023 – qui s’apparente à un véritable acharnement verbal, physique, moral et psychologique.

La loi n° 2022‑299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a marqué un premier pas dans la lutte contre le harcèlement scolaire.

Elle a posé le principe d’un droit à la scolarité sans harcèlement, en créant un délit de harcèlement scolaire, puni jusqu’à 10 ans de prison en cas de suicide ou tentative de suicide de la victime.

Le législateur a défini le harcèlement comme la répétition d’une violence verbale, physique et psychologique commise à l’encontre d’un élève. Caractérisés par une véritable intention de nuire, les actes de harcèlement détériorent le climat scolaire, endommagent durablement la construction de l’identité des jeunes et brisent leurs perspectives d’avenir.

Les répercussions du harcèlement sont colossales.

D’après l’enquête pré‑citée, 90 % des victimes estiment que le harcèlement subi a eu un impact négatif sur leur bien‑être, 61 % sur leurs résultats scolaires et 47 % sur leurs relations sociales

L’enquête révèle également les conséquences du harcèlement sur la santé des victimes : 47 % des jeunes harcelés indiquent aussi avoir des problèmes de sommeil, 34 % ressentent des maux de tête ou de ventre à l’idée d’aller à l’école.

Plus grave encore, 58 % des victimes ont déjà pensé à se faire du mal à cause de leur vécu à l’école.

Pourtant, l’école devrait être un lieu d’apprentissage, d’épanouissement et de réalisation des citoyens en devenir.

Les réponses doivent être fortes, à la mesure de cet enjeu social.

Parce que le harcèlement scolaire est un phénomène global, que chaque situation de harcèlement est un « échec collectif », il est nécessaire d’envisager une approche systémique pour y remédier.

Presque deux ans après la promulgation de la loi n° 2022‑299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, la présente proposition de loi invite à en marquer un acte II.

Si la loi a créé un délit pénal de harcèlement scolaire, elle s’avère encore inefficace à faire cesser le harcèlement.

Le temps pénal qui dans notre pays se compte en années, n’est pas le temps de la victime dont la situation nécessite une réponse concrète et rapide.

De surcroît, l’action pénale vise certes à punir. Mais, il s’agit en amont, d’améliorer la réponse disciplinaire au sein de l’établissement et une meilleure transparence dans l’information donnée aux familles.

C’est ce que propose la présente proposition de loi en obligeant l’ouverture d’une enquête interne par le chef d’établissement dès lors que des faits de harcèlement scolaire lui sont rapportés et d’y apporter une réponse sous quinze jours ouvrables.

Ainsi l’article 1er vise à rendre obligatoire une réponse rapide et coordonnée dès lors qu’une situation de harcèlement scolaire est signalée ou détectée.

L’article 2 détaille cette réponse qui prend la forme d’une enquête interne ouverte par le chef d’établissement qui s’engage à établir un protocole de suivi transmis aux familles de la victime présumée et des auteurs présumés.

Enfin, l’article 3 précise que les familles de la victime présumée et des auteurs présumés sont informés de l’enquête, il s’agit ainsi de replacer les parents dans leur rôle d’éducateur. Le chef d’établissement remet aux familles un guide du harcèlement scolaire qui les accompagne dans leurs démarches.

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

À la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 111‑6 du code de l’éducation, après le mot : « coordonnée », sont insérés les mots : « telle que prévue à l’article L. 111‑7 ».

Article 2

Le chapitre premier du titre Ier du livre premier de la première partie du code de l’éducation est complété par un article L. 111‑7 ainsi rédigé :

« Art. L. 1117. – Lorsqu’elle est informée de faits susceptibles de constituer un harcèlement, l’administration scolaire de l’établissement est tenue d’apporter une réponse sous quinze jours ouvrables.

« Le chef d’établissement diligente et ouvre une enquête interne.

« Lors de cette enquête, le chef d’établissement auditionne la victime présumée des faits caractérisant le harcèlement, les auteurs présumés, les témoins, les membres de la communauté éducative. Il s’engage à mettre en place un protocole de suivi consigné par écrit, transmis aux familles de la victime présumée et des auteurs présumés, afin de mettre un terme au harcèlement scolaire et lutter contre la récidive.

« L’examen de la situation doit permettre d’établir les faits et d’orienter la mise en œuvre de mesures conservatoires, le temps de l’enquête en application de l’article D. 511‑33. Si, à l’issue de l’enquête interne, les faits de harcèlement scolaire sont avérés, alors le chef d’établissement a l’obligation de convoquer le conseil de discipline, en vertu de l’article R. 421‑10, et de prendre les mesures disciplinaires qui s’imposent.

« Le chef d’établissement informe et accompagne les familles de la victime présumée et des auteurs présumés des faits, des éventuelles sanctions encourues et des voies de recours en faveur de la victime, dans un délai raisonnable de quarante‑huit heures.

« Il informe le recteur de région, le recteur d’académie et le directeur académique des services de l’éducation nationale et leur signale les résultats de l’enquête interne et des sanctions retenues, communiqués également aux familles de la victime présumée et des auteurs présumés.

« Si la famille de la victime présumée estime que la réaction du chef d’établissement n’est pas suffisante, alors elle peut saisir le recteur de région, le recteur d’académie et le directeur académique des services de l’éducation nationale qui engagent à leur tour une enquête administrative auprès des acteurs sous leur responsabilité et, le cas échéant, prennent des sanctions.

« Sur la base des éléments circonstanciés recueillis, le chef d’établissement engage une procédure disciplinaire et ce, même en l’absence de poursuites pénales, sur la base de l’article R. 421‑10 du code de l’éducation, à l’encontre du ou des auteurs présumés de harcèlement scolaire et de tout élève qui, ayant acquis connaissance des faits, s’est abstenu volontairement d’intervenir pour empêcher leur réitération.

« Sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale, le chef d’établissement est tenu de porter sans délai les faits à la connaissance du procureur de la République, avec à l’appui de la saisine les éléments matériels recueillis lors de l’enquête interne. »

Article 3

Le chapitre premier du titre Ier du livre premier de la première partie du code de l’éducation est complété par un article L. 111‑8 ainsi rédigé :

« Art. L. 1118. – Au cours de l’enquête interne mentionnée à l’article L. 111‑7, le chef d’établissement informe et accompagne les familles de la victime présumée et des auteurs présumés, des faits, des éventuelles sanctions encourues et des voies de recours prévues en faveur de la victime.

« Il leur remet un guide du harcèlement scolaire qui :

« 1° Leur communique les coordonnées du référent harcèlement, du médiateur académique, du recteur de région, du recteur d’académie et le directeur académique des services de l’éducation nationale, y compris de saisir le défenseur des droits ;

« 2° Les informe du droit de solliciter un changement d’établissement auprès du recteur et des voies de recours ;

« 3° Les informe du droit de saisir l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, au titre de l’article R. 241‑5.

« L’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche procède à des inspections, enquêtes administratives et disciplinaires, études, missions d’évaluation et d’expertise visant à faire cesser le harcèlement scolaire et à sanctionner les éventuels manquements. 

« Les familles peuvent également saisir le défenseur des droits, le recteur académique, le directeur académique des services de l’éducation nationale, et le référent harcèlement, qui engagent toutes procédures susceptibles de faire cesser le harcèlement scolaire et de sanctionner les éventuels manquements. »