N° 2482

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 avril 2024.

PROPOSITION DE LOI

pour le renouvellement des élus par une limitation du cumul des mandats dans le temps,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Claude RAUX, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Hendrik DAVI, Mme Christine PIRES BEAUNE, Mme Christine ARRIGHI, M. Mickaël BOULOUX, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Julie LAERNOES, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, Mme Sandra REGOL, Mme Claudia ROUAUX, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Léo WALTER,

députés et députées.


– 1 –

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité instaurer la règle du noncumul des mandats dans le temps tant pour les parlementaires que pour certaines fonctions exécutives locales. C’est la condition de l’oxygénation de notre vie politique. »

Déclaration d’Emmanuel Macron sur la Constitution de 1958 et sur la réforme constitutionnelle, à Paris le 4 octobre 2018.

 

« Professionnel·les de la politique ! » ; « Ils et elles n’ont jamais travaillé, comment peuvent‑ils et elles nous représenter ? » ; « Les politiques sont déconnecté·es » : autant de critiques à l’égard de notre démocratie qu’il nous faut savoir entendre, auxquelles il nous faut savoir répondre. Accélérer le renouvellement et la diversification des profils des élu·es constitue une des solutions les plus efficaces et bénéfiques pour revitaliser notre démocratie, la rendre plus représentative et plus citoyenne. Dans une démocratie où le pouvoir appartient au peuple, comment accepter alors qu’il reste finalement entre les mains de quelques‑uns par une stratégie d’accumulation de mandats ? Les situations de cumul sont telles, à la fois de manière simultanée entre des mandats de niveaux différents que consécutive, qu’une élite politique s’est constituée. Le pouvoir concentré, monopolisé et conservé par certain·es, c’est le pouvoir confisqué au plus grand nombre.

Fort de ce constat, le législateur est intervenu afin d’encadrer ces pratiques de cumul avec les lois organiques et ordinaires des 30 décembre 1985, 5 avril 2000, 17 mai 2013 et 14 février 2014. La dernière en la matière, soutenue largement dans l’opinion publique, est ambitieuse : elle interdit le cumul d’un mandat parlementaire avec toutes fonctions exécutives locales. Les effets observés à la suite des élections législatives de 2017 et de l’entrée en application de ces dispositions ont été salutaires : seul·es 140 député·es sortant·es ont été renouvelé·es. De nombreuses et nombreux député·es sortant·es avaient fait le choix de ne pas se représenter et d’autres ont décidé de se consacrer à leurs fonctions au sein d’un exécutif local. L’Assemblée nationale s’est également en partie rajeunie, fortement féminisée et davantage ouverte à différentes catégories sociales, sans pour autant atteindre une représentativité de la société française. Revitalisation de courte durée, les élections législatives de 2022 ont signé le grand retour des « politiques » et la fin du renouvellement comme le démontre une note de l’Institut des politiques publiques.

Alors que le non‑cumul des mandats constitue une avancée certaine pour la démocratie, la voilà aujourd’hui menacée, remettant en cause une disposition plébiscitée par 80 % des Français·es selon des sondages de l’époque. Le prétexte du renforcement de « l’ancrage territorial » ne tient pas puisque rien n’indique que depuis sa mise en place les parlementaires se soient éloigné·es de leur territoire et des citoyen·nes de leur circonscription. Pire, revenir sur cet acquis pourrait entraîner le retour des baronnies locales et accroître la défiance des citoyen·nes envers les élu·es. Le non‑renouvellement des élu·es à la tête d’un exécutif local est encore une réalité répandue. À titre d’exemple, les dernières élections départementales de juin 2021 montrent un renouvellement limité : seul un tiers des conseils départementaux accueille un nouveau président.

Justement, alors que le cumul des mandats est de nouveau mis en débat, il apparaît opportun de s’assurer que l’inverse soit la norme. Plusieurs consolidations sont possibles : l’une d’entre elles consiste à limiter le nombre de mandats consécutifs. Cette idée n’est pas neuve, elle a été maintes fois proposée parce qu’elle répond à divers objectifs vertueux. En plus du renouvellement des élu·es et de la diversification des profils, la limitation des mandats dans le temps concourt à la revitalisation du lien représentatif par la liberté de choix des électeur·trices, à la régulation de la professionnalisation de la vie politique ainsi qu’à la volonté de la population française de démocratisation des institutions. En juin 2017, 90 % des personnes sondées s’exprimaient favorablement à une limite du nombre de mandats des parlementaires.

Par ailleurs, une telle restriction du cumul de mandats existe d’ores et déjà dans le droit français en vigueur par l’article 14 de la loi organique n° 2013‑659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France qui limite à trois le nombre de mandats consécutifs des conseiller·es des Français·es de l’étranger et des conseiller·es à l’Assemblée des Français de l’étranger.

Néanmoins, la limitation du cumul des mandats dans le temps ne saurait s’accomplir sans un renforcement du statut de l’élu·e par une attention accrue à la formation professionnelle, à la valorisation des compétences et à l’accompagnement vers le retour dans l’emploi afin de garantir une réinsertion durable après un mandat politique.

M. Claude Bartolone, alors président de l’Assemblée nationale, et M. Michel Winock, co‑présidents du groupe de travail sur l’avenir des institutions, avaient d’ailleurs fait du non‑cumul dans le temps une des propositions capitales du rapport « Refaire la démocratie » en 2015, le présentant comme un outil permettant « de renouveler les élus et diversifier leur profil (…) ». En 2017, la même proposition était formulée à l’occasion du premier rapport du groupe de travail « Le statut des députés et leurs moyens de travail » des « Rendez‑vous des réformes 2017‑2022 : pour une nouvelle Assemblée nationale » mis en place par M. François De Rugy en tant que président de la chambre basse.

Portée comme mesure phare du programme pour une démocratie rénovée du candidat Emmanuel Macron à l’élection présidentielle de 2017, le non‑cumul dans le temps a été formalisé par deux tentatives législatives successives dès les premières années du mandat présidentiel. Le 23 mai 2018 sont ainsi déposés les projets de loi organique (n° 977) et ordinaire (n° 976) pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Puis le 29 août 2019 les projets de loi organique (n° 2204) et ordinaire (n° 2205) pour un renouveau de la vie démocratique. Ces projets législatifs n’ont jamais fait l’objet d’une discussion à leur terme.

La présente proposition de loi, qui reprend les dispositions des projets de loi ci‑avant, consiste à limiter l’exercice à trois fois consécutivement de fonctions exécutives locales dans les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. Les mandats incomplets entrent dans la prise en compte de l’application de cette règle tant que la durée pendant laquelle ils n’ont pas été exercés est inférieure à trois cent soixante‑cinq jours. A la différence des projets de loi de 2018 et de 2019, il est proposé de restreindre cette règle aux communes de 3 500 habitant·es et plus ainsi qu’aux EPCI à fiscalité propre de 25 000 habitant·es et plus.

Une proposition de loi organique déposée en parallèle de la présente proposition de loi applique la règle générale de limitation dans le temps pour les mandats parlementaires et l’exercice de certaines fonctions exécutives au sein des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ainsi qu’en Nouvelle‑Calédonie.

*

*   *

L’article 1er instaure une interdiction d’exercer plus de trois fois successivement les fonctions de chef de l’exécutif ou de président de l’assemblée délibérante d’une même collectivité territoriale ou d’un même établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. Les fonctions de maire, de maire d’arrondissement, de maire de Paris, de président de conseil départemental, de président de conseil régional, de président d’EPCI à fiscalité propre, de président de la métropole de Lyon, de président du conseil exécutif et de l’assemblée de Corse sont concernées par cette limitation. Les mandats incomplets entrent dans la prise en compte de l’application de cette règle tant que la durée pendant laquelle ils n’ont pas été exercés est inférieure à trois cent soixante‑cinq jours. Cette limitation n’est pas applicable aux communes de moins de 3 500 habitant·es et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de moins de 25 000 habitant·es. 

Pour la détermination de l’ancienneté en fonctions, l’article 2 prévoit que soient prises en compte les fonctions exercées antérieurement à la promulgation de la loi.

L’article 3 dispose que la présente proposition de loi s’applique sur l’ensemble du territoire de la République.

 

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

I. – La première partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifiée :

1° Le titre unique du livre Ier est complété par un chapitre VII ainsi rédigé :

« Chapitre VII

« Cumul de l’exercice des fonctions dans le temps

« Art. L. 11171. – Nul ne peut exercer plus de trois fois consécutivement les fonctions de chef de l’exécutif ou de président de l’assemblée délibérante d’une même collectivité territoriale ou d’un même établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.

« Pour l’application du premier alinéa, l’exercice d’une fonction est pris en compte une seule fois entre deux renouvellements généraux des membres de l’assemblée délibérante ou, en cas de création d’une collectivité ou d’un établissement, entre la date de la première réunion de son assemblée délibérante et le renouvellement général suivant.

« La fonction n’est pas prise en compte si elle n’a pas été exercée pendant au moins trois cent soixante‑cinq jours au cours de la période mentionnée au deuxième alinéa.

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux communes de moins de 3 500 habitants et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de moins de 25 000 habitants. La population à prendre en compte est celle qui résulte du dernier recensement.

« Art. L. 11172. – L’interdiction mentionnée à l’article L. 1117‑1 est applicable aux fonctions prévues aux articles L. 3122‑1 et L. 3631‑4.

« Elle est également applicable aux fonctions de maire prévues à l’article L. 2122‑1, aux fonctions de maire d’arrondissement prévues à l’article L. 2511‑25, aux fonctions de maire de Paris prévues à l’article L. 2512‑1 et aux fonctions de président d’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre prévues à l’article L. 5211‑6.

« Tout titulaire d’une des fonctions mentionnées au premier et au deuxième alinéas élu en violation des dispositions de l’article L. 1117‑1 est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le représentant de l’État dans le département, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours suivant la notification de cette décision et, le cas échéant, recours au Conseil d’État contre la décision du tribunal.

« Le recours au Conseil d’État contre la décision du tribunal administratif est ouvert soit au représentant de l’État, soit aux parties intéressées.

« Art. L. 11173. – L’interdiction mentionnée à l’article L. 1117‑1 est applicable aux fonctions prévues aux articles L. 4133‑1, L. 4422‑8, L. 7123‑1 et L. 7223‑1 ainsi qu’à celles de président du conseil exécutif de Corse prévues à l’article L. 4422‑19 et de président du conseil exécutif de Martinique prévues à l’article L. 7224‑1.

« Tout titulaire d’une des fonctions mentionnées au premier alinéa élu en violation des dispositions de l’article L. 1117‑1 est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le représentant de l’État dans la collectivité territoriale, sauf recours au Conseil d’État dans les dix jours suivant la notification de cette décision. » ;

2° Le titre II du livre VIII est complété par un chapitre V ainsi rédigé :

« Chapitre V

« Cumul de l’exercice des fonctions dans le temps

« Art. L. 18251. – Les dispositions des articles L. 1117‑1 et L. 1117‑2, dans leur rédaction résultant de la loi n°     du      pour le renouvellement des élus par une limitation du cumul des mandats dans le temps, sont applicables aux communes de la Polynésie française. »

II. – La section 1 du chapitre II du titre II du livre Ier du code des communes de la Nouvelle‑Calédonie est complétée par un article L. 122‑3‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 12231. – Nul ne peut exercer plus de trois fois consécutivement des fonctions identiques de maire d’une commune de 3 500 habitants et plus.

« Pour l’application du présent article, l’exercice d’une fonction est pris en compte une seule fois entre deux renouvellements généraux. La fonction n’est pas prise en compte si elle n’a pas été exercée pendant au moins trois cent soixante‑cinq jours au cours de la même période.

« Tout titulaire d’une des fonctions mentionnées au premier alinéa élu en violation des dispositions du présent article est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le haut‑commissaire de la République, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours suivant la notification de cette décision et, le cas échéant, recours au Conseil d’État contre la décision du tribunal. »

Article 2

Les fonctions exercées antérieurement à la publication de la présente loi sont prises en compte pour l’application de l’article 1er.

Article 3

La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République.