N° 2507

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 avril 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à créer un statut de victime de harcèlement dans l’administration,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christelle D’INTORNI,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le harcèlement est protéiforme et recouvre divers champs tels que le harcèlement moral, le harcèlement scolaire, le harcèlement psychologique au travail ou encore le harcèlement sexuel.

Ce fléau injustifiable traduit une réelle souffrance de la victime quelle qu’elle soit : élève, étudiant, salarié ou fonctionnaire et dont les conditions de travail sont impactées par une violence répétée portant atteinte, au fond, à la dignité humaine.

Oui, le harcèlement constitue, avant tout, un phénomène humainement destructeur qui conduit les victimes à une dégradation considérable de leur santé psychique, mentale et physique.

Agissant la majorité du temps tapi dans l’ombre, le harcèlement peut, en effet, revêtir des manifestations multiples telles que des attitudes hostiles, des brimades, des pressions ou tout autre comportement dont la répétition accentue la toxicité.

Selon une étude réalisée par l’institut IPSOS, 80 % des agents du secteurs public affirment que le harcèlement est omniprésent dans leur profession. Plus précisément, un agent du service public sur trois déclare avoir déjà été victime de faits de harcèlement.

Dans l’enceinte de l’école, les chiffres sont tout aussi alarmants, près d’un million d’élèves sont victimes de harcèlement scolaire chaque année.

En matière de lutte contre toute forme de harcèlement, si la prévention revêt une importance toute particulière, il n’en demeure pas moins que chaque victime a besoin que la justice fasse son œuvre, ne serait‑ce que pour se reconstruire.

Au fond, les dispositifs de prévention aussi louables soient‑ils, ne sauraient effacer l’impérieuse nécessité d’un processus disciplinaire au sein duquel la victime prendrait sa juste place.

D’autant que la reconnaissance de la souffrance de la victime de harcèlement doit désormais se traduire directement dans la procédure qui permettra d’obtenir la réparation de son préjudice qui constitue d’ailleurs un réel facteur de guérison.

De surcroît, le procédé par lequel la sanction frappe l’auteur de faits de harcèlement couvre une vertu pédagogique, y compris pour les victimes qui prennent ainsi conscience que les agissements visés ne sont en aucun cas légitimes

En tout état de cause, et au‑delà des dispositions afférentes tant en droit interne qu’en droit communautaire, le seul respect des droits et libertés fondamentaux impose à l’employeur public un devoir absolu de sanctionner un tel comportement.

Or, trop longtemps, la victime de harcèlement a demeuré silencieuse et a évolué dans une certaine clandestinité couverte par une chape de plomb et une forme d’omerta mortifère.

Cette invisibilité de la victime est parfaitement illustrée au cours de toute la procédure disciplinaire.

En premier lieu, durant cette procédure, le plaignant ne peut véritablement intervenir à souhait afin de verser, plusieurs fois et de manière spontanée, des observations et pièces concourants à la caractérisation des faits dénoncés.

En second lieu, contrairement à la partie adverse, au cours de cette procédure, la victime ne peut obtenir la notification de la décision prise et, à ce titre, n’a pas la possibilité d’user des voies de recours.

En réalité, cette procédure disciplinaire est le symbole de l’inversement des valeurs tant le harceleur semble avoir plus de droits que la victime au cours de celle‑ci.

L’histoire du droit administratif a longtemps été marqué par d’une très lente émergence de « la victime » comme sujet de droit. Celle‑ci ayant toujours été confrontée soit à une indifférence doctrinale soit un manque de reconnaissance prétorienne.

Dans ce cadre, c’est le législateur qui imposera finalement une batterie de lois visant à réparer le dommage causé par l’État au requérant jusqu’à esquisser du bout des lèvres un statut de « victime » cantonné, en réalité, au seul devoir d’indemnisation de la puissance publique.

C’est ainsi que Jacques Moreau résumera cette évolution : « l’ère de la transsubstantiation de la victime. Alors qu’elle apparaît au XIXe siècle comme l’humble mendiant sollicitant une aumône auprès de l’auteur du dommage, elle devient dans les années 1950 une véritable personne juridique, titulaire de droits  » ([1]).

Pour toutes les raisons précitées, et pour poursuivre le travail de nos prédécesseurs, la présente proposition de loi vise à créer un véritable statut de la victime de harcèlement dans l’administration.

À cette fin, l’article 1er vise précisément à créer le statut juridique de la victime de harcèlement dans l’administration.

L’article 2 prévoit une obligation d’information à la victime de l’ouverture d’une procédure disciplinaire ainsi qu’une communication du dossier.

Aux termes de l’article 3, la victime a le droit de verser autant qu’elle le souhaite et à tout moment ses observations et pièces.

Enfin, l’article 4 établit l’obligation de notification de la décision prononcée par le conseil de discipline à la victime de harcèlement afin que celle‑ci puisse, le cas échant, user de toutes les voies de recours.

En tout état de cause, nous appelons de nos vœux les modifications nécessaires du décret n° 86‑83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’État ainsi que du décret n° 89‑677 du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux.

 

 


– 1 –

proposition de loi

Article 1er

La section 3 du chapitre II du titre III du livre V du code général de la fonction publique est complétée par une sous‑section 3 ainsi rédigée :

« Sous‑section 3

« Statut de la victime de harcèlement »

Article 2

Au début de la sous‑section 3 de la section 3 du chapitre II du titre III du livre V du code général de la fonction publique telle qu’elle résulte de l’article 1er de la présente loi, il est inséré un article L. 532‑14 ainsi rédigé :

« Art. L. 53214. – L’autorité hiérarchique de la victime de faits de harcèlement a l’obligation de l’informer de l’ouverture d’une procédure disciplinaire quel que soit le niveau de sanction envisagé.

« Dans ce cadre, la victime a le droit de demander la communication de l’intégralité du dossier.

« Cette communication doit intervenir dans les conditions permettant à celle‑ci d’apporter les observations nécessaires à la caractérisation des faits de harcèlement. »

Article 3

Après l’article L. 532‑14 du code général de la fonction publique tel qu’il résulte de l’article 2 de la présente loi, il est inséré un article L. 532‑15 ainsi rédigé :

« Art. L. 53215. – À tout moment de la procédure, l’agent victime de faits de harcèlement peut présenter des observations orales ou écrites devant l’instance disciplinaire. »

Article 4

Après l’article L. 532‑15 du code général de la fonction publique tel qu’il résulte de l’article 3 de la présente loi, il est inséré un article L. 532‑16 ainsi rédigé :

« Art. L. 53216. – La décision disciplinaire doit être notifiée à la victime par tout moyen ainsi que les termes de sa motivation.

« À ce titre, la victime peut, le cas échéant, user des voies de recours afférentes. »

 

 


([1])  J. Moreau, L’influence de la situation et du comportement de la victime sur la responsabilité administrative, p. 248.