N° 2551

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 avril 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à intégrer la sur-rémunération des fonctionnaires ultramarins dans le calcul du montant de leur pension de retraite,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Stéphane LENORMAND, M. Olivier SERVA, M. Max MATHIASIN,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Selon les données de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), un retraité qui réside dans les Outre‑mer touche en moyenne une pension inférieure de 10 à 17 % à ce que perçoit un retraité qui vit en France hexagonale. La Réunion est d’ailleurs la région française où les pensions de retraites sont les plus faibles, soit 1 160 euros brut en moyenne.

Mécaniquement, cela conduit à une plus forte précarité de cette tranche de la population. En Guyane, 15 % des retraités sont en situation de grande pauvreté, 11 % à La Réunion et en Guadeloupe et 9 % en Martinique, contre 1 % dans l’Hexagone ([1]).

Ces données doivent être corrélées à un coût de la vie sur place également supérieur à celui de l’Hexagone : En 2022, les écarts de prix (indices de Fisher) pour les produits alimentaires sont de +42 % entre la Guadeloupe et la France hexagonale, +40 % pour la Martinique, +39 % pour la Guyane, +37 % pour La Réunion et +30 % pour Mayotte ([2]).

L’absence de cotisation des fonctionnaires ultramarins sur le ou les compléments de rémunération leur étant versés du fait de leur affectation dans ces territoires, pour compenser notamment la cherté de la vie, dans le calcul du montant de leur pension de retraite, relève donc d’une véritable anomalie. Pour rappel, cette sur‑rémunération est de l’ordre de 40 % du traitement indiciaire de base aux Antilles‑Guyane ainsi qu’à Mayotte et de 53 % à La Réunion.

Arrivés au stade du départ à la retraite et n’ayant pas cotisé sur ces compléments de rémunération tout le long de leur carrière, nombre d’entre eux vivent un déclassement et s’enlisent dans des situations économiques précaires.

C’est au regard de ce constat que depuis de nombreuses années, est demandée aux Gouvernements successifs, la possibilité, à la fois pour les fonctionnaires et pour leur employeur, de cotiser sur cette sur‑rémunération au cours de la carrière.

Cette mesure aurait déjà pu être adoptée lors de l’examen du projet de loi instituant un régime de retraite universelle en 2020. À ce titre, Mme Annick Girardin, ministre des Outre‑Mer de l’époque, s’était montrée favorable à la mesure. Lors d’une séance de questions au Gouvernement le 28 janvier 2020, elle a indiqué que « L’intégration de la sur‑rémunération dans le calcul des retraites réduira le phénomène de baisse de pouvoir d’achat lors du départ en retraite pour les fonctionnaires résidant en Outre‑mer ».

Tel que le laissait entendre un courrier envoyé aux parlementaires le 10 janvier 2020, une amorce de travail en ce sens a été menée par le Gouvernement. Il était prévu, selon ce courrier, qu’une partie de cette sur‑rémunération soit donc « soumise à cotisation, à l’instar des autres primes ». « S’agissant des cotisations salariales, elles seront mises en œuvre de manière progressive sur 15 ans, l’employeur prenant à sa charge la différence par rapport à la cotisation totale ». Durant la séance de questions au Gouvernement susvisée, la ministre précisait que « le plafond de l’assiette de sur‑rémunération sur laquelle [s’appliqueraient] les cotisations [serait] fixé par décret ».

Les Députés ultramarins souhaitent donc s’inscrire dans le prolongement des précédentes tentatives.

Ainsi, les Députés de Guadeloupe, MM. Olivier Serva et Max Mathiasin, à travers des amendements déposés dans le cadre du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour l’année 2023 (PLFSSR), ont proposé que les fonctionnaires des trois versants de la fonction publique, exerçant dans l’ensemble des territoires – Guadeloupe, Guyane, Réunion, Martinique, Saint‑Barthélemy, Saint‑Martin, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon – où la sur‑rémunération dite « vie chère » s’applique, puissent cotiser, au même titre que leurs employeurs sur cette prime dans le cadre de leurs droits à pension de retraite.

Par ailleurs, les problématiques que rencontrent les fonctionnaires ultramarins bénéficiant de l’indemnité temporaire de retraite (ITR), ne doivent pas être obérées. Mise en place par deux décrets du 10 septembre 1952 et du 24 décembre 1954 pour les fonctionnaires d’État de certains territoires d’Outre‑Mer qui pour certains, ont depuis pris leur indépendance, elle concerne aujourd’hui les fonctionnaires de l’État, les militaires et les magistrats de La Réunion, la Nouvelle‑Calédonie, Wallis‑et‑Futuna, la Polynésie française, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et Mayotte. Étrangement, la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique n’ont jamais été concernés par cette indemnité.

Plus concrètement, elle est destinée à compenser la cherté de la vie dans ces territoires d’Outre‑Mer. Cette « surpension » est fixée en pourcentage de la pension reçue et en fonction du territoire concerné : elle s’élevait à 35 % à La Réunion et à Mayotte, à 40 % à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, et à 75 % dans les trois collectivités du Pacifique : Nouvelle‑Calédonie, Polynésie française et îles Wallis‑et‑Futuna. 

Cette indemnité est aujourd’hui en voie d’extinction car remise en question par la réforme du 30 décembre 2008 ([3]) qui a acté son extinction progressive, avec deux principes :

– la sauvegarde des avantages acquis : les agents déjà à la retraite conservent à vie le montant de leur ITR, sauf pour les plus grosses pensions pour lesquelles un plafond a été fixé ;

– une progressivité dans la mise en extinction de cette indemnité (dégressivité du plafond), la réforme s’échelonnant jusqu’en 2028.

Pour rappel, cette réforme avait été acceptée par toutes les parties prenantes à condition qu’un système de cotisation sur les primes et indemnités soit mis en place pour améliorer le niveau des retraites.

Ainsi, pour faire face à cette situation le Député M. Stéphane Lenormand a proposé dans le cadre des projets de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 et 2024 (PLFSS 2023 et 2024), par voie d’amendement, de stopper la progressivité dans la mise en extinction de cette indemnité et de maintenir le dispositif existant jusqu’à la mise en place d’un système substitutif à ce dispositif. Il a demandé par ailleurs d’étendre en urgence ce dispositif aux fonctions publiques hospitalière et territoriale dont les agents pâtissent d’une inflation contextuelle, doublée d’une cherté de la vie intrinsèque aux territoires concernés.

Cependant le gouvernement n’a pas souhaité revenir sur l’ancien dispositif et a proposé un nouveau mécanisme lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024 (PLF 2024), introduit par un amendement gouvernemental. Ce dernier devait consister à une sur‑cotisation volontaire au régime de retraite additionnelle de la fonction publique, proposée aux fonctionnaires d’État pour remplacer l’ITR. Néanmoins, compte tenu d’un manque de clarté et de la transparence sur l’application de ce dispositif les députés ultramarins formulent cette proposition de loi qui tend à envoyer un signal fort aux agents de la fonction publique en Outre‑Mer dont les montants des pensions de retraite ne sont pas à la hauteur du contexte économique et ne reflètent pas le niveau de vie acquis durant la carrière.

Ainsi, le titre IER de la présente proposition de loi vise à intégrer dans les cotisations retraite des fonctionnaires des trois versants de la fonction publique exerçant en Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, Nouvelle‑Calédonie, Polynésie française, à La Réunion, Saint‑Martin, Saint‑Barthélemy, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, Wallis‑et‑Futuna le ou les compléments de rémunération leur étant versés du fait de leur affectation dans ces territoires et dont le montant est fixé en proportion de leur traitement indiciaire de base.

L’article 1er précise que dans la fonction publique d’État, les militaires et magistrats, l’agent cotisera au même titre que l’employeur et que dans les versants des fonctions publiques territoriale et hospitalière, la cotisation relevant de la part employeur sera au bon vouloir de ce dernier.

Le titre II a pour objectif d’apporter de la transparence sur le dispositif de substitution à l’indemnité temporaire de retraite.

L’article 2 propose que le Gouvernement remette au Parlement un rapport un an après la promulgation de la présente loi afin de préciser les contours du dispositif post‑indemnité temporaire de retraite.

L’article 3 prévoit les dispositions relatives à la compensation de la charge pour l’État, la sécurité sociale et les collectivités territoriales.

 


– 1 –

proposition de loi

TITRE IER

INTÉGRER LA SUR‑RÉMUNERATION DITE « VIE CHÈRE » dans le calcul du montant des pensions de retraite

Article 1er

I. – Les fonctionnaires de l’État, les fonctionnaires territoriaux, les fonctionnaires hospitaliers, les magistrats et les militaires, lors de leur prise de poste en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte, en Nouvelle‑Calédonie, en Polynésie Française, à La Réunion, à Saint‑Martin, à Saint‑Barthélemy, à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, ou à Wallis‑et‑Futuna, peuvent choisir, pour la durée de celui‑ci, de cotiser au régime de retraite relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite ou au régime de retraite de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, le cas échéant, sur le ou les compléments de rémunération leur étant versés du fait de leur affectation dans ces territoires et dont le montant est fixé en proportion de leur traitement indiciaire de base.

Pour les fonctionnaires de l’État, les magistrats et les militaires, l’État cotise au même titre que l’agent bénéficiaire.

Pour les fonctionnaires territoriaux et les fonctionnaires hospitaliers, l’employeur peut décider de cotiser au même titre que l’agent bénéficiaire.

II. – Pour les fonctionnaires de l’État, les magistrats et les militaires en activité au 1er janvier 2025 en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte, à La Réunion, à Saint‑Martin, à Saint‑Barthélemy ou à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, l’État verse une cotisation supplémentaire unique au régime de retraite relevant du code des pensions civiles et militaires, au moment de la liquidation de leur pension.

Pour les fonctionnaires territoriaux et les fonctionnaires hospitaliers, l’employeur peut décider de verser une cotisation supplémentaire unique au régime de retraite de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, au moment de la liquidation de leur pension.

III. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.

TITRE II

APPORTER DE LA TRANSPARENCE SUR LE DISPOSITIF DE SUBSTITUTION À l’IndemnitÉ temporaire de retraite

Article 2

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur le dispositif prévu à l’article 201 de la loi n° 2023‑1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

Le rapport fait état des bénéficiaires de ce nouveau dispositif, du calendrier d’application, des modalités de calcul des cotisations, ainsi que des mesures envisagées pour les agents qui bénéficient de l’indemnité temporaire de retraite et qui ne choisiront pas d’adhérer au dispositif mentionné au premier alinéa.

Article 3

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1]) INSEE, La grande pauvreté bien plus fréquente et beaucoup plus intense dans les DOM, INSEE Focus, 11 juillet 2022

([2]) INSEE, En 2022, les prix restent plus élevés dans les DOM qu’en France métropolitaine, en particulier pour les produits alimentaires, Insee Première, 11 Juillet 2023

([3]) Article 137 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008.