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N° 2563

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à rétablir et renforcer l’impôt de solidarité sur la fortune,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Matthias TAVEL, Mme Mathilde PANOT, Mme Aurélie TROUVÉ, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Sébastien DELOGU, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mme Raquel GARRIDO, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, Mme Rachel KEKE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, M. Sébastien ROME, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Andrée TAURINYA, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 1er janvier 2018, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) était remplacé par un impôt sur la seule fortune immobilière (IFI). Le 25 avril 2019, le Président Macron avait annoncé lors de sa conférence de presse : « Cette réforme sera évaluée en 2020 et, si elle n’est pas efficace, nous la corrigerons ».

Depuis, le rapport final d’évaluation de l’ISF, produit en 2022 par France Stratégie – rattaché à Matignon –, en a donné une évaluation accablante. L’organisme écrit : « La suppression de l’ISF sur les variables d’activité réelle des entreprises indique un impact nul sur l’investissement des entreprises et pas d’effet décelable sur le niveau d’emploi et de masse salariale. ». Et pourtant, à rebours de la promesse d’E. Macron, le gouvernement s’obstine à refuser le rétablissement de l’ISF.

Si les effets positifs de la suppression de l’ISF sont indétectables, il y a en revanche bien des conséquences qui sont connues et documentées : la mesure fait perdre 4,5 milliards d’euros chaque année au budget de l’État, et elle a contribué à l’accroissement des inégalités. Les 100 premiers contribuables assujettis à l’ancien ISF ont ainsi pu gagner en moyenne plus d’un million d’euros par an. Dans le même temps, depuis 2017, le patrimoine des 500 plus grandes fortunes a doublé, pour dépasser 1170 milliards d’euros.

En France, le patrimoine est réparti beaucoup plus inégalement que les revenus. Le rapport entre les revenus des 10 % les plus riches et des 10 % les plus pauvres est de 5, tandis que le rapport entre les patrimoines de ces mêmes groupes est de 211. Selon l’INSEE, en 2018 les 1 % les plus riches détenaient un patrimoine au moins égal à 1 914 600 euros, tandis que les 10 % les moins fortuné·e·s avaient un patrimoine inférieur à 3 800 euros. La moitié des ménages la moins bien dotée ne détenait que 8 % du patrimoine total, alors que les 10 % les plus fortunés en détenaient 46,3 % – une part qui s’élèverait désormais à plus de la moitié (54 %) selon les dernières études de la Banque de France. De plus, le patrimoine génère des revenus (loyers, dividendes) qui sont beaucoup plus inégalement répartis que les revenus du travail.

À rebours des mesures sociales et fiscales prises par le gouvernement depuis l’élection de M. Emmanuel Macron en 2017, il y a urgence à réduire les inégalités de patrimoine. Restaurer et renforcer une taxation spécifique sur les hauts patrimoines est une mesure de justice fiscale et d’équité, pour faire supporter l’impôt par celles et ceux qui ont la capacité de contribuer à réduire les inégalités.

Le rétablissement de l’ISF est ainsi largement plébiscité par les français. Selon un sondage Ifop en 2022, 79 % d’entre eux étaient favorables au rétablissement de l’ISF – un chiffre en progression de 2 points par rapport à un sondage du même institut en 2019. Tout récemment, un sondage Elable d’avril 2024 établit encore que 76 % des français sont favorables à augmenter les impôts des plus riches pour réduire le déficit.

L’ISF tel qu’il était connu avant la réforme n’était pas pour autant l’impôt idéal. En 2017, le taux d’imposition effectif pour les 0,001 % les plus fortunés était de 0,1 % seulement. Cette différence s’explique notamment en raison du plafonnement de l’ISF et de l’exclusion des biens professionnels de l’assiette de l’ISF.

Par ailleurs, des économistes plaident pour une refonte du barème pour le rendre plus progressif et cibler plus fortement les plus grands patrimoines. Ainsi, selon les calculs de l’économiste Gabriel Zucman, un ISF revu « qui taxerait à partir de 20 ou 30 millions d’euros de patrimoine avec un barème progressif de quelques points de pourcentage – 3 %, 4 % puis 5 % pour les milliardaires –, la France pourrait collecter 1 point de PIB de recettes supplémentaires chaque année, soit entre 20 et 25 milliards d’euros : c’est deux fois plus que ce qu’espérait initialement le gouvernement pour sa réforme des retraites ».

Il est donc nécessaire non seulement de rétablir l’ISF mais d’en renforcer la progressivité et l’assiette, pour en faire un impôt plus juste. C’est ce à quoi s’emploie cette proposition de loi.

L’article 1er rétablit l’ensemble des dispositions relatives à l’impôt de solidarité sur la fortune dans des termes identiques à ceux en vigueur au 31 décembre 2017, ce qui a pour effet de rétablir l’ISF.

Les articles modifiés suivants définissent les paramètres du nouvel ISF :

– L’article 885 A intègre les biens professionnels dans l’assiette de cet ISF et les exonère à hauteur de 2 000 000 euros.

– L’article 885 I modifie la prise en compte dans les bases d’imposition des œuvres d’art et biens culturels ainsi que des droits de propriété intellectuelle : l’exonération actuelle n’est maintenue que pour les biens dont la valeur est inférieure à 250 000 euros.

– Les articles 885 I bis et 885 I quater modifient la prise en compte des biens professionnels.

– L’article 885 S modifie l’exonération de la résidence principale : il remplace l’actuelle exonération de 30 % par un abattement forfaitaire de 500 000 euros, ce qui permet de cibler la mesure sur les plus gros patrimoines.

– L’article 885 U établit le nouveau barème de l’ISF.  

– L’article 885 V bis modifie le mécanisme de plafonnement de l’impôt sur la fortune pour porter cette limite à 85 % des revenus.

En conséquence, l’article 2 abroge les dispositions actuelles relatives à l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI).

 

 

 

 

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – Les articles du code général des impôts modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la même loi, à l’exception des articles 885 A, 885 I, 885 I bis, 885 I quater, 885 U, 885 S et 885 V bis du même code, rétablis dans leur rédaction antérieure à ladite loi et ainsi modifiés :

1° À la fin du dernier alinéa de l’article 885 A, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 précitée, les mots : « ne sont pas pris en compte pour l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune » sont remplacés par les mots : « sont pris en compte après application d’un abattement de 2 000 000 euros » ;

2° L’article 885 I est ainsi rédigé :

« Art. 885 I. – Les objets d’antiquité, d’art ou de collection, dont la valeur est inférieure à 250 000 euros, ne sont pas compris dans les bases d’imposition à l’impôt de solidarité sur la fortune.

« Les droits de la propriété littéraire et artistique, dont la valeur est inférieure à 250 000 euros, ne sont pas compris dans la base d’imposition à l’impôt de solidarité sur la fortune de leur auteur. Cette exonération s’applique également aux droits des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et des producteurs de vidéogrammes. »

3° L’article 885 I bis, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 précitée, est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « des trois quarts » sont remplacés par les mots : « de la moitié » ;

b) Aux première et dernière phrases du quatrième alinéa, les deux occurrences du mot : « deux » sont remplacées par le mot : « six » ;

4° Au premier alinéa du I de l’article 885 I quater, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017- 1837 du 30 décembre 2017 précitée, les mots : « des trois quarts » sont remplacés par les mots : « de la moitié » ;

5° L’article 885 S dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 précitée, est ainsi modifié : au dernier alinéa, les mots : « 30 % » sont remplacés par les mots : « 500 000 euros ».

6° L’article 885 U est ainsi rédigé :

« Art. 885 U. – 1. Le tarif de l’impôt est fixé à :

   

« 

Fraction de la valeur nette taxable du patrimoine

Tarif applicable

 

 

N’excédant pas 800 000 €

0

 

 

Supérieure à 800 000 € et inférieure ou égale à 1 300 000 €

0,5 %

 

 

Supérieure à 1 300 000 € et inférieure ou égale à 2 000 000 €

0,7 %

 

 

Supérieure à 2 00 000 € et inférieure ou égale à 3 000 000 €

1,0 %

 

 

Supérieure à 3 000 000 € et inférieure ou égale à 5 000 000 €

1,5 %

 

 

Supérieure à 5 000 000 € et inférieure ou égale à 10 000 000 €

2,0 %

 

 

Supérieure à 10 000 000 € et inférieure ou égale à 100 000 000 €

3,0 %

 

 

Supérieure à 100 000 000 € et inférieure ou égale à 1 000 000 000 €

4,0 %

 

 

Supérieure à 1 000 000 000 €

5,0 %

 »

 

7° Au premier alinéa de l’article 885 V bis, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 précitée, le taux : « 75 % » est remplacé par le taux : « 85 % ».

II. – Les articles du livre des procédures fiscales modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

III. – L’article du code de la défense modifié par l’article 31 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la même loi.

IV. – Les articles du code monétaire et financier modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la même loi.

V. – L’article L. 122‑10 du code du patrimoine abrogé par l’article 31 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la même loi.

VI. – L’article 25 quinquies de la loi n° 83‑634 du 13 juillet 1938 portant droits et obligations des fonctionnaires modifié par l’article 31 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la même loi.

VII. – Les articles de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la même loi.

VIII. – L’article 16 de l’ordonnance n° 2017‑1107 du 22 juin 2017 relative aux marchés d’instruments financiers et à la séparation du régime juridique des sociétés de gestion de portefeuille de celui des entreprises d’investissement modifié par l’article 31 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la même loi.

Article 2

Le chapitre II bis du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts est abrogé.

Article 3

La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.