N° 2566

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

instaurant le dispositif « interruption pour la réflexion professionnelle » en vue de maintenir et soutenir l’emploi des travailleurs expérimentés,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Stéphane VIRY, M. Thibault BAZIN, Mme Valérie BAZIN-MALGRAS, Mme Émilie BONNIVARD, Mme Josiane CORNELOUP, M. Julien DIVE, M. Francis DUBOIS, Mme Alexandra MARTIN (ALPES-MARITIMES), M. Jean-Pierre VIGIER,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’âge symbolique des cinquante ans dans le milieu professionnel est souvent considéré comme un changement de catégorie. À partir de cet âge, les entreprises classent leurs salariés dans la catégorie des seniors, sous‑entendant la fin de leur carrière. Cette philosophie qui imprègne nos entreprises depuis des décennies ne correspond plus aux enjeux sociaux qui sont les nôtres. Depuis 1950, l’espérance de vie en France a augmenté de 17 ans, et une majorité des jeunes générations vivront jusqu’à 100 ans. Cependant, les mentalités sont bel et bien restées ancrées dans le passé.

La récente réforme des retraites voulue par le gouvernement, reculant l’âge de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans, a provoqué une profonde crise politique. Cette crise s’explique en partie par le rapport que les Français entretiennent avec le travail : ils veulent partir le plus vite possible à la retraite et mettre fin à leur activité professionnelle, suivant ainsi l’exemple de leurs parents et de leurs grands‑parents.

Plusieurs raisons légitimes poussent les salariés à quitter le plus rapidement possible leur emploi. La faible rémunération est l’un des facteurs récurrents qui encourage les salariés proches de la retraite à franchir le pas. Le manque de considération est également un élément récurrent touchant un nombre important de salariés expérimentés qui ressentent une sous‑estimation de leur valeur au sein de l’entreprise. Cela incarne, à tort, une image du travailleur dépassée dans son métier, souvent associée à un manque d’innovation de cette génération. Enfin, le manque d’évolution de carrière passé la cinquantaine et le sentiment d’avoir achevé leur parcours professionnel raisonnent également comme des facteurs encourageant le départ à la retraite.

Ce constat malheureux doit appeler à un sursaut dans le monde économique et dans notre société. Un changement de mentalité et de vision de nos seniors est vital pour la prospérité de notre économie. Face au grand défi de demain que notre nation va devoir relever, une seule solution : produire davantage, générant plus de richesse pour notre pays. La transition énergétique, l’innovation dans les nouvelles technologies et l’amélioration de notre système social nécessitent des ressources supplémentaires qui ne peuvent pas être financées par une dette de plus en plus écrasante. En restant enfermée dans cette vision des seniors, la France se prive de compétences précieuses qu’elle ne peut plus se permettre de mettre à l’écart. Un changement de paradigme s’impose. Le travail des seniors n’est désormais plus une option. En 2020, les personnes âgées de plus de 65 ans constituaient 1/5 e de la population française. Selon les estimations du Haut‑commissariat au plan, elles atteindront 1/4 de la population d’ici à 2040, puis près de 30 % à partir de 2050.

De plus, la France souffre d’un manque de main‑d’œuvre. De nombreuses entreprises peinent ainsi à recruter et à fidéliser leurs employés, se heurtant notamment au manque d’expérience, de compétences, de motivation ou encore d’autonomie. À terme, cette situation pourrait particulièrement nuire à la réindustrialisation de notre pays. Le mix générationnel est un atout pour les entreprises. Les seniors ont un rôle essentiel à jouer pour transmettre et maintenir les savoir‑faire au sein des entreprises. Au‑delà de cette connaissance inégalée, les seniors disposent d’une expertise, d’une capacité d’adaptation et d’une flexibilité indéniable. Il n’y a pas d’âge pour créer de la valeur !

Face à cette réalité, concevoir des mécanismes d’accompagnement pour les travailleurs seniors, garantissant le maintien en emploi et la satisfaction au travail, est une nécessité absolue. Une révision approfondie des politiques de gestion de la carrière des travailleurs seniors doit être initiée, afin d’appréhender cette nouvelle réalité. La proposition de loi pour instaurer une interruption pour la réflexion professionnelle émerge comme une réponse pragmatique permettant au travailleur de prendre le temps nécessaire pour réévaluer sa vie professionnelle et envisager la poursuite de sa carrière de manière sereine.

Ainsi, l’interruption pour la réflexion professionnelle propose d’instaurer un nouveau paradigme pour le maintien à l’emploi, notamment des seniors. Cette proposition de loi s’inscrit comme une réponse novatrice, rompant avec les schémas conventionnels. Les modèles traditionnels de carrière ont évolué, et de plus en plus de salariés cherchent à diversifier leurs compétences ou à explorer de nouvelles opportunités à un stade avancé de leur vie professionnelle. Une interruption d’un mois à l’âge de 50 ans offrirait aux travailleurs la possibilité de réfléchir à leur parcours professionnel et de prendre des décisions éclairées sur la suite et la fin de leur carrière.

De plus, cette pause favoriserait la mise en place d’un dialogue constructif entre employeurs et employés, initiant une période de réflexion. Après 30 ans de carrière et face à la perspective des 10 à 15 années suivantes, il est important de proposer un temps où chacun pourrait exprimer ses aspirations pour la fin de sa carrière, mettant ainsi en avant son projet personnel et professionnel.

Cette possibilité de réorientation professionnelle à un âge pivot apporterait une réponse concrète aux métiers pénibles. Argument clé contre le report de l’âge légal de départ à la retraite, l’interruption pour la réflexion professionnelle apporterait une possibilité de réorientation professionnelle vers des métiers plus adaptés à un âge avancé. Ainsi, cette proposition de loi vise à améliorer la santé physique et mentale des salariés. En effet, en permettant une interruption pour la réflexion et la transition, la proposition de loi démontre une préoccupation pour le bien‑être global des travailleurs à court et long terme.

À court terme, le bien‑être psychologique des travailleurs d’âge moyen fait souvent face à une pression professionnelle accrue en raison de responsabilités familiales et financières. L’interruption proposée aiderait à atténuer le stress et l’épuisement professionnel en offrant une pause nécessaire pour évaluer les priorités professionnelles et personnelles.

À long terme, le maintien dans l’emploi est bénéfique pour la santé de nos retraités. Plus on reste actif professionnellement, mieux on vieillit. Les recherches médicales l’attestent de façon convaincante : solliciter son cerveau au quotidien prolonge la durée de vie dans des conditions optimales. Par ailleurs, le travail est un outil de lutte contre l’isolement social qui déprime et tue.

Par conséquent, nous vous proposons d’expérimenter un dispositif novateur tel que l’interruption pour la réflexion professionnelle pour répondre à l’évolution du marché du travail et à l’évolution des carrières françaises. Cette proposition de loi vise à permettre cette expérimentation dans les départements volontaires pour une durée de deux ans maximums.

Cette réflexion stratégique serait accompagnée par des professionnels de France Travail qui accompagneraient le salarié dans sa réorientation professionnelle. À travers une évaluation de compétences et la prise en compte des aspirations professionnelles des travailleurs, les professionnels de France Travail accompagneraient le salarié dans les orientations qu’il envisage, que ce soit au sein de son entreprise actuelle, dans un secteur connexe ou dans le cadre d’une réorientation totale.

Ce temps de réflexion serait aussi l’occasion pour l’entreprise de présenter ses besoins en compétences ainsi que les opportunités disponibles. Une telle procédure doit permettre aux individus de découvrir d’autres opportunités et de se projeter dans les éventuels besoins de l’entreprise.

L’article 1er définit les grandes lignes de cette expérimentation. Il prévoit une durée de deux ans pour expérimenter ce nouveau dispositif, dénommé « interruption pour la réflexion professionnelle », dans des départements volontaires. La nature de l’interruption pour la réflexion professionnelle, qui est formalisée par une convention particulière, proche d’un contrat de travail, signé entre le travailleur et France Travail. Cette convention est réglementée par l’État. Financée par France Travail, sa mise en œuvre et son suivi sont délégués à des professionnels affiliés à France Travail, garantissant ainsi neutralité et expertise.

L’article 2 précise que cette expérimentation sera menée dans les départements volontaires retenus pour l’expérimentation, au sein de territoires choisis en leur sein. Le dispositif est proposé systématiquement pour tous les actifs, chômeurs inclus, âgés de 50 à 53 ans. Le dispositif peut élégamment être proposé à ceux qui, à la date de la promulgation de la loi, ont plus de 53 ans et qui souhaitent entamer cette démarche.

L’article 3 fixe la durée de l’interruption pouvant aller jusqu’à un mois en fonction des circonstances individuelles. Pour garantir la réussite du dispositif, une flexibilité quant à la durée de l’interruption est définie en fonction des circonstances individuelles. L’adaptabilité de l’interruption est déterminée par l’entreprise et peut, par conséquent, être discontinue, s’étalant sur une période pouvant s’entendre jusqu’à un an. Cette liberté permet une configuration sur mesure de l’interruption, pouvant inclure des arrangements de temps partiel ou d’autres modalités, en fonction des nécessités de l’entreprise et des besoins du salarié.

L’article 4 assure la confidentialité des bilans de compétences et le souhait personnel du salarié.

L’article 5 détaille le contenu de l’interruption. Le bilan de compétences est réalisé avec les professionnels affiliés à France Travail pour déterminer les atouts et les domaines d’amélioration du travailleur. À l’issue du bilan de compétences, le salarié expose ses aspirations professionnelles et les orientations qu’il envisage, que ce soit au sein de son entreprise actuelle, dans un secteur connexe ou dans le cadre d’une réorientation totale. L’entreprise présente ses besoins en compétences ainsi que les opportunités disponibles. Une telle procédure doit permettre aux individus de découvrir d’autres métiers et de se projeter dans les éventuels besoins de l’entreprise.

L’article 6 indique qu’au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, un comité scientifique nommé par arrêté du ministre chargé des affaires sociales réalisera un rapport d’évaluation de la mise en place de cette interruption pour la réflexion professionnelle, rapport devant permettre la poursuite, la généralisation ou l’abandon de l’instauration de l’interruption pour la réflexion professionnelle. Ce rapport d’évaluation sera adressé au Parlement et au ministre chargé des affaires sociales.

L’article 7 prévoit que si l’expérimentation n’est pas reconduite au terme du délai de deux ans ou si elle est interrompue avant ce terme par une décision du fonds d’expérimentation, les départements, les personnes ayant signé le contrat « interruption pour la réflexion professionnelle » ainsi que France Travail, recevront une notification du fonds d’expérimentation signifiant la fin du déploiement du dispositif et du financement de l’interruption pour la réflexion professionnelle.

L’article 8 renvoie les modalités d’application de la loi d’expérimentation à un décret en Conseil d’État.

L’article 9 indique que la loi entrera en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État, au plus tard le 1er janvier 2025.

 

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – Pour une durée de deux ans à compter d’une date fixée par décret en Conseil d’État et au plus tard le 1er janvier 2025, une expérimentation visant à proposer un temps de réflexion stratégique pour les personnes concernées par le dispositif défini à l’article 2 de la présente loi est instituée. Le dispositif dénommé « Interruption pour la réflexion professionnelle » a pour objectif de permettre l’expression des aspirations professionnelles des personnes listées à l’article 2 de la présente loi pour la fin de leur carrière.

II. – Cette expérimentation est mise en place dans des départements volontaires.

III. – Il est institué un fonds d’expérimentation visant à instaurer une interruption pour la réflexion professionnelle, chargé du financement de l’expérimentation. Le fonds est financé par l’État et les collectivités territoriales mentionnées au II du présent article.

IV. – Le dispositif « interruption pour la réflexion professionnelle » est formalisé par une convention spécifique, proche d’un contrat de travail.

1. Ce contrat particulier est signé entre le public listé à l’article 2 de la présente loi et France Travail.

2. Cette convention est réglementée par l’État.

3. Le projet est financé par France Travail, sa mise en œuvre et son suivi sont délégués à des professionnels affiliés à France Travail, garantissant ainsi neutralité et expertise.

V. – Le contrat prévoit la réalisation d’un bilan de compétences et un accompagnement personnalisé pour l’orientation des signataires du contrat interruption pour la réflexion professionnelle.

VI. – Un arrêté du ministre chargé des affaires sociales dresse la liste des départements volontaires retenus pour mener l’expérimentation, sur proposition du fonds d’expérimentation visant à instaurer une interruption pour la réflexion professionnelle.

Article 2

Dans les départements volontaires retenus pour l’expérimentation, le dispositif « interruption pour la réflexion professionnelle » est proposé systématiquement pour tous les actifs, chômeurs inclus, âgés de 50 à 53 ans. Le dispositif peut également être proposé à ceux qui, à la date de la promulgation de la loi, ont plus de 53 ans et qui souhaitent entamer cette démarche.

Article 3

La durée de l’interruption peut aller jusqu’à un mois en fonction des circonstances individuelles. Pour garantir la réussite du dispositif, une flexibilité quant à la durée de l’interruption est définie en fonction des circonstances individuelles. L’adaptabilité de l’interruption est déterminée par l'entreprise et peut, par conséquent, être discontinue, s'étalant sur une période pouvant s'entendre jusqu'à un an. Cette liberté permet une configuration sur mesure de l’interruption, pouvant inclure des arrangements de temps partiel ou d'autres modalités, en fonction des nécessités de l'entreprise et des besoins du salarié.

Article 4

Le bilan de compétences réalisé par France Travail ainsi que les souhaits exprimés lors des échanges avec le bénéficiaire de l’interruption pour la réflexion professionnelle sont confidentiels et ne sont communiqués à l'entreprise que sur demande écrite du bénéficiaire.

Article 5

Le contrat « interruption pour la réflexion professionnelle » permet au bénéficiaire d’effectuer gratuitement un bilan de compétences réalisé par les experts de France Travail. À l’issue du bilan, France Travail propose un rendez-vous avec le bénéficiaire pour échanger sur ses perspectives d’avenir. À la fin de l’interruption pour la réflexion professionnelle, le bénéficiaire peut conserver sa place dans l’entreprise actuelle, engager une réorientation dans l’entreprise actuelle avec l’accord de l’employeur, ou engager une réorientation totale dans un secteur connexe.

Article 6

Au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, un comité scientifique réalise un rapport d’évaluation de la mise en place de l’interruption pour la réflexion professionnelle  mentionné au I de l’article 1er de la présente loi. L’évaluation détaille notamment :

1° Le nombre de personnes ayant eu recours à l’interruption pour la réflexion professionnelle  en précisant leur secteur d’activité et leur âge ;

2° La proportion des solutions choisies entre les cinq issues possibles :

– Maintien dans l’emploi actuel ;

– L’évolution vers un autre poste dans la même entreprise ;

– L’évolution vers un autre poste dans une nouvelle entreprise ;

– La réorientation vers un autre secteur d’activité ;

– La situation de chômage ;

3° Les effets de l’expérimentation sur le taux de chômage notamment pour les chômeurs de plus de 50 ans ;

4° Les conséquences financières de l’expérimentation pour les collectivités territoriales mentionnées à l’article premier de la présente loi et l’État.

La composition du comité scientifique est définie par décret. Ses membres sont nommés par arrêté du ministre chargé des affaires sociales. Ils siègent à titre bénévole.

Le rapport d’évaluation est adressé au Parlement et au ministre chargé des affaires sociales.

Article 7

Si l’expérimentation n’est pas reconduite au terme du délai mentionné à l’article premier de la présente loi ou si elle est interrompue avant ce terme par une décision du fonds d’expérimentation mentionné au III de l’article premier de la présente loi, les collectivités territoriales volontaires mentionnées au II de l’article premier de la présente loi, les personnes ayant signé le contrat « interruption pour la réflexion professionnelle » ainsi que France Travail, reçoivent une notification du fonds d’expérimentation signifiant la fin du déploiement du dispositif, des contrats en cours et du financement de l’interruption pour la réflexion professionnelle.

Article 8

Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application de la présente loi, notamment le contenu du contrat réflexion carrière, le déploiement auprès de France Travail et le financement du dispositif.

Article 9

La présente loi entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard le 1er janvier 2025.

Article 10

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.