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N° 2574

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

portant création d’une contribution additionnelle  sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Édouard BÉNARD, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Louis BOYARD, M. Jean-Louis BRICOUT, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Michel CASTELLANI, M. Jean-Victor CASTOR, M. Steve CHAILLOUX, M. André CHASSAIGNE, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Paul-André COLOMBANI, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Sébastien DELOGU, M. Pierre DHARRÉVILLE, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, Mme Elsa FAUCILLON, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mme Raquel GARRIDO, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, M. Sébastien JUMEL, Mme Emeline K/BIDI, Mme Rachel KEKE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Tematai LE GAYIC, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Karine LEBON, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jean-Paul LECOQ, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, M. Frédéric MAILLOT, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Max MATHIASIN, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Paul MOLAC, M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER, M. Marcellin NADEAU, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. Stéphane PEU, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, Mme Marie POCHON, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Sébastien ROME, M. Fabien ROUSSEL, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, M. Nicolas SANSU, M. Olivier SERVA, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, M. Jean-Marc TELLIER, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France est confrontée à son plus grand défi depuis l’après‑guerre : mettre en œuvre sa bifurcation écologique et énergétique et s’adapter aux conséquences déjà irréversibles du changement climatique.

Elle est aussi confrontée à une crise sociale et à un affaiblissement structurel de ses services publics, comme l’ont mis en lumière les deux années d’épidémie de Covid‑19 concernant notre système de santé.

Notre pays est enfin confronté à une stagnation économique, amplifiée par des baisses de dépenses publiques décidées afin de réduire le déficit budgétaire.

Nous devons répondre à chacun de ces trois grands enjeux, et pour cela nous en donner les moyens.

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L’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ».

Conformément à cette disposition, pour garantir un service public de proximité et de qualité, protéger les moyens d’existence des Françaises et des Français, lutter contre les inégalités, soutenir l’activité économique et financer la bifurcation écologique, l’État doit pouvoir disposer de moyens proportionnés à ces défis, que les citoyennes et citoyens lui consentent par l’impôt.

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L’épidémie de Covid‑19, la guerre en Ukraine et les pratiques spéculatives de grandes entreprises de l’énergie, de la santé, de l’agroalimentaire et de la finance ont fini par générer des situations de pénurie, entraînant un envol des prix leur permettant de réaliser des bénéfices exceptionnels, également appelés « superprofits ».

Ces bénéfices exceptionnels ne proviennent pas d’une stratégie de croissance, et sont décorrélés de toute innovation, gain de productivité ou décision interne à l’entreprise. Ces bénéfices exceptionnels sont alimentés par des chocs externes provoqués par des situations exceptionnelles dont ont tiré parti certaines grandes entreprises.

Ainsi, alors que les économies mondiales ont connu une forte récession en 2020, la pandémie a permis à Sanofi de voir ses bénéfices progresser de 338 % par rapport à 2019, malgré l’absence de mise sur le marché d’un vaccin contre la Covid‑19. L’armateur CMA‑CGM a connu un bénéfice net record de 23,4 milliards d’euros en 2022, soit près de 700 fois son bénéfice en 2018. En 2023, Total Énergies observe le plus gros bénéfice net de son histoire avec 19,9 milliards d’euros, soit une augmentation de 76,6 % par rapport à 2019 et le début des successions de crises dont l’entreprise a profité.

Dans une plus grande ampleur que les fluctuations propres à chaque société, les différentes crises que nous connaissons permettent aux grandes entreprises de profiter d’une situation dominante sur l’économie. Alors que les bénéfices des entreprises du CAC 40 représentaient 80 milliards d’euros en 2019 et n’avaient jamais dépassé les 100 milliards d’euros, ils avoisinent pour la troisième année consécutive les 150 milliards d’euros. Un doublement des bénéfices des plus grandes entreprises par rapport à l’avant Covid‑19 trouve son explication dans le caractère exceptionnel de la période que nous traversons.

Parce qu’ils ont été réalisés grâce à des crises dont la puissance publique a atténué les effets au mépris de ses équilibres budgétaires, ces bénéfices exceptionnels doivent être soumis à une juste contribution, garantie de l’action publique de demain.

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Une telle contribution des entreprises qui se sont enrichies en période de crise ou de guerre ne serait pas nouvelle.

Ainsi, la loi du 1er juillet 1916 instaurait déjà une contribution extraordinaire sur les bénéfices exceptionnels ou supplémentaires réalisés pendant la Première Guerre mondiale afin de financer l’effort de guerre.

L’ordonnance du 15 août 1945 instaurait, elle, un impôt de solidarité nationale sur les patrimoines et les enrichissements réalisés entre 1940 et 1945.

C’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que le Préambule de la Constitution de 1946 proclame en son douzième alinéa que « La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ». Il est temps de matérialiser cette solidarité face aux crises que nous traversons, et qui risquent d’abîmer durablement l’action de la puissance publique.

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Alors que les perspectives de croissance sont révisées à la baisse, les déficits budgétaires passés, présents et futurs sont pour leur part revus à la hausse. En 2023, le déficit budgétaire de l’État s’est élevé à 173 milliards d’euros, soit 5,5 % du produit intérieur brut, bien au‑dessus des 4,9 % prévus initialement par le Gouvernement. Selon les perspectives transmises par le Gouvernement, les prévisions de déficit s’établissent à 5,1 % pour l’année 2024 et à 4,1 % pour l’année 2025. Le programme de stabilité 2024‑2027 prévoit un objectif maximal de 2,9 % de déficit en 2027. Ces perspectives s’écartent d’ores et déjà de la loi de programmation des finances publiques pour 2023‑2027 considérée adoptée par recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution à l’automne 2023. Elles nécessiteraient, selon le Haut Conseil des finances publiques, un « effort en dépenses [qui] n’a jamais été réalisé par le passé, [et dont la] documentation reste à ce stade lacunaire ». Nous ne pouvons nous résoudre à cette austérité sans précédent dans laquelle nous conduit le Gouvernement. Alors qu’une telle trajectoire semble de plus en plus hors de portée, les moyens pour y parvenir sans augmenter les impôts font peser par leur ampleur un risque réel d’effondrement de l’action publique.

L’État ne peut ni ne doit être empêché d’agir au nom de la dette. Pire, en réduisant la dépense publique, le Gouvernement prend le risque d’étouffer toute perspective de croissance, ce qui pourrait amplifier le déficit futur et renforcer les préoccupations qui existent autour de la dette de l’État. Des mots du Président Macron le lundi 8 avril 2024, « Nous n’avons pas un problème de dépenses excessives, mais un problème de moindres recettes ». Il est temps de résoudre ce problème de moindres recettes.

À situation exceptionnelle, moyens exceptionnels. Les auteurs et autrices de la présente proposition de loi estiment qu’il est nécessaire d’instaurer une contribution des superprofits réalisés en période de crise ou du fait de circonstances exceptionnelles, afin de garantir la continuité du financement de nos politiques publiques et de renforcer le sentiment de consentement à l’impôt.

En effet, pour reprendre les résultats du sondage Elabe réalisé à la demande de l’Institut Montaigne entre le 2 et 3 avril 2024, et publié dans le journal Les Echos le 4 avril 2024, pour réduire le déficit, 84 % des personnes interrogées se prononcent favorables à la taxation des superprofits des entreprises. Parce qu’il s’agit d’une mesure très largement plébiscitée, c’est donc un pas vers la restauration de la confiance des citoyennes et des citoyens envers notre système d’imposition.

Il est souhaitable que le produit de cette contribution permette, outre une juste redistribution économique et sociale des richesses créées, le renforcement des moyens de nos services publics de proximité, une meilleure protection de nos concitoyens face aux effets des crises que nous traversons et le financement des grands investissements nécessaires à notre bifurcation écologique et énergétique, conformément aux recommandations du rapport Pisani‑Mahfouz du 5 juin 2023, et du rapport public annuel 2024 de la Cour des comptes. 

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L’article unique de la proposition de loi prévoit la création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises.

Afin de concentrer l’application de la proposition de loi sur les grandes entreprises réalisant effectivement des superprofits, sont assujetties les sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros, et dont le résultat imposable de l’exercice considéré est supérieur ou égal à 1,25 fois le résultat imposable moyen des exercices 2017, 2018 et 2019, qui constitue une moyenne triennale. 

Seul le bénéfice exceptionnel, c’est ‎à ‎dire le profit supplémentaire réalisé par rapport à 1,25 fois la moyenne triennale retenue, est ainsi imposé par un mécanisme progressif, sans effets de seuil, avec trois taux marginaux applicables selon la fraction de progression du résultat imposable. Un premier taux à 20 % pour la fraction des superprofits correspondant à une hausse par rapport à la moyenne comprise entre 1,25 et 1,5 fois la moyenne triennale retenue, un taux de 25 % entre 1,5 et 1,75 fois cette moyenne et un taux de 33 % au‑delà de 1,75 fois la moyenne triennale retenue.

Afin de garantir l’effectivité de la proposition de loi et son influence sur les recettes de l’État, les réductions et crédits d’impôt et les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution.

En cohérence avec le caractère temporaire des crises qui génèrent ces superprofits, la réforme proposée est également bornée dans le temps. Il est ainsi proposé qu’elle s’applique jusqu’au 31 décembre 2026, donc jusqu’aux résultats imposables réalisés en 2025. Cet horizon permettra d’observer si l’éventuel retour à une certaine normalité économique se réalise afin de déterminer de la pertinence de l’extinction de ce dispositif.

En prévoyant un rapport d’évaluation intermédiaire ainsi qu’un rapport à l’expiration du dispositif, l’article donne les moyens au Parlement d’apporter d’éventuelles modifications législatives en cours d’application et assure la bonne information des citoyennes et citoyens et de leurs représentants quant au bilan de l’application de cette mesure exceptionnelle.

 


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proposition de loi

Article unique

I. – Après la section 0I du chapitre III du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts, est insérée une section 0I bis ainsi rédigée :

« Section 0I bis

« Contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises

« Art. 224. –I. – A. – Il est institué une contribution additionnelle sur les bénéfices des sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 205 qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 750 000 000 euros.

« B. – La contribution additionnelle est due lorsque le résultat imposable de la société pour l’exercice considéré au titre de l’impôt sur les sociétés précité est supérieur ou égal à 1,25 fois la moyenne de son résultat imposable des exercices 2017, 2018 et 2019.

« C. – La contribution additionnelle est assise sur le résultat imposable supplémentaire réalisé par rapport à 1,25 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités. La contribution additionnelle est calculée en appliquant à la fraction de chaque part de résultat imposable supérieur ou égale à 1,25 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités le taux de :

« a) 20 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,25 fois et inférieure à 1,5 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités ;

« b) 25 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,5 fois et inférieure à 1,75 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités ;

« c) 33 % pour la fraction supérieure ou égale à 1,75 fois le résultat imposable moyen des trois exercices précités.

« II. – A. – Pour les redevables qui sont placés sous le régime prévu aux articles 223 A ou 223 A bis, la contribution additionnelle est due par la société mère. Elle est assise sur le résultat d’ensemble et à la plus-value nette d’ensemble définis aux articles 223 B, 223 B bis et 223 D, déterminés avant imputation des réductions et crédits d’impôt et des créances fiscales de toute nature.

« B. – Le chiffre d’affaires mentionné au I du présent article s’entend du chiffre d’affaires réalisé par le redevable au cours de l’exercice ou de la période d’imposition, ramené à douze mois le cas échéant et, pour la société mère d’un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis, de la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe.

« C. – Les réductions et crédits d’impôt et les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution additionnelle. 

« D. – Sont exonérées de la contribution prévue au I du présent article, les sociétés dont la progression du résultat imposable par rapport à la moyenne des exercices 2017, 2018 et 2019 résulte d’opérations de cession ou d’acquisition d’actifs, pour la fraction du résultat imposable de l’exercice concerné.

« E. – La contribution additionnelle est établie, contrôlée et recouvrée comme l’impôt sur les sociétés et sous les mêmes garanties et sanctions. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ce même impôt. La contribution additionnelle est payée spontanément au comptable public compétent, au plus tard à la date prévue au 2 de l’article 1668 pour le versement du solde de liquidation de l’impôt sur les sociétés. » 

II. – Les dispositions du présent article entrent en vigueur à compter de la publication de la présente loi et sont applicables jusqu’au 31 décembre 2026. Elles s’appliquent également à l’exercice fiscal de l’année de son entrée en vigueur.

III. – Le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation provisoire de l’application de la présente loi avant le 31 décembre 2025 et un rapport d’évaluation définitif au plus tard le 31 juillet 2027.