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N° 2674

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à reconnaître le massacre des Algériens du 17 octobre 1961 comme un crime d’État et à la mise en œuvre d’une journée nationale de commémoration,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Cyrielle CHATELAIN, Mme Christine ARRIGHI, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Marie POCHON, M. Sébastien PEYTAVIE, M. Jean-Claude RAUX, Mme Eva SAS, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Nicolas THIERRY, les membres du groupe Socialistes et apparentés [(1)], M. Rodrigo ARENAS, Mme Soumya BOUROUAHA, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Rachel KEKE, M. Frédéric MAILLOT, Mme Pascale MARTIN, Mme Mathilde PANOT, M. Stéphane PEU, M. Thomas PORTES, M. Léo WALTER, M. Éric COQUEREL, Mme Christine DECODTS, M. Tematai LE GAYIC,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 17 octobre 1961, des milliers d’Algériens de France manifestent pacifiquement à l’appel du Front de libération nationale (FLN) contre la communication faite par Maurice Papon, avec le soutien du Gouvernement, d’imposer aux « Français musulmans d’Algérie » un couvre‑feu ainsi que pour demander l’indépendance de l’Algérie. Une instruction interne à la préfecture de police ordonnait quant à elle, à ses agents d’interdire fermement toute sortie des concernés après l’heure du couvre‑feu.

La répression des forces de l’ordre sous l’autorité de Maurice Papon et avec le concours de l’État est d’une extraordinaire brutalité. De nombreux Algériens sont blessés et environ 12 000 sont raflés puis transférés dans des centres de tri qui, pour certains, ont été montés spécifiquement pour l’occasion. D’autres sont tués, exécutés sommairement et jetés dans la Seine. À rebours des estimations récentes d’historiens affirmant un nombre de victimes se comptant en centaines, l’ampleur de la répression a été occultée en se limitant au bilan officiel de deux, puis trois morts. Il est en réalité très difficile d’isoler le seul jour du 17 octobre dans le contexte de la politique coloniale et discriminatoire alors menée envers les Algériens en France, qui atteint son paroxysme lors de la nuit du massacre.

Cet épisode tragique de la guerre d’Algérie est longtemps resté dans l’ombre. Il faut ainsi attendre les années 1990 pour que l’histoire du 17 octobre se diffuse largement, grâce aux efforts des familles de disparus, d’associations et d’historiens et historiennes.

Une reconnaissance progressive de cet épisode a donc débuté, pour faire la lumière sur la responsabilité entière de l’État concernant ce massacre qui sera funestement reconnu comme la répression d’État la plus violente qu’ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale après 1945.

L’hommage aux victimes de cette sanglante répression s’est traduit par l’apposition en 2001 d’une plaque sur le pont Saint‑Michel par la mairie de Paris. En 2019, une stèle en acier a par ailleurs été ajoutée par la Mairie afin de renforcer la mise en valeur de ce lieu de mémoire. Dans de nombreuses communes de France, cet hommage s’est matérialisé par des dénominations dans l’espace public ou par des appositions de plaques commémoratives.

C’est en octobre 2012 que la reconnaissance a eu lieu pour la première fois au sommet de l’État. Le Président François Hollande déclare alors que « La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes ». En 2021, le Président Emmanuel Macron indique que « les responsabilités sont clairement établies » déclarant que « les crimes commis cette nuit‑là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République ».

Dans une note en date du 28 octobre 1961, Bernard Tricot, alors conseiller du général De Gaulle pour les affaires algériennes décrit la violence alors exercée par les forces de l’ordre : « Il y aurait 54 morts […] Ils auraient été noyés, les autres étranglés, d’autres encore abattus par balles. Les instructions judiciaires ont été ouvertes. Il est malheureusement probable que ces enquêtes pourront aboutir à mettre en cause certains fonctionnaires de police ». Ces violences illégales n’ont cependant jamais connu de poursuites judiciaires, les faits ayant été amnistiés à la suite de l’ordonnance du 14 avril 1962. Les ministres de l’intérieur Roger Frey et de la justice Bernard Chenot ont été confirmés dans leurs fonctions, de même que Maurice Papon, qui a toujours nié quelque violence policière.

La responsabilité de Maurice Papon a été clairement reconnue par le communiqué de l’Élysée de 2021. Cependant, cette seule mise en cause permet à l’État de minimiser celle de la totalité du Gouvernement de l’époque, du ministre de l’intérieur, Roger Frey, du premier ministre, Michel Debré et, ultimement des pouvoirs publics dans leur ensemble. Comme tout préfet de la République, Maurice Papon agissait sous les ordres du gouvernement, et tout particulièrement ceux du ministre de l’intérieur, et du Premier ministre, qui prirent avec Maurice Papon la décision du couvre‑feu. La mémoire collective française ne peut se construire et s’écrire au prix de compromis sur la vérité historique. La responsabilité de l’État doit au contraire permettre de réconcilier et d’apaiser ces mémoires encore vives. Parce que Maurice Papon a été condamné en 1998 pour « complicité de crimes contre l’humanité » du fait de son rôle dans la déportation de 1 690 personnes juives de la région bordelaise, il semble facile pour l’État de s’arranger avec la vérité en faisant peser la responsabilité d’un massacre sur les épaules d’un seul homme. Il a fallu attendre plus de 50 ans avant que l’État ne reconnaisse sa responsabilité dans la rafle du Vel d’Hiv. Cette rafle fut pourtant réalisée avec le concours de 9 000 policiers et gendarmes français sur ordre du gouvernement et sous la responsabilité du Secrétaire Général de la Police nationale, René Bousquet. Il faut aujourd’hui avoir le courage de le reconnaître : le 17 octobre, c’est aussi la police parisienne qui a perpétré le massacre, sous les ordres du gouvernement français. Cette responsabilité fait de longue date consensus chez les historiens et historiennes et doit permettre de reconnaître les souffrances subies pour avancer sur le chemin d’une mémoire collective juste, comprise, et partagée par tous.

Les autorités de la France et de l’Algérie ont mis en œuvre des initiatives pour permettre aux historiens de rendre fidèlement compte de l’histoire qui lie nos deux pays, même dans leurs heures les plus sombres. En ce sens, une commission mixte, comprenant des historiens indépendants des deux pays a été mise en place et a débuté ses travaux en vue de mieux comprendre et réconcilier les mémoires blessées.

Le 28 mars 2024, l’Assemblée nationale adopte une résolution visant à reconnaître et à condamner le massacre des Algériens le 17 octobre 1961, invitant à inscrire cette date à l’agenda des commémorations officielles.

Cette proposition de loi vise ainsi à continuer le travail entamé concernant la reconnaissance et la condamnation du massacre des manifestants algériens du 17 octobre 1961 en le reconnaissant comme un crime d’État, eu égard de la chaîne décisionnelle de cette répression qui impliqua l’ensemble des institutions de la République, à des degrés divers.

Elle instaure aussi une journée de commémoration officielle du massacre du 17 octobre 1961 en l’inscrivant au calendrier des journées nationales et des cérémonies officielles, ouvre et rend accessible l’ensemble des archives qui s’y rattachent, et érige un lieu de mémoire.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le massacre des Algériens et Algériennes du 17 octobre 1961 par la police parisienne et ordonné par la Préfecture de Police et le ministère de l’Intérieur, puis couvert par les plus hautes autorités publiques, est reconnu comme un crime d’État.

Article 2

Il est institué une journée nationale à la mémoire des victimes du 17 octobre 1961. Les cérémonies de commémoration ont lieu chaque année en date du 17 octobre.

Article 3

Toutes les archives relatives à ce crime d’État doivent être ouvertes aux citoyens et citoyennes, universitaires, chercheurs français et étrangers.

Article 4

Un lieu de mémoire est érigé pour honorer la mémoire des victimes et rappeler le crime d’État commis alors.

Article 5

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, M. Mickaël BOULOUX, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, M. Gérard LESEUL, M. Philippe NAILLET, M. Bertrand PETIT, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Valérie RABAULT, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT.