N° 251
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 septembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
de programmation énergie-climat,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Julie LAERNOES, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Arnaud BONNET, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Charles FOURNIER, M. Damien GIRARD, M. Steevy GUSTAVE, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Boris TAVERNIER, Mme Dominique VOYNET,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’urgence climatique est là. Le changement climatique, dont le constat scientifique est étayé et documenté depuis des décennies, est à l’œuvre, et ses conséquences, bien tangibles, s’accentuent à un rythme inouï et affectent déjà le monde entier.
L’année 2023 a été de loin l’année la plus chaude jamais enregistrée, après l’année 2022, déjà étouffante ! Et les records de températures mondiales continuent de tomber en ce milieu d’année 2024. L’observatoire européen Copernicus a annoncé le lundi 8 juillet 2024 que le mois de juin de cette même année était le 13ᵉ mois consécutif à établir un record de température moyenne plus élevée que les mois équivalents.
Canicules, sécheresses, incendies, fortes pluies, inondations, glissements de terrain… Les phénomènes climatiques, qui frappent de plein fouet toutes nos sociétés, se multiplient à mesure que les émissions de gaz à effet de serre induites par les activités humaines s’additionnent année après année. Des phénomènes de plus en plus extrêmes, y compris en France et en Europe, qui ne feront que s’intensifier si nous n’agissons pas plus fortement pour limiter le réchauffement global, comme le rappellent de très nombreuses études scientifiques.
Face à cette impérative nécessité d’agir, sur laquelle alertent les rapports successifs des experts scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les pays signataires de la Convention‑cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) se sont donnés pour objectif, lors de la Conférence des Parties de 2015 à Paris (COP21), de maintenir l’augmentation de la température mondiale « nettement en dessous » de 2° C d’ici à 2 100 par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts en vue de limiter cette augmentation à 1,5° C. Pour ce faire, l’Accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015, prévoit ainsi de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 45 % d’ici à 2030 par rapport à2010, et d’atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050, c’est‑à‑dire la neutralité carbone.
Or les engagements pris jusqu’ici par les États signataires sont loin d’être suffisants pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Selon le GIEC, sans changement de braquet, les politiques actuellement mises en œuvre laissent le monde sur la voie d’un réchauffement global entre 2,8° C et 3,2° C en 2100, soit un monde invivable dans de nombreuses régions. Un constat également partagé par l’Agence internationale de l’énergie (IEA) qui a récemment rappelé que les engagements pris jusqu’à aujourd’hui ne suffisaient pas, et qu’il fallait les renforcer au cours des prochaines années.
Cette nécessité de réaliser l’essentiel des efforts dans les années à venir est également confirmée par le Conseil scientifique de l’Union européenne sur le changement climatique, qui indique que l’Union européenne doit réduire ses émissions de 90 % à 95 % d’ici à 2040, si elle veut atteindre son objectif de neutralité carbone en 2050. S’agissant de la France, les données du centre de recherche Climate Analytics révèlent que plus de 80 % des baisses d’émissions doivent être réalisées d’ici à 2035 pour atteindre la neutralité carbone au niveau national. Dans son sixième rapport annuel publié en juin 2024, le Haut Conseil pour le Climat, organisme indépendant chargé d’évaluer l’action publique française en matière de climat, juge encore insuffisant l’alignement des politiques publiques en place avec l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050.
Ainsi, seule une réduction plus rapide, plus forte et plus soutenue des émissions de gaz à effet de serre au cours de la prochaine décennie limiterait le réchauffement proche de 1,5° C ou sous 2° C. Autrement dit, le climat, c’est le défi de la décennie ! Nous n’avons plus que quelques années pour opérer un changement réel de direction afin de gagner la bataille climatique ! Et l’enjeu de l’énergie constitue la pierre angulaire de cette indispensable transition qu’il nous faut rapidement opérer pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, premières responsables des émissions de gaz à effet de serre. Cela suppose une action forte sur trois piliers complémentaires : réduire fortement les besoins et les consommations d’énergie, améliorer la performance et l’efficacité énergétique pour réduire la demande et déployer massivement les énergies renouvelables.
C’est en ce sens que l’Union européenne a récemment adopté le paquet législatif, connu sous le nom de « fit for 55 », établissant de nouvelles règles en matière d’énergie et fixant un nouvel objectif plus contraignant de 55 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.
La France, en tant que pays organisateur de la COP21 qui a abouti à l’historique Accord de Paris, et en tant que pays influent, à la fois au sein de l’Union européenne et dans la diplomatie internationale, a un devoir d’exemplarité en matière d’action climatique. En effet, nous avons une responsabilité majeure pour accélérer la transition énergétique et agir contre le changement climatique.
C’est pourquoi, il est indispensable que notre pays se munisse de nouvelles dispositions législatives relatives à la politique énergétique et climatique, qui soient renforcées et qui formalisent nos engagements européens et internationaux, tels que ceux pris dans le cadre du paquet européen « Fit for 55 », ou ceux actés lors de la dernière COP à Dubaï comme le triplement des capacités d’énergies renouvelables d’ici six ans pour se libérer des énergies fossiles dans nos systèmes énergétiques.
Dans cette logique, en 2019, à l’occasion de la loi n° 2019‑1147 relative à l’énergie et au climat, notre Parlement décidait qu’avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi devait être présentée pour « déterminer les objectifs et fixer les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique ».
Or, cette loi, censée déterminer de nouveaux objectifs énergétiques, et permettant de décliner par la suite les mesures opérationnelles pour les atteindre, notre pays n’en dispose toujours pas. Plusieurs fois annoncée, puis décalée, puis présentée, puis finalement abandonnée… Après plus de deux ans de zig‑zags gouvernementaux, cette loi, qui aurait dû légalement être examinée il y a plus d’un an, n’a toujours pas été déposée devant le Parlement. La question de la trajectoire climatique que la France devrait se fixer, et des objectifs énergétiques qui en découlent, n’a donc toujours pas été débattue ni tranchée dans la société, et notamment par la représentation nationale. Et ce malgré de nombreuses concertations et consultations publiques, la publication de divers scénarios prospectives permettant d’atteindre la neutralité carbone et de multiples travaux parlementaires extrêmement étayés ; malgré aussi l’installation du Secrétariat général à la planification écologique, chargé de coordonner l’élaboration des stratégies nationales en matière de climat en s’assurant du respect des engagements européens et internationaux de la France.
Alors que nous avons déjà pris du retard pour atteindre les cibles actuelles, qu’il s’agisse du rythme annuel de baisse des émissions de gaz à effet de serre ou du développement des énergies renouvelables, cette situation n’est plus acceptable, tant la fenêtre de tir pour agir se referme de plus en plus vite. En septembre 2023, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), M. António Guterres, appelé encore les pays les plus développés à passer à la vitesse supérieure et à avancer nos objectifs. Certes, le gouvernement français a récemment remis à la Commission européenne un nouveau plan national intégré énergie‑climat (PNIEC), mais quelles valeurs données à ces nouveaux objectifs présentés dans ce plan, alors qu’ils ne sont même pas transcrits dans notre propre droit ?
De surcroît, nos objectifs législatifs actuels en matière d’énergie et de climat, définis à l’article L. 100‑4 du code de l’énergie sont devenus obsolètes compte tenu de l’indispensable relèvement de l’ambition climatique. Ainsi, certains objectifs‑cibles ont été fixés il y a dix ans, alors que la dégradation climatique s’accélère et que l’Union européenne a fermement renforcé ses exigences à travers le paquet « Fit for 55 ».
Non seulement notre pays ne peut se passer encore longtemps de cette loi de programmation énergétique d’un point de vue légal, mais il s’agit surtout d’un impératif climatique, économique et de souveraineté. Cette absence de loi a d’ores et déjà des répercussions concrètes sur la mise en œuvre de la transition écologique et énergétique dans notre pays. En effet, faute de cap clair validé de façon démocratique, les investisseurs et porteurs de projet ne peuvent identifier les axes qui seront privilégiés par l’État à moyen et long terme, et les industriels, comme les autres professionnels, sont confrontés au manque de lisibilité des perspectives de développement des filières dans les secteurs des énergies renouvelables, de la rénovation énergétique, du renforcement et de l’adaptation des réseaux et de la maîtrise des consommations énergétiques. Les collectivités locales ne sont pas non plus en mesure d’évaluer l’ampleur des efforts à fournir. Cette absence de loi quinquennale bride ainsi tous les acteurs. Ils dépendent pourtant du cap que nous devons nous fixer et attendent de se mobiliser massivement afin de relever les défis de demain.
Adopter une telle loi doit donc être une priorité nationale pour donner une légitimité démocratique, un portage politique à la transition énergétique, et de la visibilité et des perspectives afin que toute la société puisse se mobiliser massivement pour relever le défi majeur qui est devant nous et qui concerne la vie de tous les Français et des générations futures. Le climat n’attend plus !
Tel est l’objet de cette proposition de loi de programmation énergie‑climat. Celle‑ci vise à graver dans le marbre législatif de nouveaux objectifs énergétiques et climatiques plus ambitieux et cohérents avec nous engagements internationaux en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre, de réduction de la consommation d’énergie, de développement des énergies renouvelables de performance énergétique des bâtiments. Ce sont les seuls leviers pour sortir des énergies fossiles et inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre dans les plus brefs délais afin d’accélérer concrètement la lutte contre le changement climatique, tout en garantissant à court et moyen terme une sécurité d’approvisionnement énergétique.
L’article 1er vise à rehausser les objectifs de la politique énergétique nationale afin, notamment, de les rendre compatibles avec les objectifs introduits au niveau européen par la directive 2023/1791 du 13 septembre 2023 relative à l’efficacité énergétique, issue du paquet « Fit for 55 », qui vise à réduire nos émissions nettes de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 par rapport à la référence 1990. Il prévoit de réviser sans plus attendre l’objectif actuel de 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, en lui substituant un objectif de réduction des émissions de 50 % brut, sans tenir compte de l’absorption du CO2 par les puits de carbone, comme les forêts, pour tenir l’objectif du paquet européen » Fit for 55 », qui vise une baisse de 55 % des émissions nettes. Ce même article prévoit également d’accélérer le rythme de baisse de la consommation d’énergie et d’accélérer la sortie des énergies fossiles, en proposant de baisser de 30 % notre consommation énergétique finale et de diviser par deux notre utilisation des énergies fossiles. De plus, en cohérence avec la directive européenne n° 2023/2413 du 18 octobre 2023 relative à la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, dite aussi « RED III », l’article rehausse nos objectifs en matière de développement des énergies renouvelables pour rattraper notre retard en la matière et accélérer la transition des énergies fossiles vers ces sources d’énergie à faible émission de carbone. Enfin, l’article définit une trajectoire annuelle de rénovation énergétique des logements, pour donner un cap ambitieux aux filières professionnelles et faire en sorte que l’État s’engage de façon crédible et sur le temps long, mais aussi pour en finir avec le » stop and go » qui ralentit ce chantier crucial pour la transition énergétique.
L’article 2 prévoit une interdiction totale de la production d’électricité à partir du charbon sur notre sol à l’horizon 2027, conformément à la promesse formulée par le Président de la République le 25 septembre 2023, et qui doit désormais se traduire en actes, de manière pérenne. En 2020, la production d’électricité utilisant le charbon représentait moins de 1,2 % de la consommation nationale, mais générait environ 30 % des émissions du secteur électrique. Il serait donc particulièrement irresponsable de repousser l’échéance de la fermeture de ces centrales et de continuer à brûler la plus désastreuse des énergies fossiles.
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proposition de loi
Article 1er
Le titre préliminaire du livre Ier du code de l’énergie est ainsi modifié :
I. – L’article L. 100‑1 est complété par un 8° ainsi rédigé :
« 8° Contribue à une réduction des émissions de gaz à effet de serre compatible avec l’accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015 afin de limiter l’élévation de la température mondiale à 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels, selon les orientations définies à l’article L. 100‑4 du présent code. » ;
II. – Le I de l’article L. 100‑4 est ainsi modifié :
1° Le 1° est ainsi modifié :
a) À la première phrase, le taux : « 40 % » est remplacé par les mots : « 50 %, en excluant les émissions et absorptions associées à l’usage des terres et à la foresterie, entre 1990 et 2030, afin de réduire d’au moins 55 % les émissions nettes de gaz à effet de serre » ;
b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « La politique énergétique nationale a également pour objectif de réduire de 65 % à l’horizon 2050, par rapport à 2005, l’empreinte carbone de la France, calculée selon les modalités mentionnées au II de l’article L. 222‑1 B du code de l’environnement. »
2° À la fin de la première phrase du 2°, les mots : « et de 20 % en 2030 » sont remplacés par les mots : « , d’au moins 30 % en 2030 et de 40 % en 2040 » ;
3° Le 3° est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « de 40 % » sont remplacés par les mots : « d’au moins 50 % » ;
b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « La trajectoire de réduction pour chaque énergie fossile est précisée par la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141‑1. » ;
4° Le 4° est ainsi modifié :
a) La première phrase est ainsi modifiée :
le taux : « 33 % » est remplacé par le taux : « 42,5 % » ;
le taux : « 38 % » est remplacé par le taux : « 45 % » ;
le taux : « 10 % » est remplacé par le taux : « 15 % » ;
b) À la fin de la seconde phrase les mots : « , et de gaz bas‑carbone, au sens de l’article L. 447‑1 » sont supprimés ;
5° Après le 4°, il est inséré un 4 bis A ainsi rédigé :
« 4° bis A De porter la part des énergies renouvelables à 49 % dans le secteur des bâtiments ; » ;
6° Après le mot : « porter », la fin du 4° ter est ainsi rédigée : « le volume total des capacités de production attribuées à l’issue de procédures de mise en concurrence à au moins 26 gigawatts d’ici à 2034 afin d’atteindre une capacité d’au moins 18 gigawatts mise en service en 2035 ; » ;
7° Le 7° est complété par une phrase ainsi rédigée : « À cette date, pour parvenir à cet objectif, le rythme annuel de rénovation thermique des logements doit atteindre 370 000 rénovations énergétiques performantes, au sens du 17 bis de l’article L. 111‑1 du code de la construction et de l’habitation, sur la période 2024‑2030, puis 900 000 sur la période 2030‑2050 ; ».
Article 2
I. – Après l’article L. 311‑5‑3 du code de l’énergie, il est inséré un article L. 311‑5‑3‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 311‑5‑3‑1. – À compter du 1er janvier 2027, l’exploitation d’une installation de production d’électricité à partir de charbon, située sur le territoire de France hexagonale est interdite. »
II. – L’ordonnance n° 2020‑921 du 29 juillet 2020 portant diverses mesures d’accompagnement des salariés dans le cadre de la fermeture des centrales à charbon est ainsi modifiée :
1° À l’article 1er, après la référence : « L. 311‑5‑3 », sont insérés les mots : « et de l’article L. 311‑5‑3‑1 » ;
2° À l’article 22, après la référence : « L. 311‑5‑3 », sont insérés les mots : « et de l’article L. 311‑5‑3‑1 » ;
3° À l’article 39, après la référence : « L. 311‑5‑3 », sont insérés les mots : « et de l’article L. 311‑5‑3‑1 ».
Article 3
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La présente proposition de loi s’applique pour une durée de trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.