N° 268
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 septembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à rendre inéligibles les personnes menaçant la sûreté de l’État ou ayant un casier judiciaire préjudiciable,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Christelle PETEX, Mme Virginie DUBY-MULLER, Mme Alexandra MARTIN, Mme Josiane CORNELOUP, M. Jean-Pierre VIGIER, M. Fabrice BRUN, Mme Sylvie BONNET, M. Thibault BAZIN, Mme Frédérique MEUNIER, M. Hubert BRIGAND, M. Jean-Pierre TAITE, M. Éric PAUGET, Mme Véronique LOUWAGIE, M. Jérôme NURY, M. Vincent DESCOEUR, M. Yannick NEUDER, M. Michel HERBILLON,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Selon le dernier baromètre du Centre de recherches politiques de Sciences Po, le CEVIPOF ([1]) visant à mesurer la confiance des Français, ceux‑ci montrent une réelle défiance vis‑à‑vis du personnel politique. En effet, les chiffres publiés en février 2024 attestent que 70 % des Français n’ont pas confiance dans la politique et son personnel. Bien que cela doit être nuancé puisqu’ils font davantage confiance aux élus locaux, en premier lieu le maire, qu’aux élus parlementaires et aux membres du gouvernement ; ce chiffre doit nous interpeller sur les dysfonctionnements réels de notre démocratie.
Malgré un regain de participation lors des dernières élections législatives – 66,7 % au second tour, un record depuis 1997 – qui démontre un réel intérêt pour la vie politique, ce qui est rassurant, nous constatons sur le terrain cette défiance. Tous les élus ont déjà interpellé sur ce sujet au moins une fois.
Cette défiance croissante à l’égard du personnel politique, exacerbée par les scandales et les affaires judiciaires, pose un réel défi à la stabilité de nos institutions. Il est désormais crucial de renforcer la transparence et l’exemplarité de nos élus pour garantir la crédibilité de la vie publique. Les citoyens attendent des représentants irréprochables, capables de restaurer la confiance et de préserver l’intégrité des fonctions qu’ils occupent.
Dans ce contexte, le débat sur l’interdiction des candidatures pour les personnes ayant un casier judiciaire préjudiciable s’impose comme une nécessité politique. En protégeant nos institutions des dérives et en exigeant des élus une conduite exemplaire, nous pouvons répondre à cette crise de confiance et réaffirmer les principes fondamentaux de notre démocratie.
À ce jour, en France, la loi permet à qui de droit de se présenter à toute élection, sauf si la personne a été déchue de ses droits civiques par une décision de justice. Cependant, ces mesures sont souvent critiquées pour leur manque de rigueur et de portée. De nombreux cas d’élus ayant des antécédents judiciaires et qui continuent de siéger ont été médiatisés, soulevant des questions relatives à la moralité et l’éthique en politique.
Le bulletin n° 3 du casier judiciaire contient les condamnations les plus graves telles que les peines de prison de plus de deux ans et sans sursis, certaines interdictions, déchéances et incapacités en cours. Il est accessible uniquement par la personne concernée et peut être demandé pour certains emplois ou démarches administratives.
Interdire les candidatures des personnes ayant un bulletin n° 3 non vierge datant de moins de trois mois pourrait renforcer la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques et leurs représentants qui doivent faire preuve d’exemplarité. Une telle interdiction pourrait aider à prévenir les abus en réduisant le risque que des personnes ayant des comportements répréhensibles accèdent à des postes de pouvoir. L’application de critères uniformes pour l’inéligibilité garantit une justice équitable pour tous les candidats, indépendamment de leur statut social ou de leur influence politique. Cela empêcherait les situations où les personnes à responsabilité politique pourraient échapper aux conséquences de leurs actions en exploitant des lacunes légales.
L’intégrité des représentants est cruciale pour maintenir une image positive, crédible et légitime de nos institutions. En effet, des élus sans antécédents judiciaires graves contribuent à la stabilité des organes politiques en évitant les controverses et les scandales qui pourraient les fragiliser. L’image de nos institutions démocratiques est directement liée à l’intégrité de ceux qui la composent. Ainsi, la légitimité des décisions prises par ces institutions repose sur la confiance et la moralité de leurs représentants. Dès lors, cette mesure permettrait un assainissement du paysage politique français.
En Italie, la loi prévoit l’inéligibilité des personnes condamnées pour certains délits graves, notamment la corruption, le détournement de fonds publics et les crimes organisés. Cette mesure, renforcée par la « Loi Severino » en 2012, vise à restaurer la confiance dans les institutions après plusieurs scandales liés à des actes de corruption. Les condamnés sont ainsi interdits de se présenter à toute élection pendant une période de six ans après la fin de leur peine. La « Loi Severino » a eu un impact significatif en Italie. Elle a conduit à l’exclusion de plusieurs politiciens de haut rang, envoyant un message fort de l’intégrité politique. Bien que cette loi ait suscité des controverses et des débats, elle est largement vue comme un outil efficace pour combattre ces faits aggravants et restaurer la confiance des citoyens dans leurs institutions.
Par ailleurs, nous souhaitons également protéger la fonction d’élu en rendant inéligibles les personnes inscrites à la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées.
Dans un monde toujours plus violent et instable, il est de la responsabilité du législateur de protéger les institutions de la République afin d’empêcher d’accéder à certaines fonctions politiques des personnes dangereuses et dont les intentions violentes visent à créer les conditions du chaos dans notre pays. Il en va du maintien de l’ordre public et de la protection de la sûreté de l’État.
Au sein du fichier des personnes recherchées, les fiches S désignent les dossiers relatifs à la « sûreté de l’État ». Il désigne les individus qui par leurs actions individuelles ou collectives, directement ou indirectement, sont susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’État ou à la sécurité publique par le recours ou le soutien actif apporté à la violence, ainsi que toute personne entretenant ou ayant des relations directes et non fortuites avec ces personnes. Les fiches sont créées par quatre services : la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le service central du renseignement territorial (SCRT), la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) et la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN).
Les parlementaires en tant qu’élus de la Nation sont amenés à occuper des fonctions spécifiques dans nos institutions politiques et à disposer de pouvoirs qui imposent une grande responsabilité. À titre d’exemple, des parlementaires siègent à la Délégation parlementaire au renseignement et peuvent donc avoir accès à des documents secrets et particulièrement sensibles. Autre exemple, l’article 719 du code de procédure pénale autorise les parlementaires « à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les locaux des retenues douanières définies à l’article 323‑1 du code des douanes, les lieux de rétention administrative, les zones d’attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés mentionnés à l’article L. 113‑7 du code de la justice pénale des mineurs. ». Par conséquent, un individu jugé dangereux par des services de police ou de renseignement est autorisé à accéder à tout moment aux établissements sécurisés.
On ne peut que s’interroger sur la pertinence d’autoriser un individu fiché pouvant mettre en péril la sûreté de l’État de pouvoir accéder à des informations ou à des lieux sensibles sans préavis et sans limitations de sécurité. Cela pose la question de la sécurité et de la sûreté nationale.
Dans le reste de la société, un agent de sécurité perdra son emploi immédiatement pour des raisons de sûreté à partir du moment où il se retrouve fiché S. Depuis plusieurs années, notamment dans le cadre d’une menace terroriste accrue, le législateur a renforcé les enquêtes administratives dans plusieurs secteurs stratégiques concernant la sûreté de l’État : emplois publics participant à l’exercice des missions de souveraineté de l’État ; emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense ; emplois privés ou activités privées réglementées relevant des domaines des jeux, paris et courses ; accès à des zones protégées en raison de l’activité qui s’y exerce ; utilisations de matériels ou produits présentant un caractère dangereux. Cela est normal et sain, pourtant à un poste de responsabilité, tel qu’élu de la Nation, aucun contrôle a priori n’est effectué. Et cette situation n’empêche pas un individu de se présenter aux élections.
Les élections législatives anticipées du 30 juin et du 7 juillet 2024 ont démontré qu’il est possible pour un individu fiché S de se faire élire à la fonction de député.
Afin de sensibiliser à cette situation qui pourrait se reproduire à l’avenir, avec une volonté grandissante de l’extrême‑gauche de pratiquer l’entrisme dans nos institutions et avec une volonté assumée d’entraîner le pays vers le chaos, il convient de protéger nos institutions en empêchant la possibilité de ces situations.
C’est pourquoi, nous proposons d’instaurer un « criblage » des candidatures aux élections, quel que soit le type de scrutin : scrutin de liste, scrutin binominal ou scrutin uninominal. La proposition qui est faite tend donc, lors des déclarations de candidature en préfecture, à permettre au préfet ou au représentant de l’État dans le département de vérifier si le candidat est fiché S au fichier des personnes recherchées.
S’il est avéré que le candidat est fiché S au fichier des personnes recherchées, le préfet en tire les conséquences suivantes :
– En cas de scrutin de liste, informer la tête de liste afin qu’elle remplace sous 24 heures le candidat fiché ou refuser de délivrer le récépissé de dépôt lorsque la tête de liste est elle‑même fichée ou refuse de remplacer un membre de sa liste fiché ;
– En cas de scrutin binominal ou uninominal, refuser de délivrer le récépissé de dépôt lorsqu’un candidat ou un remplaçant est fiché.
À cette fin, la catégorie « sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées est consultable par le préfet ou une personne dûment habilitée par lui au moment du dépôt des candidatures.
Comme toute décision en matière de dépôt des candidatures, cette décision administrative de refus pourra être contestée dans les conditions déjà prévues par le code électoral par une saisine du tribunal administratif dans les 24 heures, suivie d’un jugement rendu sous trois jours ; en cas de contestation, si le tribunal administratif ne se prononce pas dans les 72 heures, le droit électoral s’appliquerait et la candidature serait validée.
Ces deux mesures permettraient de renforcer la confiance des citoyens, assurer une justice équitable, maintenir une image positive de nos institutions, stabiliser les organes politiques et assainir le paysage politique.
Les articles 1, 2 et 3 visent à interdire l’éligibilité des personnes dont le bulletin n° 3 de son casier judiciaire est non vierge ou les personnes inscrites dans la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées, pour les élections législatives.
Les articles 4 et 5 visent à interdire l’éligibilité des personnes dont le bulletin n° 3 de son casier judiciaire est non vierge ou les personnes inscrites dans la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées, pour les élections départementales.
Les articles 6, 7, 8, 9 et 10 visent à interdire l’éligibilité des personnes dont le bulletin n° 3 de son casier judiciaire est non vierge ou les personnes inscrites dans la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées, pour les élections municipales.
Les articles 11 et 12 visent à interdire l’éligibilité des personnes dont le bulletin n° 3 de son casier judiciaire est non vierge ou les personnes inscrites dans la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées, pour les élections sénatoriales.
Les articles 13 et 14 visent à interdire l’éligibilité des personnes dont le bulletin n° 3 de son casier judiciaire est non vierge ou les personnes inscrites dans la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées, pour les élections régionales.
Les articles 15 et 16 visent à interdire l’éligibilité des personnes dont le bulletin n° 3 de son casier judiciaire est non vierge ou les personnes inscrites dans la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées, pour les élections européennes.
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proposition de loi
Article 1er
L’article L. 154 du code électoral est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est complété par les mots : « ainsi que le bulletin n° 3 de son casier judiciaire datant de moins de trois mois » ;
2° Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut figurer en qualité de candidat si le bulletin n° 3 de son casier judiciaire n’est pas vierge et contient des mentions incompatibles avec l’exercice des fonctions publiques électives. »
Article 2
L’article L. 156 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut être candidat s’il est inscrit à la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées. La responsabilité incombe au préfet de vérifier la situation des candidats. »
Article 3
L’article L. 155 du code électoral est ainsi modifié :
1° La dernière phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « et le bulletin n° 3 de son casier judiciaire datant de moins de trois mois » ;
2° Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut figurer en qualité de remplaçant si le bulletin n° 3 de son casier judiciaire n’est pas vierge et contient des mentions incompatibles avec l’exercice des fonctions publiques électives. »
Article 4
L’article L. 199 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Sont inéligibles les candidats et les personnes appelées à remplacer le candidat dont l’extrait du bulletin n° 3 de leur casier judiciaire datant de moins de trois mois n’est pas vierge. »
Article 5
L’article L. 210‑1 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut être candidat s’il est inscrit à la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées. La responsabilité incombe au préfet de vérifier la situation des candidats. »
Article 6
Après le premier alinéa de l’article L. 228 du code électoral, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut être élu conseiller municipal si le bulletin n° 3 de son casier judiciaire datant de moins de trois mois n’est pas vierge et contient des mentions incompatibles avec l’exercice des fonctions publiques électives. »
Article 7
Le septième alinéa de l’article L. 255‑4 du code électoral est ainsi modifié :
1° Le mot : « et » est remplacé par les mots : « , des pièces de nature à prouver qu’il possède la qualité d’électeur, » ;
2° À la fin, les mots : « prévues aux deux premiers alinéas de l’article L. 228 » sont remplacés par les mots : « ainsi que le bulletin n° 3 de son casier judiciaire datant de moins de trois mois ».
Article 8
L’article L. 255‑2 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut être candidat s’il est inscrit à la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées. La responsabilité incombe au préfet de vérifier la situation des candidats. »
Article 9
Après le 2° de l’article L. 265 du code électoral, il est inséré un 3° ainsi rédigé :
« 3° La copie datant de moins de trois mois du bulletin n° 3 du casier judiciaire de chacun des candidats. »
Article 10
L’article L. 263 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut être candidat s’il est inscrit à la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées. La responsabilité incombe au préfet de vérifier la situation des candidats. »
Article 11
Au second alinéa de l’article L. 298 du code électoral, après le mot : « identités », sont insérés les mots : « , les pièces de nature à prouver qu’il possède la qualité d’électeur, le bulletin n° 3 de son casier judiciaire datant de moins de trois mois ».
Article 12
L’article L. 302 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut être candidat s’il est inscrit à la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées. La responsabilité incombe au préfet de vérifier la situation des candidats. »
Article 13
L’article L. 347 du code électoral est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase du deuxième alinéa, le mot : « indique » est remplacé par le mot : « renseigne » ;
2° Après le 3°, il est inséré un 4° ainsi rédigé :
« 4° Une copie datant de moins de trois mois du bulletin n° 3 du casier judiciaire datant de moins de trois mois de chacun des candidats. »
Article 14
L’article L. 348 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut être candidat s’il est inscrit à la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées. La responsabilité incombe au préfet de vérifier la situation des candidats. »
Article 15
L’article 9 de la loi n° 77‑729 du 7 juillet 1977 est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase du deuxième alinéa du I, après le mot : « identité », sont insérés les mots : « et d’une copie du bulletin n° 3 du casier judiciaire » ;
2° Le II est complété par un 6° ainsi rédigé :
« 6° Une copie datant de moins de trois mois du bulletin n° 3 de son casier judiciaire. »
Article 16
L’article 5‑1 de la loi n° 77‑729 du 7 juillet 1977 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut être candidat s’il est inscrit à la catégorie « atteinte à la sûreté de l’État » du fichier des personnes recherchées. La responsabilité incombe au préfet de vérifier la situation des candidats. »
([1]) Le baromètre de la confiance politique, CEVIPOF Sciences Po, Vague 15, février 2024, https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/BConf_V15_Extraction1_modif.pdf