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N° 313

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2024.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à instaurer un référendum révocatoire,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Bastien LACHAUD, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La souveraineté nationale et démocratique, dans notre République, est l’expression de la souveraineté du peuple. C’est la liberté pour le peuple de choisir son destin. Notre Constitution le consacre ainsi en son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. »

Par un acte politique fondamental, un groupement d’individus décide de fonder une souveraineté en décidant collectivement de règles qui s’appliquent à toutes et tous, en devenant un peuple politique qui se donne la cohérence de lois communes. La démocratie est la forme politique que prend l’exercice de la souveraineté du peuple sur lui‑même. Le contrat social, comme le théorise Jean‑Jacques Rousseau dans son texte fondateur de l’idée moderne de la République, ainsi constitué permet d’articuler le fait de décider de la loi, et le fait d’y obéir.

La recherche de l’intérêt général est la condition d’une souveraineté populaire démocratique. Le peuple politique composé de citoyens décidant non de ce qui est utile pour soi, mais de ce qui est bon pour toutes et tous, peut définir l’intérêt général. La République se constitue à partir du moment où le peuple est souverain pour décider de l’intérêt général : d’un point de vue social, écologique, démocratique, économique, c’est le peuple qui défend l’intérêt général.

Voilà ce qui devrait constituer l’esprit d’un texte constitutionnel démocratique et républicain. Pourtant, la constitution de la Ve République, si elle s’appuie sur des principes fondateurs démocratiques, ne laisse que peu de place à l’exercice de la souveraineté populaire en dehors des élections. Cela est d’autant plus problématique lorsque la Constitution est utilisée par le Gouvernement pour censurer l’expression de la représentation nationale. Par exemple, par le biais du recours à l’article 49 alinéa 3, utilisé de manière particulièrement violente sous la présidence d’Emmanuel Macron pour imposer des lois : la Première ministre Élisabeth Borne y a eu recours 20 fois. Le déséquilibre est fort entre les outils à la main de l’exécutif et ceux qui pourraient permettre l’exercice effectif de la souveraineté populaire.

La Constitution de la Ve République empêche l’exercice réel de la souveraineté, ce qui entretient aujourd’hui la crise de la démocratie représentative.

Les modalités d’exercice de la souveraineté populaire reposent presque exclusivement sur l’élection des représentants. Or, il arrive que les représentants du peuple prennent des décisions contraires à la volonté du peuple souverain lui‑même. Dans ce conflit, les élus arguent de la légalité de leur élection d’où ils tirent la légitimité de prendre des décisions. Le peuple se rassemble, manifeste, pétitionne et conteste des décisions prises en son nom. Mais il ne peut pas traduire politiquement son refus de manière contraignante.

Il arrive même que l’expression de la volonté du peuple pourtant clairement exprimée ne soit pas respectée. Par exemple, en 2008, le vote de la loi constitutionnelle permettant d’intégrer le Traité de Lisbonne est clairement en contradiction avec le vote du peuple par référendum en 2005 qui s’opposait, à une majorité de 55 % des exprimés, au Traité constitutionnel européen dont le contenu était semblable. Le vote des représentants du peuple réunis en Congrès est donc l’exact contraire de ce qui a été décidé par le peuple souverain, qui s’est exprimé par référendum. De quelle possibilité le peuple dispose‑t‑il ensuite pour sanctionner des représentants qui sont allés aussi manifestement à l’encontre de la volonté populaire ? Aucune ! Les élus ont poursuivi leurs mandats sans que les citoyens ne puissent d’une façon institutionnelle et juridiquement contraignante sanctionner une telle forfaiture.

Cet épisode, ainsi que beaucoup d’autres accumulés, ont fait entrer le peuple français dans une grève civique et une colère froide. En témoignent les taux d’abstention croissants (taux record de 57,3 % d’abstention aux législatives de 2017 puis 53,7 % en 2022), y compris à l’élection présidentielle (28 % en 2022 après 25,4 % en 2017), et la conviction qui s’est répandue de plus en plus selon laquelle il ne sert à rien de voter, puisque les décisions prises le sont contre le peuple et que le vote n’y change rien. La nomination de M. Michel Barnier comme Premier ministre, après des élections législatives ayant mis en tête la coalition du Nouveau Front Populaire ne peut que renforcer cette conviction. Celle‑ci complique la mise en œuvre d’une campagne politique fondée sur un programme, puisque les électeurs et les électrices estiment souvent que ce ne serait que de vaines promesses. Largement répandu parmi le peuple, elle conduit certains à l’abstention, d’autres à voter blanc notamment au second tour.

Fin 2018, le mouvement des Gilets Jaunes a exprimé une colère chaude, agissante et ne se contentant plus du refus des élections, réclamant non seulement une politique de justice sociale et fiscale, mais aussi, très largement, des moyens démocratiques de prendre des décisions, ou de contrôler les décisions prises par les représentants au nom du peuple. Dans le cadre du grand débat national, lancé par le Président de la République en réaction à cette crise, les Françaises et Français se sont montrés largement intéressés par toutes les formes de référendum d’initiative citoyenne. Deux tiers des Français étaient alors en faveur du référendum révocatoire selon une étude de l’IFOP datant de 2019.

Le résultat des élections législatives du 7 juillet 2024, déclenchées suite à la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République Emmanuel Macron au sortir des élections européennes, démontre que les citoyens peuvent encore se mobiliser fortement, d’autant plus lorsque les enjeux politiques sont majeurs. La participation des électeurs et des électrices au second tour a atteint 66,7 %, soit la plus forte depuis 1997, et ce alors que moins de la moitié des inscrits avaient voté en 2017 et 2022. Les citoyennes et citoyens ont su se mobiliser pour exprimer leur refus de la politique imposée par le Gouvernement.

Bien que l’initiative citoyenne de propositions et d’organisation d’un vote par référendum existe, ses modalités d’application rendent son utilisation réelle particulièrement hypothétique, voire complètement impossible. Seul le troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution prévoit une initiative partiellement populaire des lois. Et encore ! Le référendum d’initiative partagée nécessite l’initiative de 1/5ème des parlementaires, soit 185, puis le concours de 1/10e du corps électoral, c’est‑à‑dire plus de 4 millions de personnes. Ces deux conditions cumulées rendent quasiment impossible la réunion de signatures nécessaires. D’autant plus que le référendum est convoqué par le Président si et seulement si le Parlement n’examine pas la proposition dans les 6 mois. La mise en œuvre de cet alinéa n’a jamais pu aboutir depuis son adoption en 2008. Malgré plus d’un million de signataires contre la privatisation des aéroports de Paris en 2019‑2020, aucun référendum n’a pu être lancé : les limites du dispositif ont été concrètement éprouvées.

Les élus sont au centre du système institutionnel de la Ve République, ils et elles sont seuls à l’initiative sans possibilité de révocation. Le peuple est cantonné dans un rôle passif, consistant à déléguer entièrement sa souveraineté lors d’élections. Celles‑ci ont de moins en moins de sens politique, et leur fonction consiste davantage à sanctionner le sortant, à supposer qu’il se représente, plutôt qu’à choisir réellement la politique qui sera menée. Les élections intermédiaires entre deux élections présidentielles font souvent office de vote de soutien ou de défiance à l’égard du Président de la République, au lieu de répondre aux enjeux spécifiques de ces élections.

Face à cela, certains élus peuvent croire à tort que leur élection signifie une carte blanche qui leur a été laissée pour la durée de leur mandat. De fait, qu’ils et elles appliquent ou non le programme sur lequel ils et elles se sont fait élire, le peuple qui les a mandatés ne peut rien faire sauf attendre la fin du mandat, et éventuellement les sanctionner en ne les réélisant pas.

Le Président de la République, lui, jouit d’une irresponsabilité institutionnelle et pénale qui rend le contrôle de son mandat par le peuple encore plus théorique. La seule possibilité de démettre le Président est la procédure de destitution prévue à l’article 68 de la Constitution, à la main du Parlement et non des citoyens, et dont les conditions sont particulièrement verrouillées (notamment le vote aux deux tiers de chaque assemblée parlementaire pour convoquer la Haute cour). Cette situation d’irresponsabilité et les pouvoirs attachés à sa fonction, lui permettent de s’arroger tous les pouvoirs dans une dérive monarchique difficilement arrêtable.

Le Gouvernement, qui n’est pas élu, peut – en tout cas théoriquement – être renversé par une motion de censure de l’Assemblée nationale. Mais le Président de la République nomme le Premier ministre comme bon lui semble. L’Assemblée nationale, elle, peut être dissoute par le Président de la République.

Les citoyens en subissent les frais depuis la décision du Président de dissoudre l’Assemblée nationale en juin 2024, puis de ne pas respecter le résultat des dernières élections législatives en refusant de nommer Première ministre la candidate choisie par la coalition victorieuse du Nouveau Front Populaire, Mme Lucie Castets. Considérant que son élection au suffrage universel donne une pleine légitimité à sa personne, le Président peut parfaitement faire fi de la souveraineté populaire lorsqu’elle s’exprime.

Il est temps d’en finir avec la culture de l’irresponsabilité politique et démocratique propre à la monarchie présidentielle.

Le peuple n’a aucun pouvoir de révocation ou d’action sur les décisions des élus de quelque ordre que ce soit. Une telle passivité des citoyens n’est pas acceptable pour l’exercice démocratique de la souveraineté populaire.

Nous proposons donc d’introduire dans la Constitution les mécanismes d’initiative citoyenne permettant l’exercice effectif de la souveraineté populaire. Les institutions actuelles sont complètement sclérosées, et ne le permettent pas. La Constitution doit garantir l’exercice réel du contrôle des citoyens, sans quoi il n’y a pas de souveraineté populaire. La présente proposition de révision constitutionnelle a donc pour but d’introduire dans la Constitution actuelle l’un des mécanismes d’initiative citoyenne qui y manque cruellement : le référendum révocatoire des élus.

Il s’agit de permettre l’initiative citoyenne de référendums révocatoires, par la pétition d’une partie du corps électoral de la circonscription d’élection. Si le nombre de signataires requis est réuni, alors un référendum est organisé, et le peuple décide de révoquer ou de conserver un élu.

La présente proposition de révision constitutionnelle propose un mécanisme permettant d’articuler l’expression de la souveraineté du peuple, l’initiative populaire, la nécessaire stabilité des institutions pour que l’exercice d’un mandat soit viable, le contrôle populaire des mandatés, et la légitimité des élus à exercer leur mandat. L’article unique propose en effet que tous les échelons électifs, maires, conseillers municipaux, présidents ou conseillers départementaux ou régionaux, conseillers territoriaux, mais aussi parlementaires et Président de la République puissent être soumis à un référendum révocatoire, à partir du premier tiers de leur mandat, si une pétition référendaire réunit 5 % du corps électoral d’origine.

Si les signatures des citoyens sont réunies, l’élu peut alors défendre son bilan de début de mandat, montrer qu’il ou elle a parfaitement respecté son programme, et que l’opposition organise une campagne de révocation qui n’est pas justifiée, ou alors l’opposition et les citoyens auront l’occasion de montrer que l’élu ne respecte pas son programme et qu’il ou elle doit être révoqué et de nouvelles élections se tenir. La révocation n’a lieu qu’après un vote majoritaire.

Ce droit de révocation impose en particulier au Président de la République une responsabilité permanente vis‑à‑vis du peuple, et confère au peuple un pouvoir de contrôle institutionnel. Ainsi, tout électeur ou électrice pourra disposer d’un pouvoir de révocation du Président de la République qui se renierait, trahirait ses engagements ou détournerait les institutions par abus de pouvoir.

Par ailleurs, en prévoyant que ce référendum ne puisse se tenir qu’après le premier tiers du mandat, et n’aboutir que si une majorité absolue des suffrages exprimés est obtenue, il ne peut être sérieusement soutenu qu’un tel mécanisme mènerait à une quelconque instabilité institutionnelle. Le principe est suffisamment encadré pour que ce droit ne perturbe pas l’ordre démocratique, mais soit au contraire employé avec parcimonie par les électeurs et électrices, à l’instar de ce que montrent les expériences étrangères. En effet, le droit de révocation est en vigueur, à différents degrés et pour différents élus, notamment aux États‑Unis, au Canada, au Mexique, au Royaume‑Uni ou encore en Suisse. On ne constate pas pour autant une particulière instabilité liée à ce droit de révocation dans ces pays.

Si le Président de la République était révoqué, dans les conditions prévues par l’article 7 de la Constitution, le Conseil Constitutionnel déclarerait son empêchement définitif, et le scrutin pour l’élection du nouveau Président aurait lieu dans les vingt jours au moins et trente‑cinq jours au plus après cette révocation. Ce dispositif permet pleinement d’allier l’exigence démocratique avec la nécessité d’assurer la continuité et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

Le droit de révocation doit également s’appliquer aux représentants nationaux du peuple, députés et sénateurs, ainsi qu’à tous les échelons électifs locaux.

L’article unique crée le référendum d’initiative citoyenne révocatoire des élus.

 


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PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Après le titre XIII de la Constitution, il est inséré un titre XIII bis ainsi rédigé :

« Titre XIII bis

RÉvocation des Élus

« Art. 861. – Le peuple a le droit de révoquer ses représentants qu’il a élus.

« Le mandat de la Présidente ou du Président de la République est révocable, à l’issue du premier tiers de son mandat, par un référendum national qui se tient sur la demande de toute initiative soutenue par un pourcentage défini des électeurs inscrits sur les listes électorales. Le cas échéant, la révocation est d’effet immédiat, et constitue un des cas d’empêchement définitif prévu par l’article 7.

« Le mandat des parlementaires est révocable par référendum local, à l’issue du premier tiers de leur mandat, convoqué sur la demande de toute initiative soutenue par un pourcentage défini des électeurs inscrits sur les listes électorales de la circonscription concernée.

« Le mandat des élus locaux est révocable par référendum local, à l’issue du premier tiers de leur mandat, convoqué sur la demande de toute initiative soutenue par un pourcentage défini des électeurs inscrits sur les listes électorales de la circonscription concernée.

« Les conditions d’application des précédents alinéas sont fixées par une loi organique, les pourcentages susmentionnés ne pouvant être supérieurs à cinq pour cent, et les référendums devant se tenir dans un délai maximal de six mois à compter de l’obtention du seuil requis de signatures de soutien. »