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N° 340
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2024.
PROPOSITION DE LOI
d’abrogation de la réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection portant le démantèlement de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Julie LAERNOES, Mme Delphine BATHO, Mme Dominique VOYNET, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Maxime LAISNEY, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Charles DE COURSON, M. Paul MOLAC, M. Mickaël BOULOUX, Mme Émeline K/BIDI, M. Édouard BÉNARD, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, M. Tristan LAHAIS, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas THIERRY,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La loi relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire, portée par le Gouvernement Borne en 2023 puis Attal au début de l’année 2024, qui créée une nouvelle Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) au 1er janvier 2025 intégrant une grande partie des prérogatives de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), a été promulgué le 22 mai 2024.
Cette loi controversée a été rejetée à deux reprises par le Parlement, avant d’être définitivement adoptée en avril 2024 grâce au revirement surprise de certains parlementaires.
Depuis son annonce le 8 février 2023 par le ministère de la Transition énergétique, elle fait l’objet d’une très large contestation par de nombreux acteurs de la sûreté nucléaire ainsi que des organisations syndicales représentatives des salariés de l’IRSN, de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
En effet, dans un contexte de volonté de relance de l’énergie nucléaire par le président de la République et de gestion du vieillissement des centrales nucléaires existantes, cette loi constitue une régression extrêmement dangereuse pour la sûreté et la sécurité nucléaire, tant elle procède à un bouleversement institutionnel de la gouvernance, sans qu’aucune justification ni étude d’impact sérieuse n’aient été présentée.
Le système français de contrôle de la sûreté nucléaire repose aujourd’hui sur une organisation dite « duale », avec d’un côté des autorités - l’ASN pour la sûreté des installations civiles, le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de la Transition écologique pour la sécurité des installations civiles et l’Autorité de sûreté nucléaire défense (ASDN) pour la sûreté des installations relevant de la défense nationale - qui exercent des pouvoirs de contrôle et de décision, et de l’autre l’IRSN, qui remplit des missions d’expertise et de recherche.
Ce système dual a été mis en place il y a plus de 25 ans, suite aux polémiques et aux déboires liés à la gestion de l’accident de Tchernobyl en France, et conforté par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière de nucléaire. Cette organisation est reconnue sur le plan international et est saluée par l’ensemble des parties prenantes, scientifiques, politiques et citoyennes.
La séparation claire des fonctions d’expertise et de décision fait la force de notre modèle français, car elle présente l’avantage majeur de garantir l’indépendance entre les trois piliers de la sûreté nucléaire que sont l’autorité de décision, l’organisme de recherche et d’expertise, et l’exploitant d’une installation nucléaire EDF, CEA, ORANO… En outre, cette indépendance ouvre des possibilités de dialogue direct entre l’expert et le décisionnaire, entre l’expert et l’exploitant nucléaire, mais aussi entre l’expert et la société civile par la mise en débat des préoccupations du public en particulier. Ce dialogue direct contribue à la qualité de l’expertise et de la décision, à leur crédibilité et à la confiance du public.
Cette reconnaissance du modèle français est rappelée dans de nombreux rapports, dont un rapport de la Cour des comptes en 2014 et le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de juillet 2023, élaboré à la suite de la première tentative gouvernementale de réformer notre système dual. Aucun rapport ne remet en cause le modèle dual de sûreté et son organisation.
L’adoption de la loi relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection met pourtant fin à ce modèle et menace ainsi gravement la qualité, la robustesse, l’indépendance, la transparence et l’intégrité du système actuel de régulation nucléaire en France.
L’IRSN, en tant qu’expert, joue un rôle essentiel en fournissant des analyses scientifiques indépendantes sur l’ensemble des dimensions de la sécurité nucléaire (sûreté, radioprotection, protection contre la malveillance et gestion de crise), permettant une évaluation globale, rigoureuse et objective des risques associés aux activités nucléaires, qu’il s’agisse des installations civiles ou relevant de la défense nationale. La séparation des missions entre l’IRSN, chargé de l’évaluation et de la recherche, et l’autorité responsable de la régulation, l’ASN pour les installations civiles ou l’ASND pour les installations relevant de la défense nationale, garantit un double regard sur les questions de sûreté, évitant ainsi toute concentration excessive des pouvoirs. Elle garantit également que les décisions réglementaires sont prises sur la base des meilleures connaissances disponibles, dans un cadre transparent et impartial.
Mais avec la création d’une nouvelle Autorité de sûreté civile d’ici le 1er janvier 2025, résultant de l’intégration de l’IRSN dans l’ASN prévue par la loi, les fonctions d’expertise et de décision seront centralisées sous une même autorité. Cette concentration des rôles au sein d’une même entité risque sérieusement de soumettre « l’expert » à des impératifs décisionnels, pouvant contraindre ses travaux ou en orienter les conclusions, et ainsi fragiliser l’indépendance, la crédibilité et la transparence des expertises en matière de sûreté nucléaire.
En outre, cette loi prévoit également l’éclatement des différents domaines de compétences de l’IRSN au sein de plusieurs entités, telles que, outre l’ASN, le ministère des Armées et le CEA. Cet éparpillement va entraîner un appauvrissement, une baisse de niveau de la qualité de l’expertise, un traitement séparé des installations civiles et relevant de la défense nationale, une perte de compétence et une dégradation de la fluidité des processus de décision.
De surcroît, cette loi entend intégrer l’IRSN dans l’ASN, deux institutions qui ont acquis dans le temps des manières, des pratiques, des cultures différentes et qui disposent de statuts différents, dans des circonstances extrêmement tendues et un délai très court. Une telle réorganisation, avec toutes les frictions que cela peut entraîner, va déstabiliser l’organisation actuelle, mais aussi accroître les risques de contestation, de conflits, et de démotivation des personnels de l’IRSN et de l’ASN, ainsi qu’une fuite des compétences. L’annonce de cette réorganisation a d’ores et déjà engendré un départ en cascade des personnels de l’IRSN, entraînant de nombreuses difficultés sur certaines instructions de dossiers. Ce qui fait la force du mécanisme de sûreté nucléaire, c’est pourtant, avant tout, la qualité et l’engagement des ressources humaines. Déstabiliser les relations et les méthodes de travail qui existent aujourd’hui entre les agents de la sûreté, c’est accroître le risque de dysfonctionnements majeurs dans le parc nucléaire français ! Un constat souligné par de nombreux travaux de recherche en organisation et management, qui ont démontré que les accidents industriels sont, dans la grande majorité du temps, liés à des défaillances d’ordre organisationnel et humain.
Enfin, l’IRSN développait un dialogue permanent avec la société civile, en prenant en compte les préoccupations de cette dernière dans les travaux de recherche, en contribuant au développement de la compréhension du public des risques radiologiques et en l’impliquant activement dans l’évaluation des risques. Ce dialogue et cette transparence avec la société civile passaient aussi par la publication des avis rendus par l’IRSN sur saisine de l’ASN ou d’une autre autorité publique en amont de toute décision. Cette transparence et ce dialogue, facteurs de crédibilité et de confiance du public, sont particulièrement indispensables dans une période de relance de l’énergie nucléaire. Pourtant, ce principe majeur de transparence et d’interaction avec la société civile, jusqu’ici prescrit par l’article L. 592‑47 du code de l’environnement, sera dorénavant défini par la nouvelle Autorité de sûreté. La publication des avis de l’IRSN préalablement aux décisions de l’ASN est ainsi menacée de disparition tout comme les missions d’ouverture à la société…
Les auteurs de cette proposition de loi ne comprennent donc toujours pas les raisons de cette loi relative à l’organisation de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, adoptée dans la précipitation, qui va contribuer à affaiblir un système de sûreté efficace mais déjà sous pression pour assurer la maintenance et la prolongation du parc existant de réacteurs nucléaires vieillissants, et répondre à la volonté présidentielle de construction de nouveaux réacteurs. Malgré ces craintes, inquiétudes, alertes et réticences également formulées par de nombreux acteurs du secteur de la sûreté nucléaire, notamment des scientifiques, des experts et des syndicats, le gouvernement a été incapable de faire la démonstration d’un dysfonctionnement justifiant un tel bouleversement.
La sûreté nucléaire est une responsabilité trop importante, qui plus est dans le pays le plus nucléarisé au monde. Que l’on soit pour ou contre l’énergie nucléaire, ce qui doit animer collectivement la représentation nationale, c’est la prévention et la maîtrise d’incidents ou d’accidents nucléaires, la protection de la Nation, de nos concitoyens et de notre environnement.
Or, pour toutes les raisons évoquées jusqu’ici, cette loi, précipitée et mal conçue, représente une atteinte grave à la sûreté et à la sécurité nucléaire en France. Il est ainsi indispensable de l’abroger au plus vite, afin de préserver l’indépendance de l’expertise scientifique en matière de sûreté et consolider le modèle robuste établi jusqu’ici, et qui a largement fait ses preuves en matière de protection de la population et de l’environnement.
Telle est l’objet de la présente proposition de loi.
Les articles 1er à 4 prévoient l’abrogation de la loi relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire.
L’article 5 prévoit les dispositions relatives à la compensation des éventuelles charges pour l’État que constituent cette abrogation.
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proposition de loi
Article 1er
La loi n° 2024‑450 du 21 mai 2024 relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire est abrogée.
Article 2
La section 6 du chapitre Ier du titre IV du livre Ier du code de l’énergie est abrogée.
Article 3
Le troisième alinéa de l’article L. 592‑2 du code de l’environnement est ainsi rédigé :
« Parmi les membres désignés par le Président de la République, l’écart entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes ne peut être supérieur à un. Pour le renouvellement des autres membres, le membre succédant à une femme est un homme et celui succédant à un homme est une femme. »
Article 4
La deuxième colonne de la dix‑neuvième ligne du tableau annexé à la loi n° 2010‑838 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution est ainsi rédigée : « Commission compétente en matière d’énergie ».
Article 5
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.