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N° 386
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2024.
PROPOSITION DE LOI
d’expérimentation vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Charles FOURNIER, Mme Marie POCHON, M. Boris TAVERNIER, Mme Clémentine AUTAIN, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Mathilde HIGNET, Mme Chantal JOURDAN, Mme Karine LEBON, M. Gérard LESEUL, Mme Manon MEUNIER, M. Marcellin NADEAU, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Delphine BATHO, Mme Béatrice BELLAY, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Aymeric CARON, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Alexis CORBIÈRE, M. Pierrick COURBON, M. Hendrik DAVI, M. Peio DUFAU, M. Emmanuel DUPLESSY, Mme Karen ERODI, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, Mme Céline HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Claudia ROUAUX, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Sandrine RUNEL, Mme Isabelle SANTIAGO, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le monde n’a jamais produit autant de denrées alimentaires, et malgré cette course au productivisme, en France, un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Un tiers de la population mondiale n’a pas les moyens d’avoir une alimentation saine, et la France n’est pas épargnée : 37 % des personnes se déclarent en situation de précarité alimentaire. En milieu rural, 55 % de la population affirme avoir déjà renoncé à acheter des produits alimentaires, faute de moyens. La France, du champ à l’assiette, a faim.
De multiples raisons expliquent cette situation critique : hausse du coût des matières premières liée à notre dépendance aux matières premières ukrainiennes et russes, importations d’aliments produits à bas coût fragilisant les producteurs, mainmise de la grande distribution sur le marché et les prix, production agricole qui nourrit les animaux plus que les humains ([1]), offre alimentaire orientée vers les produits ultra transformés et la malbouffe, surproduction et donc gaspillage alimentaire ([2])…
Le système agricole et alimentaire est à bout de souffle. Il ne permet ni de nourrir les agriculteurs, ni l’ensemble des Hommes. Face à cela, les politiques publiques n’assurent ni la soutenabilité du système agricole, ni l’accès à une alimentation saine et de qualité pour toutes et tous.
L’AIDE ALIMENTAIRE NE PEUT RÉPONDRE SEULE À LA PRÉCARITÉ ALIMENTAIRE
Le droit à l’alimentation est un droit fondamental qui figure dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (Article 25‑1) : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien‑être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, […] ». Il a été réaffirmé par l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) que la France a ratifié en 2015. De plus, l’article 230‑1 du code rural (loi n° 2010‑874 de modernisation de l’agriculture) précise que « La politique publique de l’alimentation vise à assurer à la population l’accès, dans des conditions économiques acceptables par tous, à une alimentation sûre diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité gustative et nutritionnelle, produite dans des conditions durables. Elle vise à offrir à chacun les conditions du choix de son alimentation en fonction de ses souhaits, de ses contraintes et de ses besoins nutritionnels, pour son bien‑être et sa santé ».
Dans l’attente que soit garanti par la Constitution française le droit fondamental à une alimentation pour toutes et tous suite à la proposition de loi constitutionnelle déposée par la sénatrice écologiste du Rhône, Raymonde Poncet Monge, les pouvoirs publics continuent de structurer l’organisation alimentaire autour de la dépendance à l’entraide. En France, plus de 8 millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire faute d’alternatives, dont 70 % sont des femmes. L’aide alimentaire en France est indispensable en cela qu’elle répond à un enjeu de santé publique, en permettant aux personnes en situation de précarité de subvenir au besoin vital de se nourrir correctement. Le travail et l’expertise des associations qui portent les dispositifs alimentaires sont incontournables.
Néanmoins, la logique de l’aide alimentaire ne peut être la seule réponse à la précarité alimentaire. Les associations disposent de moyens financiers insuffisants pour assurer pleinement leurs missions qui reposent intégralement sur l’engagement associatif. D’autre part, une personne sur deux en précarité alimentaire n’y a pas recours ; s’adresser aux associations ou aux banques alimentaires pouvant constituer un objet de réticence pour les personnes bénéficiaires qui sont réduites à une forme de dépendance.
Les politiques agricoles et alimentaires conduites ces dernières décennies n’ont paradoxalement pas permis de réduire le recours à l’aide alimentaire. Tandis que par leurs actions les associations de l’aide alimentaire ont continué à lutter contre la précarité et le gaspillage alimentaire, les lois promulguées, telles que la loi d’Orientation agricole de 2010, n’ont pas permis de diminuer le taux des quantités gaspillées ; l’aide alimentaire permettant malgré elle d’absorber et valoriser la surproduction par le biais de mécanismes de défiscalisation. Alors que la France est toujours la septième puissance économique mondiale ainsi que la première puissance agricole européenne, et que la richesse moyenne par habitant a crû de 15,7 % depuis 2012, le recours à l’aide alimentaire a triplé entre 2012 et 2022. Que nous soyons dépendants à cette aide alimentaire révèle d’autant plus les failles de notre système agricole et alimentaire.
Bien que l’augmentation du pouvoir d’achat nous semble indispensable, elle ne peut pas être l’unique solution envisagée pour donner accès à une alimentation saine et de qualité. D’une part, l’alimentation est toujours une dépense « d’ajustement » pour les personnes en situation de précarité : selon les études, malgré une hausse du pouvoir d’achat, l’alimentation reste la variable d’ajustement pour gérer un budget grevé par des dépenses contraintes (logement, hausse des factures énergétiques, etc…). D’importantes inégalités persistent donc, et la consommation d’aliments issus de l’agriculture biologique ainsi que celle de fruits et légumes est plus importante chez les classes sociales les plus aisées. D’autre part, augmenter les revenus individuels circonscrit la question alimentaire à l’échelle individuelle au lieu d’en faire un débat collectif vers l’évolution de notre système alimentaire.
UNE LOI D’EXPÉRIMENTATION POUR PENSER LA DÉMOCRATISATION DU SYSTÈME ALIMENTAIRE
Cette proposition de loi d’expérimentation s’inscrit dans une recherche de transformation globale des filières. Elle constitue un levier pour la création de nouveaux droits sociaux en assurant conjointement l’accès de tous à une alimentation choisie et de qualité, la transition vers une agriculture respectueuse de l’environnement et le revenu des producteurs.
Elle s’articule également avec un ensemble de solutions portées par de nombreux acteurs en France qui explorent l’accès à l’alimentation, tels que l’initiative législative pour des « Territoires zéro faim » proposée par le député socialiste Guillaume Garot, ou encore les projets alimentaires territoriaux qui constituent des initiatives mêlant volonté conjointe de l’action publique et souhait citoyen de démocratisation de l’agriculture et de l’alimentation. Ces projets alimentaires territoriaux poursuivent, depuis leur introduction dans l’article L. 111‑2‑2 du code rural en 2014, l’objectif d’une alimentation durable et de proximité. Élaborés de manière collective à l’initiative des acteurs d’un territoire (collectivités, entreprises agricoles et agroalimentaires, artisans, citoyens, etc.), les projets alimentaires territoriaux rassemblent de manière volontaire les acteurs intéressés par la question de l’alimentation pour mettre en œuvre des solutions concrètes qui répondent aux problématiques locales. Il existe donc des dynamiques locales sur lesquelles s’appuyer pour construire un projet de société en réponse à la précarité alimentaire et la nécessité d’une production agricole protectrice de l’environnement et des personnes qui y travaillent.
Pour de nombreux spécialistes de l’alimentation, la réponse à la précarité alimentaire se trouve aussi dans le fait de donner « des droits pleins et entiers » aux personnes, notamment à travers l’instauration à terme d’une sécurité sociale de l’alimentation, potentielle nouvelle branche de la sécurité sociale. Cette dernière est une réflexion initiée en 2017 et portée par un collectif d’organisations regroupant citoyens et professionnels de l’agriculture, de l’alimentation et de l’éducation populaire (ISF‑Agrista, Réseau CIVAM, VRAC France, Réseau Salariat…)
Cette proposition de loi vise, à titre d’expérimentation pour une période de cinq ans, la mise en place et le financement de caisses alimentaires adoptant un fonctionnement préfigurant ce que pourrait être celui d’une sécurité sociale de l’alimentation. L’objectif est d’expérimenter un accès universel à une alimentation choisie par les citoyen.nes, qui rémunère les paysan.nes qui la produisent mais aussi l’ensemble des travailleurs des filières alimentaires, via un système de conventionnement. Elle s’inspire des caisses locales de santé précédant la création de la sécurité sociale de santé, ainsi que des principes d’accès universel et de contrôle démocratique des conditions de production du soin qu’elle a mis en place en 1945.
Cette proposition de loi d’expérimentation prévoit de fixer dans la loi les trois principes indispensables pour construire ce régime de démocratie alimentaire :
– le principe d’universalité pour garantir le droit pour toutes et tous d’accéder à une alimentation choisie, saine et de qualité, quels que soient nos moyens ;
– le principe de solidarité via un système de cotisation à travers des caisses locales dédiées ;
– le conventionnement démocratique qui donne la possibilité aux citoyens de décider en assemblées collectives des types de produits qu’ils souhaitent manger et du juste prix pour les producteurs.
Le travail pour garantir à tous une alimentation choisie, saine et de qualité et répondre en même temps aux enjeux agricoles et environnementaux gagne du terrain dans les territoires. Partout en France, des initiatives inspirées des principes de la sécurité sociale de l’alimentation se sont multipliées, à l’échelle locale ou départementale : Montpellier, Cadenet (Vaucluse), Saint‑Etienne, Dieulefit (Drôme), Paris, Lyon, la Gironde avec quatre territoires impliqués dont la ville de Bordeaux… Si ces expérimentations diffèrent par leur taille, leur degré d’avancement, le nombre de participants, le montant de la cotisation ; toutes appliquent à leur échelle un système de redistribution alimentaire inspiré de de la sécurité sociale de l’alimentation. En tout, ce sont près de trente expérimentations locales qui existent aujourd’hui et légitiment le travail vers une expérimentation plus large de la sécurité sociale de l’alimentation. Elles ne demandent qu’à être renforcées et disposer de moyens financiers et humains pour continuer d’expérimenter.
Sur le modèle de l’expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée (permise par la loi n° 2016‑231 du 29 février 2016), cette proposition de loi suggère d’étendre et de permettre à d’autres expérimentations locales inspirées des principes de la sécurité sociale de l’alimentation d’émerger. L’expérimentation engagée est fixée à cinq ans dans vingt territoires au plus.
L’expérimentation engagée est profondément novatrice :
– par son objectif : permettre un accès universel à une alimentation choisie par les citoyen·nes et qui rémunère les paysan.ne.s qui la produisent. L’enjeu est de sortir d’un modèle de consommation et de production reposant sur les seuls engagements individuels pour aller vers des choix collectifs autour de notre modèle alimentaire : la manière dont nous produisons notre alimentation et dont nous la consommons doit être définie collectivement. Cela permet d’assurer un revenu digne aux agriculteurs, en les extrayant de la logique des marchés et de la concurrence des filières pour avoir des prix fixes et justes.
– par sa méthode : le système de conventionnement décidé démocratiquement au sein d’un parlement alimentaire. Pour chaque expérimentation, un collectif composé au moins pour moitié de citoyens et de représentants de personnes morales se réunit sous la forme d’un parlement alimentaire pour élaborer via un processus démocratique (sur la base de « une personne, une voix ») et inclusif les critères du conventionnement. Sont notamment décidées les conditions d’éligibilité des produits et des magasins visant à soutenir le développement d’une agriculture locale, respectueuse de l’environnement. Nous pourrions imaginer que les produits issus de l’importation comme les bananes et les agrumes devraient respecter les exigences du commerce équitable pour être conventionnés, ou que les critères de production respectent les exigences environnementales comme l’absence d’organisme génétiquement modifié (OGM) ou de pesticides de synthèse et de bien‑être animal. Le parlement alimentaire définit également démocratiquement le montant de la cotisation des participants, dont ils s’acquittent aussi. Cette somme n’aurait pas comme vocation de couvrir la totalité des dépenses alimentaires (la moyenne des dépenses mensuelles par personne en France étant autour de 220 euros), mais bien de faciliter l’accès de l’ensemble de la population, surtout des plus précaires, à des produits sains et qualitatifs choisis collectivement. Pour les personnes précaires, la somme reversée permet d’assurer l’accès fondamental à des produits de qualité.
– par son financement : un financement tripartite entre l’État, les collectivités et les citoyens via la caisse de cotisation. La proposition de loi prévoit, pour chaque territoire d’expérimentation, une caisse primaire de cotisation abondée par les cotisations des personnes concernées par l’expérimentation, les collectivités territoriales dans lesquelles se réalise l’expérimentation locale, et par un fonds national d’expérimentation. En effet, ces projets locaux nécessitent de l’ingénierie humaine et des moyens financiers. La proposition porte, pour toute la durée de l’expérimentation, la création d’un fonds national chargé d’abonder les caisses et financé par l’État.
Les dépenses publiques pour l’expérimentation vers une sécurité sociale de l’alimentation doivent être pensées en comparaison des bénéfices en matière de santé publique qui en résulteront. Le rééquilibrage et la végétalisation des assiettes permis grâce à ce dispositif permettent la prévention des maladies liées à la malnutrition (obésité, diabètes, maladies cardiovasculaires, cancers), qu’elle soit issue de la surconsommation de produits, sucrés, gras carnés, ou ultra‑transformés. Cet accès à une alimentation saine permettra ainsi de réaliser d’importantes économies sur les frais de santé en limitant la survenance de maladies chroniques aux traitements onéreux. D’autre part, en affectant une part du pouvoir d’achat des citoyens à des produits issus de modes durables de production, la sécurité sociale de l’alimentation peut fournir aux agriculteurs une vision et des débouchés de plus long terme pour engager des changements structurels de leurs pratiques. Or, des exploitations agricoles adoptant des pratiques agroécologiques sont des exploitations qui n’auront pas à assumer le coût du changement climatique (diminution du rendement lié au manque d’eau, aux sécheresses, à la dégradation des sols…).
Un encadrement national doit par ailleurs être garanti pour assurer la bonne conduite de l’expérimentation. Il est proposé la création d’une association chargée de la gestion du fonds national d’expérimentation, d’habiliter les expérimentations, de les suivre et les évaluer. Lieu institutionnel de pilotage, cette association, administrée par un conseil d’administration dont la composition est définie par décret en Conseil d’État, endosse :
– un rôle d’arbitrage en habilitant les expérimentations locales sur la base d’un cahier des charges qu’il aura préalablement défini ;
– un rôle de garant en assurant la bonne conduite du projet et la gestion du fonds national d’expérimentation chargé d’abonder en partie les caisses d’alimentation ;
– un rôle de rapporteur en évaluant ces expérimentations, afin d’identifier des pistes d’amélioration sur la base des résultats de l’expérimentation.
La sécurité sociale de l’alimentation est un projet de société où l’alimentation et la production reprennent leur place politique centrale. Ce dispositif permettrait de répondre à de multiples enjeux, parmi lesquels :
– Rapprocher les producteurs des consommateurs ;
– Sortir de l’aide d’urgence pour aller vers un dispositif stable et égalitaire ;
– Faire discuter démocratiquement les enjeux des droits des paysans et ceux du droit à l’alimentation ;
– Faire vivre dignement les agriculteurs en leur permettant de sortir de la logique néolibérale du marché ;
– Valoriser une agriculture respectueuse de l’environnement, qui assure un revenu et des conditions de travail dignes ;
– Assurer la résilience du système agricole, en réduisant les dépendances vis‑à‑vis d’importations depuis l’étranger et en préservant ses capacités de production propre, notamment en augmentant sa résilience aux chocs climatiques ;
– Permettre aux citoyen.nes de se réapproprier leur alimentation de manière digne ;
– Sensibiliser à l’agriculture et l’alimentation biologique, aux productions et transformations locales et aux circuits courts au‑delà des classes sociales les plus aisées.
Avec ce projet, nous avons l’occasion de soutenir à la fois la dynamique de transition de l’agriculture vers des pratiques agro‑écologiques et des prix rémunérateurs pour les agriculteurs, tout en permettant l’accès à l’alimentation saine, durable et de qualité pour toutes et tous, afin de transformer le système alimentaire en une véritable démocratie alimentaire. Les associations d’aide alimentaire, les acteurs des projets alimentaires territoriaux et des conseils locaux de santé seraient des maillons essentiels de cette organisation. Les premières par leur connaissance du public en situation de précarité, leurs actions éducatives sur le plan budgétaire et culinaire, leur connaissance des produits ; qui sont des compétences utiles au lien social qui devra s’établir dans les assemblées collectives. Tous ces acteurs étant concernés par la nécessité de faire évoluer les comportements alimentaires.
L’article 1er de cette proposition de loi fixe les trois principes sur lesquels repose la sécurité sociale de l’alimentation et rappelle son double objectif de garantir une rémunération digne aux agriculteurs tout en démocratisant l’accès digne à une alimentation saine et de qualité pour tous.
L’article 2 vise à mettre en place un dispositif expérimental reposant sur les principes de la “sécurité sociale de l’alimentation” dont l’objectif est de permettre à toute personne cotisant à une caisse primaire pour l’alimentation locale d’être bénéficiaire d’un montant lui permettant d’acheter des produits alimentaires conventionnés auprès de professionnels volontaires. Cette expérimentation, d’une durée de cinq ans, est mise en place dans vingt territoires au plus à l’échelle de tout ou partie d’une ou de plusieurs collectivités.
Il est notamment prévu une évaluation de l’expérimentation au niveau de chaque territoire par un comité scientifique et citoyen afin d’analyser l’impact d’une telle mesure sur les publics et les territoires concernés et porter une réflexion vers l’élargissement du dispositif pour répondre aux enjeux sanitaires, de transition agricole et de précarité alimentaire.
L’article 3 porte sur le pilotage de l’expérimentation au niveau national. Il est proposé que l’État participe au financement du dispositif à travers un fonds national d’expérimentation. Cette structure est pilotée au niveau national par une association dont la composition du conseil d’administration est définie par décret en Conseil d’État et dont les membres doivent représenter l’ensemble des parties prenantes de la sécurité sociale de l’alimentation. Elle est chargée de l’habilitation des expérimentations locales selon un cahier des charges préalablement défini, ainsi que du suivi et de l’évaluation des expérimentations locales. Elle participe au financement des caisses primaires, en complément des cotisations des participants et du soutien financier des collectivités locales impliquées.
L’article 4 porte sur le pilotage et la gouvernance des expérimentations locales. Pour chaque expérimentation habilitée, le consortium d’acteurs auteur de la candidature organise l’élection d’un parlement alimentaire, composé au moins pour majorité de citoyens participant à l’expérimentation et de personnes morales. Ce parlement alimentaire est chargé de définir démocratiquement le montant des cotisations, les entités et produits conventionnés, ainsi que les publics visés, dans le respect de l’objectif d’adoption de régimes alimentaires sains, de qualité et équilibré. L’administration et la mise en œuvre de l’expérimentation sont assurées par un comité local d’animation dont les membres sont désignés parmi ceux du parlement alimentaire.
L’article 5 vise à gager les coûts de la proposition de loi.
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proposition de loi
Article 1er
Au sens de la présente loi, la « sécurité sociale de l’alimentation » s’entend d’un régime de démocratie et de solidarité alimentaire qui repose sur :
1° Un principe d’universalité, permettant de garantir le droit et l’accès de chaque personne à l’alimentation ;
2° Un principe de solidarité garanti par un mécanisme de contribution auprès d’une caisse primaire spécialisée ;
3° Un principe d’organisation démocratique, notamment pour attribuer le conventionnement des entités économiques et associatives auprès desquelles il est possible de s’approvisionner en produits alimentaires.
La sécurité sociale de l’alimentation vise à favoriser l’accès digne de tous les citoyens, sans le subordonner à une nécessaire condition de ressources, à une alimentation saine, qualitative et équilibrée, tout en soutenant des modèles agricoles rémunérateurs pour les producteurs, et protecteurs de l’environnement et des ressources naturelles. Elle prend en compte la réalité des écosystèmes locaux et les interdépendances des systèmes alimentaires à l’échelle planétaire.
Article 2
I. – À titre expérimental et pour une durée de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, l’État autorise la mise en œuvre de trente expérimentations limitées au plus à vingt territoires, couvrant chacun tout ou partie de la superficie d’une ou de plusieurs collectivités territoriales, établissements publics de coopération intercommunale ou groupes de collectivités territoriales volontaires, d’un dispositif local de soutien alimentaire dont le fonctionnement repose sur les principes de la sécurité sociale de l’alimentation au sens de l’article 1er de la présente loi.
Ce dispositif a vocation à permettre à toute personne cotisant à une caisse primaire pour l’alimentation de bénéficier d’une somme lui permettant d’acheter des produits alimentaires conventionnés auprès de professionnels volontaires.
Cette expérimentation est, pour les collectivités ou établissements concernés, complémentaire des politiques publiques conduites en faveur de l’accès à une alimentation saine et respectueuse de l’environnement, comme les projets alimentaires territoriaux mentionnés à l’article L. 111‑2‑2 du code rural et de la pêche maritime.
II. – Les expérimentations locales mentionnées au I contribuent à soutenir les travaux de recherche expérimentale conduits par les organismes de recherche pour l’agriculture, l’alimentation, l’environnement et la santé.
III. – Dans un délai de trente‑six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un comité scientifique et citoyen, dont la composition est fixée par décret, réalise au niveau de chaque territoire une évaluation de l’expérimentation réalisée. Cette évaluation s’attache notamment à identifier le coût des dispositifs mis en œuvre, les externalités positives constatées ainsi que leurs résultats au regard des enjeux sanitaires, de transition agricole et de précarité alimentaire identifiés sur ce territoire. Ces évaluations font l’objet d’un rapport d’ensemble remis au Parlement ainsi qu’aux ministres chargés de l’alimentation, de l’agriculture et de la solidarité, proposant les suites à leur donner.
Article 3
Un fonds national d’expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation est chargé de financer les caisses primaires pour l’alimentation mentionnées au II de l’article 4 de la présente loi, et de financer les moyens humains nécessaires à l’administration des activités confiées à l’association mentionnée ci‑après.
La gestion du fonds national d’expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation est confiée à une association relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Celle‑ci est administrée par un conseil d’administration, dont la composition est définie par décret en Conseil d’État, qui comprend au moins un représentant de chacune des catégories suivantes :
1° Associations et acteurs promouvant la sécurité sociale de l’alimentation en France ;
2° Associations distribuant de l’aide alimentaire ;
3° Associations représentant les collectivités territoriales et établissements participant aux expérimentations ;
4° Associations de protection des consommateurs ;
5° Associations de protection de la nature et de l’environnement ;
6° Associations et réseaux œuvrant en faveur du maintien et de l’accompagnement vers une agriculture paysanne ;
7° Organisations représentatives des entreprises de distribution alimentaire de proximité ;
8° Organismes et instituts de recherche scientifiques, agronomiques et alimentaires ;
9° Associations d’éducation populaire agréées ;
10° Organisations syndicales représentatives des salariés de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la distribution et de la restauration ;
11° Acteurs des projets alimentaires territoriaux ;
12° Acteurs des dispositifs de santé, tels que les contrats locaux de santé et conseils territoriaux de santé ;
13° Association fédérant les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale.
L’association chargée de la gestion du fonds national mentionné au premier alinéa lance au niveau national un appel à candidatures pour des expérimentations locales de sécurité sociale de l’alimentation mentionnées au I de l’article 2 de la présente loi, et, sur la base du cahier des charges qu’elle a préalablement établi, sélectionne les candidatures portées par des consortiums d’acteurs intégrant des citoyens et des associations du territoire. L’association veille à ce que sa sélection des expérimentations locales reflète la diversité des approches en matière de sécurité sociale de l’alimentation.
La liste des expérimentations sélectionnées dans le cadre du présent article est publiée par décret dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi. Lorsque le nombre maximal de territoires mentionné au I de l’article 2 de la présente loi a été atteint, des territoires supplémentaires peuvent être autorisés par décret, à titre dérogatoire et après avis de l’association chargée de la gestion du fonds national d’expérimentation vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation, à participer à cette expérimentation.
Le cahier des charges mentionné à l’avant‑dernier alinéa établit les critères généraux que les professionnels volontaires, auprès desquels les bénéficiaires des expérimentations locales de sécurité sociale de l’alimentation peuvent s’approvisionner en produits alimentaires, doivent respecter pour bénéficier du conventionnement mentionné à l’article 1er de la présente loi. Il fixe notamment des objectifs sanitaires, environnementaux et sociaux qui doivent être respectés au cours de la production, de la transformation, du transport et de la distribution de ces produits alimentaires.
Article 4
I. – 1° Pour chaque expérimentation locale mentionnée au I de l’article 2 de la présente loi, le consortium d’acteurs auteur de la candidature organise la constitution d’un parlement alimentaire. Il est composé au moins pour moitié de citoyens cotisant à la caisse primaire de pour l’alimentation telle que définie au II du présent article, et tirés au sort sur le territoire de l’expérimentation où ils résident.
Sont également représentés au sein de ce parlement alimentaire, sur la base de leur volontariat, des personnes morales :
a) Les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale ou des groupes de collectivités territoriales participant à l’expérimentation ;
b) Les centres communaux d’action sociale et les centres intercommunaux d’action sociale ;
c) Les associations de protection des consommateurs ;
d) Les associations de protection de l’environnement, de solidarité alimentaire et d’éducation populaire intervenants sur le territoire ;
e) Les acteurs économiques locaux de l’agriculture et de l’alimentation engagés dans l’expérimentation.
2° Les membres du parlement alimentaire sont désignés pour trois ans selon des modalités garantissant la parité entre femmes et hommes ; le renouvellement des membres s’effectuant par tiers chaque année.
3° Le parlement alimentaire est chargé de définir les orientations de l’expérimentation et du conventionnement, selon le principe d’une voix pour chaque personne physique et morale. Il détermine démocratiquement le public cible des participants à l’expérimentation locale de la sécurité sociale de l’alimentation. Après concertation des participants sur les entités pouvant faire l’objet d’un conventionnement, il choisit les entités et produits conventionnés selon les dispositions mentionnées au III du présent article.
II. – La couverture des dépenses afférentes à la mise en œuvre de chaque expérimentation locale donne lieu à la création d’une caisse primaire de cotisation pour l’alimentation, administrée par un comité local d’animation.
Les ressources mentionnées au premier alinéa sont constituées par :
1° Les cotisations des personnes participant à l’expérimentation locale ;
2° Un abondement des collectivités territoriales dans lesquelles se réalise cette expérimentation ;
3° Les contributions versées par le fonds national d’expérimentation, mentionné à l’article 3 de la présente loi.
Chaque parlement alimentaire définit les modalités de cotisation des participants de l’expérimentation locale à cette caisse primaire.
Chaque caisse primaire de cotisation pour l’alimentation verse mensuellement, à chaque participant ayant cotisé à l’expérimentation, une allocation dont le montant est fixé par le parlement alimentaire, destinée spécifiquement à l’achat de produits alimentaires conventionnés.
III. – Les membres du comité local d’animation sont désignés parmi les membres du parlement alimentaire selon des modalités librement fixées par celui‑ci.
Chaque comité local d’animation appuie le parlement alimentaire pour la mise en œuvre des grandes orientations telles que définies au I du présent article.
Le comité local d’animation, signe, pour toute la durée de l’expérimentation, une convention avec les entités économiques et associatives volontaires auprès desquelles les participants à l’expérimentation locale peuvent dépenser le montant perçu chaque mois à cet effet.
Cette convention détermine les conditions que les entités économiques et associatives s’engagent à respecter pour participer à l’expérimentation locale, notamment dans les domaines du soutien au développement d’une agriculture locale, saine et respectueuse de l’environnement, et qui rémunère justement les producteurs.
Chaque comité local anime le processus de construction de la connaissance de cause alimentaire et d’appropriation mutuelle des enjeux du système alimentaire.
IV. – Les modalités de mise en œuvre du présent article sont définies par décret en Conseil d’État. Il précise également les moyens mis à disposition des citoyens membres du parlement alimentaire afin de faciliter leur participation quand ceux‑ci exercent une activité professionnelle ou de formation.
Article 5
I. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée, à due concurrence, par la majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement, et corrélativement pour l’État par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
([1]) 71% des terres agricoles en Europe sont destinées à nourrir les animaux.
([2]) 10 millions de tonnes de produits par an sont gaspillées en France.