N° 411
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à sécuriser les droits des personnes qui se prostituent pour garantir un exercice plus sûr,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Philippe JUVIN, Mme Josiane CORNELOUP, Mme Virginie DUBY-MULLER, M. Nicolas RAY, Mme Delphine LINGEMANN, M. Laurent MAZAURY, M. Christophe NAEGELEN, M. Sébastien CHENU, M. José GONZALEZ, M. Alexis JOLLY,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, le législateur a opéré une évolution du cadre juridique de la prostitution. Elle rompt avec l’approche qui prévalait par le passé et renverse la charge pénale contre le client, cessant par là‑même de pénaliser les personnes qui exercent la prostitution. Dorénavant, les personnes qui se prostituent sont par essence des victimes ; il ne faut plus leur appliquer un cadre de répression, mais de protection. C’est à ce titre que la loi de 2016 abroge les délits de racolage mis en place en 2003.
Bien que l’esprit de la loi de 2016 soit de protéger les personnes qui exercent la prostitution, d’autres dispositions pénales les empêchent d’accéder à des droits fondamentaux et à la reconversion professionnelle.
Ces personnes sont particulièrement exposées à des violences telles que des insultes de rue, du harcèlement, des violences physiques, des violences sexuelles, des vols, des braquages avec arme dans les appartements pouvant aller jusqu’au meurtre. La loi du 13 avril 2016 introduit la notion de facteur aggravant aux violences commises à l’encontre des personnes qui se prostituent. Dans la continuité de ces travaux, il apparaît nécessaire de reconnaître les discriminations qui exposent les personnes prostituées à ces violences.
Les personnes qui se prostituent cumulent souvent plusieurs facteurs de vulnérabilité : un accès au logement difficile, une situation sociale et administrative souvent précaire, et des discriminations. La stigmatisation de leur activité freine leur accès aux soins et aux droits.
Dans ce contexte, la présente proposition de loi vise à faciliter le quotidien des personnes qui se prostituent pour garantir leur indépendance économique, leur accès aux droits sociaux et leur sécurité.
La stigmatisation empêche les personnes qui se prostituent d’accéder aux services bancaires et financiers. Ces restrictions apparaissent discriminatoires dans un pays où toutes les femmes ont le droit d’ouvrir un compte bancaire depuis la loi du 13 juillet 1965. Ces discriminations bancaires faites aux personnes qui se prostituent les placent de fait dans une situation de dépendance économique à des tiers pour bénéficier d’un droit pourtant universel.
C’est pourquoi l’article 1er de cette proposition de loi vise à reconnaître l’activité professionnelle parmi les critères de discriminations.
Ces discriminations sont directement alimentées par les lois concernant les parties tierces à l’exercice de la prostitution, celles‑ci étant en toutes circonstances assimilées à des proxénètes, même lorsque leur intervention permet d’assurer un accès aux droits fondamentaux ou à la sécurité.
En effet, définis à l’article 225‑5 du code pénal, est notamment considéré comme proxénétisme le fait « de tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ». Par ces termes, cet article pénalise toute forme de situation où quelqu’un perçoit de l’argent ou reçoit des dons d’une personne qui se prostitue. Il n’y ici aucune distinction entre les situations impliquant de la coercition ou non.
Cette rédaction recouvre un très grand nombre de situations qui paraîtraient anodines dans n’importe quel autre secteur professionnel, parmi lesquelles l’embauche d’un agent de sécurité, d’un chauffeur, d’un expert‑comptable, ou encore la location d’un appartement. Au‑delà de cette interdiction formelle, lorsque des personnes acceptent malgré tout de fournir des services en dépit de l’illégalité, elles pratiquent généralement des tarifs plus élevés ou offrent des conditions moins favorables dans un contexte de concurrence très réduite. Cela va à l’encontre de l’esprit de la loi qui vise à restreindre les risques d’exploitation des personnes se livrant à la prostitution.
C’est pourquoi, l’article 2 de la présente proposition de loi vise à modifier la définition de proxénétisme pour y adjoindre les notions de contrainte et de profit anormal. L’ajout du qualificatif « anormal » permet de cibler exclusivement les personnes qui exploitent les prostituées et d’exclure du cadre du proxénétisme les tierces parties impliquées dans les transactions commerciales, en tant que prestataire de services à l’instar d’un expert‑comptable, ou d’une banque. Le caractère anormal exclut également la situation d’une personne vivant en couple avec une personne qui se prostitue et finançant ensemble leur vie familiale avec les revenus tirés de la prostitution. L’objet de cet article est de différencier les situations de sincères collaborations avec un tiers des abus qui doivent être combattus.
Ce texte a également pour ambition de revenir sur la notion de « proxénétisme hôtelier » défini à l’article 225‑10 du code pénal dont les dispositions entravent le droit au logement des personnes qui se prostituent, notamment pour ceux qui travaillent depuis leur domicile, puisqu’il permet aux propriétaires d’expulser les personnes qui se prostituent sans préavis. Les propriétaires ou locataires qui tolèrent une activité de la prostitution dans leur logement peuvent être condamnés pour proxénétisme, qu’il y ait de la coercition, de l’exploitation ou non comme le démontrent les exemples parus ces dernières années dans la presse quotidienne régionale : le 19 octobre 2022, deux femmes de 45 ans et 25 ans ont été condamnées à 12 mois d’emprisonnement avec sursis pour proxénétisme aggravé pour avoir sous‑loué un appartement 600 euros la semaine à deux personnes prostituées ; en septembre de la même année, un homme de 65 ans a été condamné à un an de prison avec sursis pour proxénétisme pour avoir sous‑loué son appartement à une personne qui se prostitue. Quelques jours plus tôt encore, une femme de 81 ans avait été condamnée à 50 000 euros d’amende pour proxénétisme pour avoir logé des personnes qui se prostituent pendant plusieurs années dans ses appartements à Nantes… Dans chacun de ces cas, les personnes qui se prostituent n’étaient pas victimes de situation de traite ou d’exploitation. Mais le simple fait de louer ou sous‑louer un logement et d’y tolérer la prostitution est pénalisé comme une forme de proxénétisme et participent à l’isolement des personnes qui se prostituent.
Pour ces raisons, l’article 3 de ce texte réécrit l’article 225‑10 pour exclure les propriétaires privés des dispositions visant le proxénétisme et permettre ainsi aux personnes qui se prostituent d’exercer dans des locaux décents et dans des conditions non abusives.
Ces mesures doivent aboutir à briser l’isolement de personnes qui se prostituent, mais encore de leur permettre de faire appel à divers services tiers à même de garantir leur sécurité. Dans un contexte où au cours de l’été 2024, quatre prostituées ont été assassinées pendant l’exercice de leur activité dans leur appartement, il est nécessaire en tant que législateur d’agir pour leur sécurité et leur droit à la vie.
Cette proposition de loi s’inspire pour partie du modèle belge qui s’est montré efficace dans la lutte contre l’exploitation en ciblant plus spécifiquement les personnes qui exploitent les prostituées.
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proposition de loi
Article 1er
L’article 225-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « syndicales, », sont insérés les mots : « de leur activité professionnelle, » ;
2° Au second alinéa, après le mot : « syndicales, », sont insérés les mots : « de leur activité professionnelle ».
Article 2
Au 2° de l’article 225-5 du code pénal, le mot : « profit » est remplacé par les mots : « un avantage anormal, qu’il soit économique ou en nature, ».
Article 3
L’article 225-10 du code pénal est ainsi modifié :
1° Au 1°, le mot : « détenir, » est supprimé ;
2° Le 2° est ainsi modifié :
a) Au début, le mot : « Détenant, » est supprimé ;
b) Les mots : « , d'accepter ou de tolérer habituellement qu’ » sont remplacés par le mot : « où » ;
c) Les mots : « à l’intérieur de l’établissement ou de ses annexes » sont supprimés ;
3° Au 3°, les mots : « ou de tenir à la disposition d’une ou de plusieurs personnes » sont supprimés.