N° 449

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer l’autonomie des familles monoparentales et rendre leurs droits effectifs,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Aurore BERGÉ,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La composition des familles a profondément évolué et l’accompagnement de l’État doit s’adapter. Les familles monoparentales représentent aujourd’hui un quart des familles françaises. Les politiques publiques doivent en tenir compte.

Si des parents font le choix d’une garde alternée avec deux parents responsables et investis sur les besoins de leurs enfants – on ne peut alors pas parler de famille monoparentale – d’autres se retrouvent seuls à assumer la garde, l’éducation, le financement et la sécurité, du ou des enfants. C’est de cette situation dont l’État doit se saisir aujourd’hui.

Les récents rapports réalisés sur le sujet démontrent que 82 % de ces familles ont une mère à leur tête. Le rapport de la caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) de juillet 2023 intitulé « Les familles monoparentales. Conditions de vie, vécu et action publique » met en évidence que ces familles font face à un cumul sous‑estimé d’inégalités et de difficultés : inégalités de genre, niveau de vie inférieur, privations matérielles et sociales, difficultés d’emploi, de logement, de mode de garde, etc. A l’heure où le défi de l’égalité entre les femmes et les hommes est une priorité de notre société, répondre aux enjeux de la monoparentalité est un sujet d’égalité des droits.

Loin de l’idée de « financer » ou « compenser » la monoparentalité, l’enjeu est au contraire de mettre en place des droits, ou de les rendre plus effectifs, afin de permettre aux familles monoparentales d’être pleinement autonomes, de s’émanciper et de donner à tous les enfants les mêmes chances d’émancipation au sein de notre pays. Or ces familles cumulent les difficultés sociales qui les conduisent régulièrement à une grande précarité. Selon une étude de l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les mères isolées sont davantage au chômage que les mères vivant en couple et elles subissent presque deux fois plus le temps partiel. Aujourd’hui, 41 % des enfants issus de familles monoparentales vivent en dessous du seuil de pauvreté.

S’il arrive de se séparer de son conjoint, on ne se sépare pas de ses enfants. On en reste parent toute sa vie. Subvenir à leurs besoins, quel que soit le mode de garde retenu, reste de la responsabilité des deux parents.

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Des premières avancées ont récemment vu le jour, notamment avec la mise en place de l’intermédiation financière des pensions alimentaires pour tous les parents séparés qui le souhaitent en 2021. Ce service, géré par l’agence de recouvrement et d’intermédiation des pensions alimentaires (ARIPA), permet de rendre effectif le versement de la contribution à l’éducation et à l’entretien de l’enfant (CEEE). Ce dispositif est devenu automatique depuis le 1er janvier 2023.

Ce service d’intermédiation a été inspiré par le modèle québécois comme le souligne les sénatrices Mmes Colombe Brossel et Béatrice Gosselin dans leur rapport . En effet, leur modèle combine intermédiation financière et prélèvement à la source, ce qui lui permet d’atteindre un taux de versement des pensions alimentaires de 96 % au Québec – contre un taux de 75 % en France . Il semble donc aujourd’hui nécessaire de poursuivre les travaux engagés en basculant sur un prélèvement à la source de la CEEE, ce que prévoit l’article 1 de cette proposition de loi.

Notre responsabilité est aussi de soutenir ces familles lorsqu’elles en ont besoin, pour que chaque enfant ait les mêmes chances. Or, si des dispositifs de soutien existent déjà, le taux de non‑recours vient en limiter les effets.

C’est notamment le cas de l’allocation de soutien familial (ASF) qui, à la différence de l’intermédiation financière des pensions alimentaires, doit encore faire l’objet d’une demande de la part du parent créancier. Le taux de non‑recours de cette allocation, visant pourtant à pallier l’absence d’un parent ou sa défaillance, concernerait a minima 15 % des familles monoparentales. Lors de son audition par le Sénat, Mme Hélène Périvier, économiste à l’OFCE et présidente du Conseil de la famille du HCFEA, a estimé que le taux de non‑recours à l’ASF était probablement élevé, en particulier s’agissant de l’ASF complémentaire, versée lorsque la pension est faible. En conséquence, l’article 2 de cette proposition de loi prévoit l’automaticité du versement de l’ASF complémentaire en cas de pension alimentaire dont le montant est inférieur à celui de l’ASF.

Concernant la problématique du non‑recours, fléau de l’efficacité de nos politiques publiques, les CAF ont mis en place un dispositif « parcours de séparation » permettant d’accompagner les familles monoparentales dans leur nouvelle vie et actionner tous les leviers possibles. Au regard de l’impact matériel, social, financier, affectif d’une séparation, la promotion de ce parcours doit être renforcée. L’auteur de cette proposition de loi propose donc au Gouvernement de prévoir une mention de ce dernier sur tous les papiers administratifs concernant les familles (naissance, inscription à l’école etc).

Par ailleurs, le fonctionnement de l’ASF est aujourd’hui discuté car la remise en couple du parent bénéficiaire conduit à sa suppression. Or dans le cas du versement effectif d’une pension, la remise en couple ne supprime pas l’obligation du parent non gardien et son obligation de subvenir aux besoins de l’enfant. La suppression de l’ASF lors de la remise en couple vient donc replacer le parent gardien dans une nouvelle situation de dépendance économique vis‑à‑vis de son nouveau conjoint. Les risques engendrés par cette suppression doivent être écartés. C’est pourquoi, l’article 3 de cette proposition de loi prévoit de déconjugaliser l’allocation de soutien familial.

Soutenir ces familles, c’est aussi les reconnaître pour pouvoir ensuite répondre à leurs besoins particuliers. De la même manière que la société tient compte de la charge que représente une famille nombreuse, il est essentiel de reconnaître également celle des familles monoparentales. Sur le modèle de la carte Famille nombreuse, une carte « Famille Solo » permettrait de mettre en place des offres adaptées pour ces familles et de poursuivre les réflexions engagées par la députée Mme Fanta Berete et le sénateur M. Xavier Iacovelli lors de leur mission parlementaire. Au‑delà de l’aspect économique, c’est aussi un enjeu de reconnaissance sociale pour ces familles encore trop souvent stigmatisées. Par ailleurs, il s’agit d’une demande des entreprises et des collectivités territoriales qui souhaitent mettre en place des avancées sociales pour leurs salariés et habitants. La mise en place d’une carte « Famille Solo » permettrait de disposer d’une assise, d’une base d’identification des parents souhaitant prétendre à ces avancées, sans prendre le risque de poser des questions pouvant être qualifiées de discriminantes, notamment pour les employeurs. Concernant les services publics accueillant des enfants, comme l’accueil périscolaire ou la cantine, un tarif « Famille Solo » pourra dès lors être déployé plus facilement par les collectivités territoriales. C’est en ce sens que l’article 4 de cette proposition de loi prévoit de créer cette carte « Famille solo ».

Enfin, une prise en compte plus juste des pensions alimentaires dans le système sociofiscal doit être envisagée. En effet, la pension alimentaire reçue par le parent gardien est aujourd’hui fiscalisée car considérée comme un revenu alors qu’il s’agit d’une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Cependant, comme le souligne le rapport d’information de la délégation aux droits des femmes du Sénat, afin de ne pas peser sur les finances publiques ni de créer une distorsion entre contribuables, défiscaliser tout ou partie de la pension alimentaire reçue devrait s’accompagner d’une suppression de l’abattement sur l’impôt sur le revenu dont bénéficie le parent débiteur. Or, lors de précédents débats parlementaires à l’occasion de la proposition de loi relative à la charge fiscale de la pension alimentaire de la députée Mme Aude Luquet, plusieurs inquiétudes ont émergé, notamment concernant la pénalisation de parent ayant de bas revenus. Une telle réforme pourrait donc aboutir à des effets ambivalents, à la fois pour les parents concernés et pour les finances publiques, ce qui exige, comme le souligne le rapport sénatorial, la mise en place rapide d’une évaluation, par les pouvoirs publics, plus poussée et accompagnée de microsimulations. Cette évaluation devra aussi porter sur la prise en compte de la pension alimentaire dans le système social, à savoir les bases ressources des prestations familiales et sociales, qui interroge également. C’est à ce titre que l’article 5 de cette proposition de loi demande au Gouvernement de procéder à l’évaluation de la prise en compte des pensions alimentaires dans le système sociofiscal et de présenter les différents scénarios envisageables pour trouver la solution la plus juste.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article 373‑2‑2 du code civil est complété par un V ainsi rédigé :

« V. – La pension alimentaire prévue au présent article peut donner lieu à l’application d’une retenue à la source pour le parent débiteur, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. »

Article 2

I. – Après la première phrase du 4° du I de l’article L. 523‑1 du code de la sécurité sociale, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Cette allocation de soutien familial différenciée est versée automatiquement, sans que le parent créancier doive en faire la demande. »

II. – Le Gouvernement remet au Parlement un rapport visant à étendre l’automaticité du versement de l’allocation de soutien familial dans toutes les situations mentionnées au I de l’article L. 523‑1 du code de la sécurité sociale.

Article 3

Le second alinéa de l’article L. 523‑2 du code de la sécurité sociale est supprimé.

Article 4

Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :

1° Le chapitre II du titre Ier du livre Ier est complété par un article L. 112‑6 ainsi rédigé :

« Art. L. 1126. – Est considéré comme un parent isolé une personne veuve, divorcée, séparée ou célibataire assumant la charge d’un ou de plusieurs enfants, ou une femme seule en état de grossesse ayant effectué la déclaration de grossesse et les examens prénataux, qui ne vit pas en couple de manière notoire et permanente et qui ne partage pas ses ressources et ses charges avec un conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité. Lorsque l’un des membres du couple réside à l’étranger, n’est pas considéré comme isolé celui qui réside en France.

« Le statut de parent isolé est apprécié au 31 décembre de chaque année. » ;

2° La section 5 du chapitre III du titre VI du livre II du code de l’action sociale et des familles est ainsi rétablie :

« Section 5

« Carte « famille solo

« Art. L. 26318. – Une carte « famille solo » est délivrée chaque année gratuitement à la personne isolée au sens de l’article L. 112‑6. Elle ouvre droit à des aides, notamment financières et humaines, accordées par des organismes publics ou privés.

« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. Ce dernier précise notamment la liste des aides que le titulaire de la carte pourrait obtenir auprès des organismes publics et la procédure de labélisation des initiatives des partenaires privés. »

Article 5

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant la prise en compte fiscale et sociale de la pension alimentaire pour le parent débiteur et pour le parent créancier. Ce rapport précise également le détail des scénarios de réforme envisagée et les conséquences sur les revenus des parents et sur les finances publiques.

Article 6

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre 1er du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre 1er du livre III du code des impositions sur les biens et services.

III. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.