N° 452
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2024.
PROPOSITION DE LOI
tendant à lutter contre la surcharge pondérale par la diminution des taux de sucres ajoutés dans les boissons sucrées et les produits ultra-transformés,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Cyrille ISAAC-SIBILLE,
député.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La surcharge pondérale est une épidémie silencieuse qui sévit et progresse rapidement. Aujourd’hui, un Français sur deux est en situation de surpoids ou d’obésité. En seulement un quart de siècle, la prévalence de l’obésité chez les jeunes adultes a été multipliée par quatre. Le déséquilibre alimentaire, marqué par une consommation excessive de calories et une dépense énergétique insuffisante, demeure l’une des principales causes de cette crise de santé publique.
Le coupable ? Le sucre, omniprésent dans nos chariots de courses. Il se dissimule dans nos boissons, s’invite dans nos carottes râpées, dans nos soupes, et même dans les « petits pots » de légumes destinés à nos plus jeunes concitoyens. Les industriels n’hésitent pas à l’intégrer dans la majorité des aliments ultra‑transformés, aliments qui prennent une place de plus en plus importante dans notre alimentation. Une récente étude de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) alerte sur les dangers de cette alimentation ultra‑transformée, souvent de moins bonne qualité nutritionnelle que les aliments bruts et qui représente 30 à 35 % des calories consommées par les adultes.
L’excédent de graisse corporelle constitue un risque majeur pour la santé, étant lié à une vingtaine de pathologies évitables, notamment des maladies cardiovasculaires, métaboliques, articulaires, respiratoires, et à certains cancers. En outre, il engendre des répercussions néfastes sur le plan psychologique et social, favorisant la dépression, l’isolement, le mal‑être. Plus de quatre millions de décès par an peuvent être imputés au surpoids et à l’obésité, dont plus d’un million en Europe.
Les plus jeunes sont particulièrement vulnérables, comme en témoigne l’exemple des « bébés Coca », ces enfants de moins de six ans aux dents de lait noires, rongées par le sucre. Les inégalités sociales jouent également un rôle prépondérant.
Pour enrayer cette épidémie, il est impératif de renforcer la culture en santé dès le plus jeune âge, pour permettre à chacun d’acquérir de bons comportements en santé. Toutefois, changer des comportements enracinés depuis l’enfance s’avère être une tâche ardue. C’est pourquoi, il est tout aussi essentiel de transformer nos environnements.
Actuellement, trois facteurs déterminent majoritairement notre santé : le tabac, l’alcool et le sucre. Au‑delà du coût humain que la surcharge pondérale fait supporter aux patients, elle entraîne un coût économique et financier conséquent pour la société, au même niveau que celui de la consommation de tabac ou d’alcool, s’élevant à plus de 100 milliards d’euros par an.
L’une des clés pour modifier nos environnements est d’inciter les industriels à réduire la quantité de sucre qu’ils ajoutent à leurs produits, tout en encourageant les ménages à consommer des produits de meilleure qualité nutritionnelle.
La fiscalité comportementale est un outil reconnu par l’Organisation Mondiale de la Santé pour améliorer l’offre alimentaire et promouvoir de meilleurs choix nutritionnels. Plusieurs pays ont déjà instauré des taxes comportementales, tels que la Hongrie, qui a mis en place une taxe forfaitaire sur les produits riches en sucre et en sel, ou encore le Mexique, avec une taxe sur les produits alimentaires excédent 275 kilocalories pour 100 grammes.
En France, la « taxe soda » a été instaurée en 2012, avec pour objectif d’encourager la réduction de la consommation de ces boissons non alcoolisées contenant des sucres ajoutés. Toutefois, son impact demeure limité : le prix d’une canette de 33 centilitres n’a augmenté que de 5 centimes d’euro, n’ayant entraîné que peu de reformulation des produits de la part des industriels et qu’une réduction des achats de 3 à 4 litres par an par personne, ce qui équivaut à moins d’un gramme de sucre par jour par personne. Or cette consommation de boissons sucrées a fortement augmenté depuis les années 1960, atteignant 50,9 litres de soda par an et par personne en 2019, exposant ainsi les consommateurs à un risque accru de stéatose hépatique non alcoolique, communément appelée la « maladie du soda » ou du « foie gras ».
Le principal problème de cette taxe réside dans ses multiples paliers de taxation, au nombre de seize. Cette même taxe appliquée au Royaume‑Uni, qui affiche des taux d’accises plus élevés et seulement trois paliers, a contribué à réduire la proportion de boissons dépassant le premier seuil de 5 grammes pour 100 millilitres de 40 %, avec une diminution estimée de 30 grammes de sucre par ménage et par semaine. Cela représente un impact quatre fois supérieur à celui de la taxe française.
Un rapport parlementaire des députés Cyrille Isaac‑Sibille et Thierry Frappé appelle à une réforme de la « taxe soda », en instaurant une discontinuité abrupte et en augmentant les taux d’accises, sur le modèle de la taxe britannique.
Outre les boissons sucrées, aucune autre incitation fiscale n’existe actuellement pour les produits ultra‑transformés, bien que leur teneur en sucre puisse être préoccupante. D’après la classification Nova, élaborée en 2010 par des universitaires brésiliens et devenue une référence dans la communauté scientifique, sont entendus comme « produits ultra‑transformés » les produits « ayant subi d’importants procédés de transformation ou dont la formulation contient des additifs non nécessaires à la sécurité sanitaire du produit (colorants, émulsifiants, édulcorants, etc.) ou des substances industrielles (huiles, hydrogénées, amidons modifiés, maltodextrine, protéines hydrolysées, etc.) pour imiter ou améliorer les qualités sensorielles des aliments (sodas, soupes déshydratées, produits carnés reconstitués, etc.) ».
Aujourd’hui, de nombreux professionnels de santé, parlementaires et membres de la Cour des comptes, appellent de leurs vœux la création d’une taxe sur le sucre ajouté dans l’ensemble des produits ultra‑transformés afin de lutter contre la surcharge pondérale et la dépendance au sucre.
À l’automne dernier, lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024, deux amendements présentés par le groupe Démocrate portant la réforme de la taxe soda et la création d’une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits ultra‑transformés ont été adoptés à l’Assemblée nationale et au Sénat. Le Parlement s’est donc prononcé en faveur de ces deux mesures, qui n’ont malheureusement pas été retenues dans le projet de loi par la suite.
L’objet de cette proposition de loi est donc de poursuivre ces travaux.
Ainsi :
L’article 1er vise à réformer la taxe sur les boissons sucrées en passant à trois tranches et en augmentant les taux d’accise, sur le même modèle que la taxe britannique.
L’article 2 propose d’instaurer une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits alimentaires ultra‑transformés destinés à la consommation humaine en excluant les boissons sucrées, déjà frappées d’une taxe comportementale.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
L’article 1613 ter du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le tableau du onzième alinéa est ainsi rédigé :
« |
Quantité de sucre (en kg de sucres ajoutés par hl de boisson) |
Tarif applicable (en euros par hl de boisson) |
|
|
Inférieur à 5 |
0 |
|
|
Entre 5 et 8 |
21,00 |
|
|
Au‑delà de 8 |
28,00 |
» ; |
2° Le douzième alinéa est supprimé ;
3° La deuxième phrase du treizième alinéa est supprimée.
Article 2
Après l’article 1613 quater du code général des impôts, il est inséré un article 1613 quater A ainsi rédigé :
« Art. 1613 quater A. – I. – Il est institué une contribution perçue sur les produits alimentaires transformés destinés à la consommation humaine contenant des sucres ajoutés.
« II. – La contribution est due par la personne qui réalise la première livraison des produits mentionnés au I, à titre gratuit ou onéreux, en France, en dehors des collectivités régies par l’article 74 de la Constitution, de la Nouvelle‑Calédonie, des Terres australes et antarctiques françaises et de l’Île de Clipperton, à raison de cette première livraison.
« Est assimilée à une livraison la consommation de ces produits dans le cadre d’une activité économique. La contribution est exigible lors de cette livraison.
« III. – Le tarif de la contribution mentionnée au I est le suivant :
« |
Quantité de sucre (en kg de sucres ajoutés par hl de boisson) |
Tarif applicable (en euros par hl de boisson) |
|
|
Inférieur à 5 |
0 |
|
|
Entre 5 et 8 |
21,00 |
|
|
Au‑delà de 8 |
28,00 |
» ; |
« Pour le calcul de la quantité en kilogrammes de sucres ajoutés, celle‑ci est arrondie à l’entier le plus proche. La fraction de sucre ajouté égale à 0,5 est comptée pour 1.
« Les tarifs mentionnés dans le tableau du deuxième alinéa et au troisième alinéa du présent II sont relevés au 1er janvier de chaque année, à compter du 1er janvier 2025, dans une proportion égale au taux de croissance de l’indice des prix à la consommation hors tabac de l’avant‑dernière année.
« Ces montants sont exprimés avec deux chiffres après la virgule, le deuxième chiffre étant augmenté d’une unité si le chiffre suivant est égal ou supérieur à cinq.
« IV. – La contribution ne s’applique pas aux boissons et préparations liquides pour boissons « faisant l’objet » de la contribution définie à l’article L. 1613 ter.
« V. – La contribution est établie et recouvrée selon les modalités, ainsi que sous les sûretés, garanties et sanctions applicables aux taxes sur le chiffre d’affaires. »
« VI. – Le produit de cette taxe est affecté au fonds mentionné à l’article L. 135‑1 du code de la sécurité sociale. »