N° 455
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à instaurer un moratoire sur les projets d’infrastructures routières et autoroutières,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Christine ARRIGHI, Mme Marie POCHON, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Emmanuel DUPLESSY, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Steevy GUSTAVE, M. Jérémie IORDANOFF, M. Tristan LAHAIS, Mme Julie OZENNE, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas THIERRY, Mme Catherine HERVIEU,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La France, comme de nombreux autres pays, est confrontée à des défis environnementaux sans précédent, notamment en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité. Les infrastructures de transport, en particulier les autoroutes, contribuent significativement aux émissions de gaz à effet de serre et à la fragmentation des écosystèmes naturels.
Le dérèglement climatique est là et ses effets sur les écosystèmes, la santé des êtres humains, les infrastructures et les activités économiques commencent à se faire sentir. Le pire est pourtant devant nous et, avec les politiques climatiques mises en œuvre actuellement dans le monde, le réchauffement en France pourrait atteindre +4° Celsius d’ici la fin du siècle ([1]).
À la crise climatique s’ajoute celle de l’effondrement de la biodiversité. Selon l’Office français de la biodiversité, le taux d’extinction des espèces est aujourd’hui extrêmement plus élevé que le rythme naturel. 800 millions d’oiseaux ont disparu en 40 ans en Europe, soit un effondrement de 25 % des populations et 60 % pour les espèces des milieux agricoles ([2]).
Notre pays dispose déjà de l’un des réseaux routiers les plus importants d’Europe. Le secteur des transports est le premier émetteur de gaz à effet de serre dans le pays avec 32 % des émissions totales[3]. Le transport routier cause 95 % des émissions du secteur, dont 52 % provenant de la circulation des véhicules particuliers ([4]).
Ce maillage, extrêmement dense, a des avantages : la possibilité pour quiconque possède une voiture et peut assumer ses coûts de se déplacer partout, aisément. Il a aussi des inconvénients : un coût financier public évalué à environ 14,6 milliards d’euros en 2018 ([5]), sanitaire – que ce soit en termes d’accidentologie que de maladies et de mortalité avancée du fait de la pollution de l’air (47 000 morts en moyenne par an) ([6]), environnemental – tant d’un point de vue des émissions de CO2 que de l’artificialisation des sols – des conséquences en matière de renoncement aux déplacements (notamment pour ceux qui n’ont pas les moyens d’avoir une voiture, les 10 à 15 % de personnes qui n’ont pas le permis, celles qui n’ont pas les moyens d’une assurance ou des prix du carburant). 15 millions de Français de plus de 18 ans sont en situation de précarité de mobilité.
La conséquence : le droit à la mobilité, pourtant consacré dans la loi d’orientation des mobilités, et codifié aux articles L. 1111‑1 et L. 1111‑4 du code des transports n’est pas respecté, et selon le dernier baromètre des mobilités, plus de 38 % des personnes déclarent régulièrement renoncer à des déplacements faute de moyens pour s’y rendre. L’accaparement des moyens et de l’espace par le système automobile a par ailleurs des conséquences en matière de capacités de financements de systèmes alternatifs combinant ferroviaire, transports collectifs et mobilités actives (vélo et marche) qui sont plus à même de garantir l’égalité dans l’accès à la mobilité. Au‑delà de ces impacts aggravants pour les inégalités d’accès à la mobilité, la question environnementale et climatique est centrale concernant ces projets routiers.
Pour que nous puissions atteindre nos objectifs climatiques et notamment celui du zéro émission nette en 2050 fixé par la loi Climat et Résilience ([7]), les émissions liées au secteur des transports doivent diminuer de 29 % entre 2022 et 2030, ce qui correspond approximativement à une baisse de 4 % chaque année.
Les projets autoroutiers actuels, qui trouvent leur genèse dans des modèles de mobilité datant de vingt à trente ans, sont souvent en contradiction avec les objectifs fixés par la loi n° 2019‑1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, qui vise à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Le développement de nouveaux projets est par ailleurs susceptible de porter atteinte aux dispositions du code de l’environnement, notamment les articles L. 110‑1 et L. 110‑2, qui encadrent la protection de la biodiversité et la gestion durable des ressources naturelles. Ils entraînent souvent des destructions irréversibles de terres agricoles, de forêts, et d’espaces naturels, menaçant ainsi la biodiversité et la qualité de vie des populations locales.
L’électrification du parc automobile bien que participant à la réduction des émissions, ne saurait être la seule réponse pour la décarbonation du secteur des transports. Les près de 40 millions de véhicules du parc automobile français ne pourront pas être remplacés en intégralité par des véhicules électriques dans la mesure où les ressources manqueront et où un parc automobile entièrement électrifié induirait des conflits d’usage de l’électricité, en plus de révéler de réels impensés sur la gestion de la fin de vie de ces véhicules. Cela maintiendrait également le risque d’une accidentalité élevée ainsi qu’un problème de gestion des espaces publics, au détriment des systèmes alternatifs.
De plus, les véhicules électriques ne sauraient être accessibles financièrement à l’ensemble des utilisateurs, malgré les mesures publiques d’accompagnement à l’achat ou à l’adaptation des véhicules. Par conséquent, la transition électrique de la flotte automobile ne peut se substituer à un effort de sobriété qui nécessite une baisse de la flotte globale de véhicules.
À ces contraintes s’ajoutent la multiplication des contestations de ces autoroutes par des scientifiques, des organisations de la société civile ainsi que des citoyens. En janvier 2022, plus d’une cinquantaine de collectifs partout en France se sont rassemblés pour créer une coalition, « La Déroute des routes » et dénoncer l’utilité de certains projets routiers et leur cohérence avec les objectifs de l’Accord de Paris, la Stratégie nationale bas carbone, et l’objectif « zéro artificialisation nette » en 2050.
À titre d’exemple, le projet d’autoroute A69 a fait l’objet d’un avis négatif de l’Autorité environnementale : « ce projet routier, initié il y a plusieurs décennies, apparaît anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété, de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution de l’air, d’arrêt de l’érosion de la biodiversité et de l’artificialisation du territoire et d’évolution des pratiques de mobilité » ([8]).
Plus de 1 500 scientifiques ([9]), dont dix co‑auteurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), des représentants de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes) ou du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), ont appelé le président de la République à renoncer à ce projet.
En plus d’être incompatible avec nos ambitions écologiques, ce projet est injuste socialement. Malgré les discours vantant le « désenclavement » d’un département rural qu’il permettrait, il s’agirait de la deuxième autoroute la plus chère de France ([10]), complexifiant ainsi les déplacements des personnes modestes en privatisant une partie des aménagements existants.
Autre exemple, le projet d’aménagement routier de l’Avenue du Parisis qui rencontre une forte opposition locale ([11]). Des citoyens conscients du danger que fait peser ce projet sur l’environnement et leur cadre de vie se sont fortement impliqués pour s’y opposer.
La société civile organisée contre ce projet trouve à son avant‑garde le collectif « Vivre sans le BIP », mobilisé depuis de nombreuses années. Ils dénoncent entre autres la concertation publique de 2012 faite à bas bruits, sans que les habitants des communes concernées n’en aient été réellement informés. Après 15 ans de lutte, le Conseil départemental du Val d’Oise a officiellement annoncé le 25 septembre 2024 l’abandon de ce projet routier controversé. Chiffré à 1 milliard d’euros, ce connecteur d’autoroutes aurait détruit une centaine d’hectares d’espaces naturels et agricoles.
Ces projets comme bien d’autres tels le contournement de Rouen, le tronçon de l’A154, la liaison de l’A412 de Machilly à Thonon les Bains, mais aussi d’autres moins avancés faisant débat depuis des années méritent d’être réinterrogés.
Afin de promouvoir des modes de déplacement plus respectueux de l’environnement, le Gouvernement de la Wallonie en Belgique a renoncé en 2019 à toute extension de son réseau autoroutier et abandonné six projets de nouvelles autoroutes. Face à l’urgence climatique, le Pays de Galles a également abandonné plusieurs projets d’autoroutes et imposé des conditions très strictes aux nouvelles routes, notamment en termes d’émission de CO2, ou de niveau de vitesse autorisé. En France, le département de l’Ille‑et‑Vilaine a fait le choix de revoir son projet pluriannuel d’investissements en réaffectant les moyens consacrés au développement de nouveaux projets routiers vers le développement de réseaux cyclables sécurisés.
Face à ces enjeux écologiques et financiers, des dizaines de projets de construction d’autoroutes ont été interrompus ou modifiés. Plus de cinquante projets ont ainsi été réévalués sur la base d’une série de test rigoureux sur leur impact au regard de l’urgence climatique. Ce sont des exemples dont notre pays doit s’inspirer pour réduire le niveau très élevé d’émission de gaz à effet de serre du transport routier.
Dans son dernier rapport, le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) a présenté plusieurs scénarii, dont celui « de planification écologique », considéré comme le plus adapté aux enjeux de planification écologique. Il recommande l’arrêt définitif du projet d’autoroute entre Poitiers et Limoges ([12]) et exprimé de nombreuses interrogations sur plusieurs autres nouveaux projets routiers. C’est par exemple le cas du projet d’autoroute A133‑A134 à Rouen, du contournement de Nîmes ou encore d’Arles, pour lesquels le Conseil d’orientation des infrastructures invite le Gouvernement à réexaminer les impacts climatiques, en termes de biodiversité ou encore budgétaires.
Les routes ne sont pas seulement des infrastructures. Elles sont surtout des choix d’aménagement du territoire et d’organisation socio‑économique, qui déterminent nos modes de vie sur le long terme et impactent durablement nos paysages et notre environnement. L’argument souvent avancé pour justifier ces projets est le gain de temps et la fluidification du trafic. Or cet argument en faveur de la création de voies de circulation supplémentaires, ne prend pas en considération le trafic induit, qui a des effets négatifs en termes d’émissions et de qualité de l’air.
Ainsi, à l’instar des annonces gouvernementales d’un précédent ministre des transports qui s’était engagé à prendre des « décisions fortes », il urge de reconsidérer les priorités en matière d’infrastructures de transport, en prenant le temps de revoir la pertinence de ces projets face aux enjeux de notre temps, notamment ceux relatifs à la santé, à la biodiversité, au changement climatique et à la qualité de l’air et des sols ; mais également les enjeux sociaux liés au droit à la mobilité pour toutes et tous, et aussi l’ordonnancement des procédures qui précèdent la réalisation des infrastructures.
Les différentes études convergent vers le développement de projets alternatifs au tout « routes et autoroutes » tout en tenant compte des spécificités territoriales. Il faut pour cela, une réorientation des moyens financiers, nécessaires à la construction des infrastructures de mobilités décarbonées et des mobilités actives ainsi qu’à leur promotion.
Cette proposition de loi qui vise à instaurer un moratoire sur l’ensemble des projets d’infrastructures routières et autoroutières en France, offre l’opportunité de répondre à ces questions cruciales, et de repenser l’aménagement du territoire en accord avec les engagements climatiques de la France.
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proposition de loi
Article 1er
I. – Aux fins de poursuivre l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, un moratoire est instauré sur tous les projets de construction et d’extension de routes et d’autoroutes en France. Ce moratoire prend effet à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi et s’applique pour une durée de trois ans, conformément aux articles L. 421‑1 et suivants du code de l’urbanisme, qui régissent la délivrance des autorisations d’urbanisme.
II. – Pendant la période du moratoire, aucun permis de construire, déclaration de travaux ou tout autre acte administratif autorisant des travaux relatifs à la création ou extension d’une infrastructure routière, concédée ou non, ne peut être délivrée, en application des articles L. 421‑6 et L. 421‑7 du code de l’urbanisme.
III. – Les limitations prévues au II du présent article, n’affectent pas la continuité des travaux de maintenance ou de rénovation des voiries et autoroutes existantes. Les opérations ponctuelles visant à assurer la sécurité des usagers ou à mettre en conformité les infrastructures existantes avec les normes environnementales et de sécurité en vigueur peuvent se poursuivre. Ces travaux doivent être strictement liés à la préservation, l’entretien ou la mise à niveau des infrastructures déjà existantes et ne peuvent entraîner de nouvelles extensions ou modifications substantielles augmentant la capacité des infrastructures, sauf si celles‑ci sont indispensables à la sécurité routière.
Article 2
I. – Une commission nationale pour l’évaluation des projets routiers et autoroutiers est créée. Cette commission est placée sous l’autorité du ministre chargé de la transition écologique, conformément aux articles L. 123‑1 et suivants du code de l’environnement, qui encadrent l’évaluation environnementale des projets susceptibles d’avoir un impact sur l’environnement.
II. – La commission prévue au I du présent article a pour mission de procéder à une évaluation environnementale, sanitaire, sociale et économique de l’ensemble des projets routiers et autoroutiers en cours, en prenant en compte les objectifs fixés par la loi n° 2019‑1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, ainsi que les dispositions du code de l’environnement relatives à la protection de la biodiversité et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
III. – La commission prévue au I du présent article remet un rapport au Gouvernement et au Parlement au plus tard un an après l’entrée en vigueur de la présente loi, formulant des recommandations sur l’avenir des projets routiers et autoroutiers et sur les alternatives de transport durable, conformément à l’article L. 123‑14 du code de l’environnement.
Article 3
I. – À l’issue du moratoire, le Gouvernement est chargé de présenter, un plan national pour la mobilité durable, intégrant les conclusions du rapport de la commission nationale et mettant en avant des solutions de transport respectueuses de l’environnement et garantissant la pleine application du droit à la mobilité sur l’ensemble du territoire national. Ce plan prend en compte les objectifs prévus au titre Ier de la loi n° 2019‑1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités et les dispositions de l’article L. 100‑4 du code de l’énergie, qui fixe les orientations de la politique énergétique nationale, notamment en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
II. – Le plan prévu au I du présent article peut faire l’objet d’un débat au Parlement. Le Parlement se prononce sur la levée du moratoire.
Article 4
Les modalités d’application de la présente loi, et notamment celles relatives à la création, à la composition et au fonctionnement de la commission prévue au I de l’article 2, sont déterminées par décret en Conseil d’État.
Article 5
I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
([1]) Avis du 4 mai 2023 du Conseil national de la transition écologique dans sa délibération n° 2023-3 portant sur la définition d’objectifs de moyen-long terme sur l’adaptation et sur la nécessité de s’adapter à ces objectifs, p 8.
([2]) Communiqué du 15 mai 2023, du Centre National de la Recherche Scientifique.
([3]) Data Lab du Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, mars 2022, p 9.
([4]) Idem
([5]) Publication annuelle « Faits et chiffres » de l’Union routière de France, octobre 2019, p 121.
([6]) Etude publiée par Santé publique France intitulée « Pollution atmosphérique : évaluations quantitatives d'impact sur la santé – EQIS-PA », octobre 2022.
([7]) Loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
([10]) Article intitulé « L’A69, le scandale sanitaire de demain », publié le 13 février 2024 dans le Journal Reporterre.
([12]) Rapport de synthèse du COI : investir plus et mieux dans les mobilités pour réussir leur transition, décembre 2022, p 77.