N° 595

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à permettre et à encadrer la mise en retrait des responsables des exécutifs communaux et intercommunaux en cas de situation particulière,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Emmanuel MANDON,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La vie des collectivités locales est souvent affectée par des conflits internes et de plus en plus ouverts qui, faute de mécanismes de prévention efficaces, conduisent à des situations de blocage. Des responsables locaux, en particulier des maires et des présidents d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), se trouvent, dès lors, en difficulté pour exercer effectivement leurs fonctions à la tête de l’exécutif local. Ils sont de ce fait dans l’obligation de prendre du recul par rapport à leur mandat.

Actuellement, il n’existe que deux dispositifs permettant d’organiser la vacance d’un maire :

1. La suppléance, régie par le code général des collectivités territoriales (CGCT) en son article L. 2122‑17, qui permet à un adjoint ou à un conseiller municipal de « prendre tous les actes nécessaires à la bonne marche de l’administration municipale dont l’intervention, au moment où elle s’impose normalement, serait rendue impossible par [l’absence ou l’empêchement du maire] » (Conseil d’État (CE), 1er octobre 1993, Bonnet). Le suppléant ne peut, toutefois, qu’expédier les affaires courantes (CE, 20 janvier 1926, Lajous) et n’est pas habilité à prendre les décisions qui peuvent attendre le retour du maire ;

2/ La délégation donnée à un adjoint au titre de l’article L. 2122‑18 du CGCT, qui donne plus de marges de manœuvre à son titulaire à condition de ne pas être générale et porter sur des domaines précisément définis (Cour administrative d’appel de Marseille, 12 janvier 2012).

Cette proposition de loi vise à redonner au fonctionnement de l’assemblée délibérante, la sérénité essentielle à une bonne administration de la collectivité. À cet effet, elle ouvre la possibilité d’une mise en retrait temporaire, qui aurait l’avantage de ne pas remettre en cause le choix fait par les électeurs. Naturellement, cette mise en retrait devra être limitée dans le temps et faire l’objet d’une délibération de l’assemblée délibérante.

L’article 1er de la proposition de loi complète ainsi la section 2 du chapitre II du titre II du livre Ier de la deuxième partie du CGCT, consacrée à la désignation et à la suppléance du maire, par deux nouveaux articles L. 2123171 et L. 2123172.

L’article L. 2123‑17‑1 constitue la première étape du dispositif proposé. Il permet à tout maire de solliciter du conseil municipal l’autorisation de se mettre en retrait pour convenances personnelles pendant une durée de six mois maximums. Le retrait pourrait être prolongé une fois, également sur autorisation du conseil municipal, sans que sa durée totale puisse excéder douze mois.

Au cours de cette période, le maire serait remplacé par un adjoint, dans l’ordre des nominations et, à défaut d’adjoint, par un conseiller municipal désigné par le conseil ou, à défaut, pris dans l’ordre du tableau. Ce dispositif, qui s’inspire en partie de celui applicable aux suppléances, s’en distinguerait par la possibilité pour le remplaçant d’exercer sans restrictions la plénitude des fonctions du maire.

Le maire en retrait serait, naturellement, considéré comme un conseiller municipal sans délégation au cours de la période de retrait. Il perdrait donc son droit à indemnité de fonctions, à l’exception des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de 100 000 habitants et plus où les membres des assemblées délibérantes conservent un droit à indemnité réduit, ses indemnités de frais de représentation (article L. 2123‑19 du CGCT) et verrait son crédit d’heures (article L. 2123‑2 du CGCT) diminuer. Il conserverait les droits attachés à la fonction de conseiller municipal (droit à la formation, remboursement de certains frais, protection sociale, etc.). À titre dérogatoire, il continuerait de bénéficier du droit à la protection fonctionnelle due par la collectivité à son exécutif au titre des articles L. 2123‑34 et L. 2123‑35 du CGCT.

Afin de limiter les abus, le dispositif interdirait au maire de solliciter un retrait dans les six premiers mois qui suivent son élection et obligerait un maire dont le retrait aurait expiré à attendre un an avant de présenter une nouvelle demande.

À l’issue de la période autorisée de retrait du maire, le Conseil Municipal prend acte de son retour, ou si tel n’est pas le cas, constate son absence effective et par délibération, adopte une motion de défiance.

L’article L. 2123‑17‑2 formalise cette seconde phase, en donnant ainsi au conseil municipal un moyen de pression sur un maire en retrait qui refuserait de reprendre ses fonctions à l’expiration du délai autorisé.

Le dispositif prendrait la forme d’une motion de défiance du conseil municipal, déposée dans un délai d’un mois à compter de la cessation du retrait et votée selon des modalités similaires à celle susceptible d’être adoptée par l’Assemblée de Corse à l’encontre de l’exécutif de la Collectivité de Corse (article L. 4422‑31 du CGCT). En cas d’adoption de la motion de défiance, le maire serait déclaré démissionnaire d’office.

Bien évidemment, le dispositif envisagé n’ôterait pas au Gouvernement la possibilité de suspendre par arrêté ministériel le maire en défaut ou de procéder, si nécessaire, à sa révocation par décret en conseil des ministres (article L. 2122‑16 du CGCT).

Par ailleurs, il est précisé que le positionnement du nouveau dispositif au chapitre II du titre II du livre Ier de la deuxième partie du CGCT le rend applicable à tous les EPCI, y compris sans fiscalité propre, en application de l’article L. 5211‑2 du même code.

L’article 2 instaure un gage de la charge découlant pour les communes et leurs groupements de l’extension de la protection fonctionnelle aux maires ou aux présidents d’EPCI en retrait.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le code général des collectivité territoriales est ainsi modifié :

1° La section 2 du chapitre II du titre II du livre Ier de la deuxième partie est ainsi modifiée :

a) Au premier alinéa de l’article L. 2122‑14, après le mot : « cause », sont insérés les mots : « distincte du retrait mentionné à l’article L. 2122‑17‑1 » ;

b) À l’article L. 2122‑17, après le mot : « empêchement », sont insérés les mots : « , à l’exception du retrait mentionné à l’article L. 2122‑17‑1 » ;

c) Sont ajoutés deux articles L. 2122‑17‑1 et L. 2122‑17‑2 ainsi rédigés :

« Art. L. 2122171. – À tout moment au cours de son mandat, à l’exception des six premiers mois qui suivent son élection, le maire peut, à sa demande, être autorisé par une délibération du conseil municipal à se mettre en retrait pour convenances personnelles pendant une durée qui ne peut excéder six mois. Une prolongation de ce retrait peut être autorisée une fois par une nouvelle délibération du conseil municipal à la demande de l’intéressé sans que la durée totale du retrait ne puisse excéder douze mois au total.

« En cas de retrait autorisé en application du premier alinéa, le maire est remplacé par un adjoint, dans l’ordre des nominations et, à défaut d’adjoint, par un conseiller municipal désigné par le conseil ou, à défaut, pris dans l’ordre du tableau. L’adjoint ou le conseiller municipal remplaçant exerce sans restriction la plénitude des fonctions du maire jusqu’à l’expiration du retrait.

« Au cours de la période du retrait autorisé en application du même premier alinéa, le maire concerné est considéré, pour l’application du présent code, comme un conseiller municipal ne disposant pas d’une délégation de fonction de l’exécutif.

« Par dérogation au troisième alinéa du présent article, le maire en retrait est considéré comme ayant cessé ses fonctions pour l’application des articles L. 2123‑34 et L. 2123‑35.

« À l’expiration du retrait autorisé en application du premier alinéa du présent article, ou si le conseil municipal refuse d’autoriser sa prolongation, le maire retrouve la plénitude de ses fonctions. Aucune nouvelle demande d’autorisation ne peut être présentée par le maire moins d’un an à l’issue de l’expiration de ce retrait.

« Art. L. 2122172. – Sans préjudice de la procédure mentionnée à l’article L. 2122‑16, tout maire qui ne reprendrait pas immédiatement ses fonctions à l’expiration d’un retrait autorisé en application du premier alinéa de l’article L. 2122‑17‑1 peut être déclaré démissionnaire d’office par le conseil municipal par le vote d’une motion de défiance déposée par au moins un quart des conseillers municipaux dans un délai d’un mois à compter de la cessation du retrait.

« La motion de défiance mentionnée au premier alinéa du présent article comporte la liste des signataires ainsi que l’exposé des motifs pour lesquels elle est présentée. Il ne peut être délibéré sur cette motion qu’au cours d’une réunion du conseil municipal se tenant au plus tôt sept jours francs et au plus tard un mois après le dépôt de la motion. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion, qui n’est considérée comme adoptée que lorsqu’elle a recueilli le vote de la majorité absolue des membres du conseil municipal.

« Un maire déclaré démissionnaire d’office par le conseil municipal en application du présent article est considéré comme ayant cessé ses fonctions pour l’application de l’article L. 2122‑14. » ;

2° Le III de l’article L. 2123‑24 est ainsi modifié :

a) À la première phrase, après la référence : « L. 2122‑17 », sont insérés les mots : « ou le remplace dans les conditions prévues à l’article L. 2122‑17‑1 » et, après le mot : « suppléance », sont insérés les mots : « ou du remplacement » ;

b) À la fin de la seconde phrase, les mots : « est effective » sont remplacés par les mots : « ou le remplacement sont effectifs. » ;

3° Le IV de l’article L. 2123‑24‑1 est ainsi modifié :

a) À la première phrase, après la référence : « L. 2122‑17 », sont insérés les mots : « ou le remplace dans les conditions prévues à l’article L. 2122‑17‑1 » et, après le mot : « suppléance », sont insérés les mots : « ou du remplacement » ;

b) À la fin de la seconde phrase, les mots : « est effective » sont remplacés par les mots : « ou le remplacement sont effectifs. » ;

4° Aux premier, deuxième et dernier alinéas de l’article L. 2123‑34, après le mot : « suppléant », sont insérés les mots : « , le remplaçant » ;

5° Au premier alinéa ainsi qu’à la première phrase des deuxième, troisième et dernier alinéas de l’article L. 2123‑35, après le mot : « suppléant », sont insérés les mots : « , le remplaçant » ;

6° Au premier alinéa de l’article L. 5214‑8, la référence : « , L. 2123‑18‑4, » est remplacée par les mots : « et L. 2123‑18‑4, le III de l’article L. 2123‑24 ainsi que les articles ».

Article 2

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.