N° 724

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 décembre 2024.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à réaffirmer le caractère parlementaire de la Ve République,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jérémie IORDANOFF,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Nos institutions sont en crise. Selon le baromètre de la confiance politique publié en février 2024 par le Cevipof, la part des citoyens indiquant avoir confiance dans la politique ne s’élève qu’à 30 %. Lorsqu’on leur demande : « diriez‑vous qu’en France la démocratie fonctionne très bien, assez bien, pas très bien ou pas bien du tout ? », 68 % des Français répondent : « pas bien ». Cette part a augmenté de quatre points par rapport à février 2023. Face à ce constat, il n’est pas question de se résigner. Il faut rechercher les solutions susceptibles de restaurer la confiance des citoyens dans les institutions. Cela impose d’appréhender les causes de cette défiance.

Depuis 2022, trois Gouvernements successifs ont pu exercer leurs prérogatives sans demander la confiance de l’assemblée sur leur programme. Ce dysfonctionnement conduit, en période d’absence de majorité absolue, à la nomination de Gouvernement sans la recherche préalable d’une majorité au Parlement. Cette fragilité a conduit inéluctablement les gouvernements à l’échec et par là‑même à l’aggravation de la crise politique.

Dans ce cadre, cette proposition de loi constitutionnelle vise à rééquilibrer les pouvoirs, à garantir une meilleure stabilité gouvernementale et à rétablir l’Assemblée nationale dans sa fonction et ses prérogatives, en réaffirmant l’obligation pour le Gouvernement d’engager sa responsabilité devant la représentation nationale.

Redoutant l’absence de majorité solide à l’Assemblée nationale, après des décennies d’instabilité chronique sous les III et – surtout – IVe Républiques, les constituants de 1958 ont excessivement encadré les prérogatives du Parlement et l’ont relégué au troisième rang des pouvoirs constitués, derrière le Président de la République et le Gouvernement.

Couplée au parlementarisme majoritaire qui permet au Gouvernement, sauf accident, d’être assuré d’une majorité fidèle – pour ne pas dire aux ordres – cette rationalisation abusive de l’activité parlementaire crée un déséquilibre flagrant au détriment de l’unique institution représentative et délibérative de la Ve République : le Parlement.

L’exécutif en France est structurellement organisé pour décider seul. Or, un régime démocratique ne peut considérer la légitimité de l’exécutif comme acquise. Au contraire, tout doit être mis en œuvre pour que le gouvernement ne devienne pas une instance de domination.

Comme l’a remarqué le professeur Denis Baranger (rapport sur la proposition de loi constitutionnelle pour un article 49 respectueux de la représentation nationale (940), n° 2407 du 27 mars 2024), il est devenu fréquent d’aborder la question de la responsabilité dans le régime parlementaire français en observant le seul moment du « divorce » : celui de la rupture de confiance qui s’exprime par l’adoption d’une motion de censure.

Cette proposition de loi constitutionnelle propose de porter le regard sur le moment du « mariage » : ce moment où le Gouvernement sollicite la confiance de l’Assemblée nationale, et qu’elle la lui accorde. Cette confiance s’exprime lorsque le Premier ministre engage la responsabilité de son Gouvernement devant l’Assemblée nationale, en application de l’article 49, alinéa 1, de la Constitution.

L’expression de cette confiance confère au Gouvernement une légitimité autre que celle issue de sa nomination par le Président de la République. Elle lui confère la légitimité issue de la représentation nationale, et lui permet de s’assurer que cette dernière adhère au sens qu’il compte donner à son action.

En toute logique, un Gouvernement parlementaire ne saurait déterminer et conduire la politique de la Nation sans détenir expressément, dès sa formation, la confiance du Parlement. Et la confiance ne se présume pas.

Alors qu’il était clair, selon le premier alinéa de l’article 49 de la constitution, que le Premier ministre devait engager la responsabilité du Gouvernement sur son programme, une interprétation contra legem s’est imposée dans nos mœurs politiques pour n’en faire qu’une prérogative laissée à la discrétion du Chef du gouvernement. Le choix qu’ont fait dix Premiers ministres depuis 1958 de ne pas poser la question de confiance, n’est pas anodin. Il met à mal le fondement même du régime parlementaire. D’un régime parlementaire moniste, les institutions sont pratiquées suivant un système parlementaire dualiste, dans lequel, dès 1966, des premiers ministres ont fait le choix de ne plus poser la question de confiance après la composition de leur Gouvernement.

L’article unique de cette proposition de loi constitutionnelle vise à imposer au Premier ministre, avant l’expiration d’un mois à compter de sa nomination, d’engager devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme. Il est apparu opportun de fixer un délai plutôt que de d’utiliser l’impératif afin de ne pas surcharger le texte. En effet, l’indicatif, lorsqu’il est suivi d’un délai, devient une obligation qu’il n’est pas possible de contourner par une interprétation contra legem.

Elle prévoit le cas où des élections législatives sont convoquées. Elle permet, en outre, au Premier ministre d’engager ultérieurement la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou une déclaration de politique générale, à tout moment au cours d’une session

 


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PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Avant l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de sa nomination, le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme. Lorsque cette nomination intervient alors que des élections législatives sont convoquées, ce délai est suspendu jusqu’à l’ouverture de la prochaine session. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure, y compris pour une déclaration de politique générale, à tout moment au cours d’une session. »