N° 731
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 décembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à inclure et définir explicitement la notion de consentement dans la définition pénale du viol,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Philippe JUVIN, Mme Pascale BAY, M. Ian BOUCARD, M. Vincent DESCOEUR, Mme Virginie DUBY-MULLER, Mme Justine GRUET, M. Vincent JEANBRUN, Mme Alexandra MARTIN, Mme Christelle PETEX, M. Nicolas RAY, M. Jean-Pierre VIGIER, M. Joël BRUNEAU, M. Salvatore CASTIGLIONE, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Christophe NAEGELEN, M. Stéphane VIRY, Mme Véronique BESSE, Mme Christelle D’INTORNI, Mme Sophie-Laurence ROY, M. Jean-Carles GRELIER, M. Hubert OTT, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Perceval GAILLARD, Mme Zahia HAMDANE, M. Abdelkader LAHMAR, Mme Sarah LEGRAIN, M. René PILATO, Mme Félicie GÉRARD, Mme Lise MAGNIER,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 2 septembre 2024, à Avignon, s’ouvrait le procès des viols de Mazan. Pendant les semaines du procès, nous découvrions les détails sordides d’une histoire dont nous n’aurions jamais pu imaginer le scénario.
50 hommes âgés de 26 ans à 73 ans au moment du procès, sont accusés d’avoir violé Mme Gisèle Pélicot alors qu’elle était inconsciente, et cela sur une période de presque 10 ans.
50 hommes, sans compter ceux qui n’ont pas pu être identifiés, de tous milieux sociaux et professionnels, de tous horizons et de tous âges. Des hommes dont nous avons sans doute croisé le chemin un jour, dans les transports, à l’hôpital, ou dans la file de la boulangerie comme en témoignera Mme Gisèle Pélicot. Des soignants, des pompiers, des menuisiers, des jardiniers, des retraités, des pères, des frères, des fils.
Cette affaire invite chacun de nous à s’interroger de nouveau sur la définition même du viol et du consentement. À s’y interroger réellement. Comment repenser la définition du viol, la diffuser et la faire connaître au moment où l’on entend l’un des accusés prétendre ne pas l’avoir violée car il la pensait morte. Comment reconnaitre, réellement, la notion de consentement, quand l’un des accusés plaide non‑coupable en arguant que Mme Gisèle Pélicot avait, à un moment donné, consenti à des relations libérées, filmées de surcroît. Cet argument, utilisé par plusieurs accusés, soulève des interrogations fondamentales sur la notion de consentement et la pertinence de la définition juridique actuelle du viol.
Il est impératif de rappeler qu’un consentement donné à un moment précis ne saurait être interprété comme un consentement permanent. Le consentement peut être retiré à tout instant avant ou pendant l’acte à caractère sexuel.
Le cas de Mme Gisèle Pélicot n’est malheureusement pas isolé. En 2023, 114 100 plaintes ont été enregistrées pour des violences sexuelles (crimes ou délits), soit une hausse de 7 % par rapport à 2022 ([1]). 84 000 de ces plaintes concernent des violences sexuelles commises par une personne sans lien familial ni conjugal. Pour autant, seulement 37 800 condamnations pour violences sexuelles ont été prononcées en 5 ans, entre 2017 et 2022.
La très grande majorité des victimes enregistrées pour violences sexuelles hors cadre familial sont des femmes (85 %) et plus de la moitié sont mineures. Comme le rappelle la dernière enquête de victimation menée auprès de la population ([2]), seulement 2 % des personnes de 18 ans à 74 ans victimes de violences sexuelles hors cadre familial auraient porté plainte auprès des forces de sécurité en 2022.
La définition actuelle du viol dans le code pénal français présente des lacunes. Tel qu’établi dans l’article 222‑23, le viol est défini comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco‑génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Toutefois, cette définition peut laisser de côté des situations où le consentement est vicié, par exemple, par une incapacité à consentir par l’effet de drogues ou d’alcool, ou par l’effet de l’emprise.
L’affaire du procès de Dominique Pélicot qui a suscité chez nous tous une vive émotion, met en lumière une problématique tragique mais négligée : celle des viols par soumission chimique. Méconnue du grand public il y a encore un an, ce cas de soumission a permis de mettre en lumière des situations particulières non prises en compte par les quatre motifs aggravants inscrits actuellement dans la définition du viol.
À titre de comparaison, plusieurs pays, comme la Belgique et le Canada, ont su évoluer vers des législations plus complètes. En Belgique, par exemple, la loi inclut des considérations sur le consentement explicite et la capacité des victimes à consentir, reconnaissant ainsi les situations qui altèrent le libre choix de la personne.
La présente proposition de loi vise donc à inclure et définir explicitement la notion de consentement dans la définition pénale du viol. Cette démarche ne vise pas seulement à combler les lacunes juridiques, mais également à s’accorder avec les évolutions sociétales et culturelles.
Comme l’a noté le syndicat de la magistrature dans le cadre de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la définition du viol : « La notion n’est pas étrangère à la pratique des magistrats confrontés à des affaires de violences sexuelles. Elle a l’immense avantage d’être communément admise et largement utilisée, aussi bien dans les tribunaux qu’à l’école, dans les milieux politiques, militants, féministes que dans les médias. En cela, elle est dotée d’une valeur symbolique, politique et pédagogique certaine. À cet avantage s’ajouterait celui de lever toute ambiguïté́ sur la conformité du droit français à la Convention d’Istanbul » ([3]).
La notion de consentement n’est donc pas nouvelle et l’intégrer dans le code pénal permettrait d’entériner une définition déjà largement admise du viol.
L’article 1er propose une nouvelle définition juridique du viol, établissant que « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco‑génital commis sur la personne de l’auteur ou sur la personne d’autrui qui n’y consent pas, est un viol. ».
L’article 2 définit clairement ce qu’est le consentement, et surtout ce qu’il n’est pas. Le consentement suppose notamment que celui‑ci a été donné librement, qu’il ne peut pas être déduit de la simple absence de résistance de la victime et qu’il peut être retiré à tout moment.
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proposition de loi
Article 1er
Au premier alinéa de l’article 222‑23 du code pénal, les mots : « d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise » sont remplacés par les mots : « de l’auteur ou sur la personne d’autrui qui n’y consent pas, ».
Article 2
La section 1 du chapitre III du titre II du livre II du code pénal est complétée par un article 223‑2‑1 ainsi rédigé :
« Art. 223‑2‑1. – Le consentement suppose que celui‑ci a été donné librement. Ceci est apprécié au regard des circonstances de l’affaire.
« Le consentement ne peut pas être déduit de la simple absence de résistance de la victime.
« Le consentement peut être retiré à tout moment, avant ou pendant l’acte à caractère sexuel.
« Il n’y a pas de consentement libre et éclairé lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis en profitant volontairement d’une situation de vulnérabilité de la victime que l’auteur ne pouvait raisonnablement ignorer, due notamment à un état de peur, de sidération, d’emprise ou à l’influence de toute substance ayant pour effet d’altérer le libre arbitre.
« En tout état de cause, il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel résulte de violences physiques ou psychologiques, d’une contrainte, d’une menace ou d’une surprise.
« Il n’y a pas de consentement lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis au préjudice d’une victime inconsciente ou endormie. »
([1]) Selon le ministère de l’intérieur
([3]) Observations du Syndicat de la magistrature dans le cadre de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la définition du viol, 23 février 2024.