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N° 761
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 décembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à l’amélioration de la vie dans les logements-foyers pour travailleurs isolés,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Danielle SIMONNET, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Lisa BELLUCO, M. Christophe BEX, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, M. Hendrik DAVI, M. Aly DIOUARA, M. Emmanuel DUPLESSY, Mme Karen ERODI, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, M. Perceval GAILLARD, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Emmanuel GRÉGOIRE, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, M. Steevy GUSTAVE, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Zahia HAMDANE, M. Andy KERBRAT, M. Tristan LAHAIS, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, Mme Élise LEBOUCHER, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Laurent LHARDIT, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Julie OZENNE, Mme Marie POCHON, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, Mme Andrée TAURINYA, M. Boris TAVERNIER, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En France, les foyers de travailleurs migrants ont été conçus il y a près de 60 ans comme des lieux d’hébergement provisoire, avec un confort minimum, sans intimité ni droit à la vie privée. En 60 ans, peu de choses ont évolué et les résidents de foyers sont confrontés à une mauvaise gestion et au délabrement des foyers, malgré des loyers qui n’ont cessé d’augmenter.
Depuis 1997, l’État a mis en place un « Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants » (PTFTM) qui a permis aux préfets d’investir 2,5 milliards d’euros dans la destruction de la grande majorité des « foyers » et leur remplacement par des « résidences sociales ». À titre dérogatoire, les résidents titulaires de ces anciens foyers détruits ont pu intégrer ces résidences neuves avec des contrats pérennes de résidence, tandis que le public‑cible de ces résidences correspond à des populations précaires, titulaires d’un contrat provisoire de deux ou de trois ans, destiné à permettre une transition accompagnée vers le logement de droit commun. Malgré la durabilité de leur logement en foyer, puis en résidence, les travailleurs immigrés habitants des anciens foyers n’ont pas vu leur statut ou leurs droits s’améliorer avec cette transformation. Ils restent pour l’essentiel exclus de la plupart des protections de la loi du 7 juillet 1989 réglant les rapports entre bailleurs et locataires, et restent soumis aux contrats de résidence et aux règlements intérieurs unilatéralement définis par les gestionnaires des logements foyers dans le cadre des articles de la L. 633 du code de la construction et de l’habitat.
En 60 ans, le manque d’évolution de la loi en faveur des droits des résidents de foyer de travailleurs migrants n’a mené qu’à une issue : des travailleurs qui, après une vie de labeur, ne peuvent toujours pas accéder à une solution de logement pérenne en raison de la crise du logement. De plus, la grande liberté des gestionnaires dans l’établissement des règlements des foyers marque la singularité du traitement qui est accordé aux résidents en matière de vie privée. Ces violations de l’espace intime de vie, impossibles dans le cas de locataires, peuvent mener à des conséquences désastreuses pour les résidents.
Il est nécessaire de comprendre le temps long dans lequel s’installent les histoires de ces travailleurs. Arrivés en France, dans des solutions d’hébergement provisoires que sont les foyers, faute d’offre de logement pérenne à leur égard, beaucoup y résident depuis l’ouverture de certains foyers. Ces travailleurs, malgré leur vie dans des conditions précaires, dans des foyers souvent vétustes, ont parfois eu des familles, qu’ils n’ont jamais pu loger dans leur logement, supposé être temporaire. Avec le temps, l’âge de la retraite est arrivé, sans plus de solution pérenne de relogement. Dans certains cas, les effets de l’âge sont tels que les résidents, devenus parfois dépendants physiquement mais aussi socialement, ont besoin d’être accompagnés par des membres de leur famille dans la vie de tous les jours.
Pourtant, à ce jour, la violation de la vie privée des résidents par les gestionnaires, permise par les règlements actuels, peut conduire à l’expulsion de certains résidents, pourtant anciens et en situation de vulnérabilité, pour le seul fait d’hébergement des enfants ou petits‑enfants, souvent nécessaire à leur vie quotidienne. En voici quelques exemples non exhaustifs :
– Monsieur H.D., 90 ans, résident du foyer Chevaleret dans le 13e arrondissement de Paris, s’est vu assigné pour expulsion par ADOMA devant le Juge des contentions et de la protection pour résiliation de contrat de résidence et demande d’expulsion pour avoir hébergé son petit‑fils, avec qui il vit et dont il est dépendant ;
– Monsieur D. N., 79 ans, résident du foyer des Amandiers‑Troènes dans le 20e arrondissement de Paris, a été expulsé par le gestionnaire ADEF pour avoir hébergé son fils. Une mobilisation solidaire des résidents et du quartier a permis de suspendre les effets de cette expulsion jusqu’à la fin de la trêve hivernale ;
– Monsieur B. K., 75 ans, résident du foyer Paris Riquet dans le 19e arrondissement de Paris, a été condamné à l’expulsion pour avoir hébergé son fils alors même qu’il était suivi à long terme pour problèmes cardiaques et a, depuis plus de 15 ans, un stimulateur cardiaque ;
– Monsieur A. B., 55 ans, résident du foyer Paris Riquet dans le 19e arrondissement, a été condamné à l’expulsion alors qu’il vivait avec son fils dont il est dépendant étant aveugle et reconnu en situation de handicap.
Pour autant, la loi SRU du 14 décembre 2000 a, pour la première fois, formalisé un certain nombre de droits pour les habitants des logements‑foyers de travailleurs migrants. D’autres lois et décrets l’ont ensuite complété.
Mais le bilan d’application de ces différents textes démontre qu’ils n’ont pas pris suffisamment en compte les caractéristiques spécifiques de la vie des résidents de ces logements, à savoir principalement :
– pour la quasi‑totalité d’entre eux, l’habitat en logement‑foyer est un habitat stable et prolongé où ils sont appelés à vivre pendant de très nombreuses années y compris pendant leur retraite et doivent donc bénéficier du respect de leur vie privée ;
–ils vivent séparés de leurs familles qui sont restées dans leur village du pays d’origine et qui dans leur très grande majorité ne vont pas les rejoindre en France ; ils doivent donc contribuer à la subsistance desdites familles ;
–l’existence d’espaces collectifs est une nécessité tant pour mettre en œuvre les solidarités indispensables et un minimum de vie sociale à l’intérieur du foyer que vis‑à‑vis de leur communauté d’origine.
Or il y aura encore pendant de très nombreuses années des résidences qui seront très majoritairement occupées par des travailleurs originaires de l’immigration, du fait de l’arrivée de nouveaux travailleurs, du maintien des retraités… sauf à vouloir les faire revivre dans des logements insalubres de marchands de sommeil.
Il est donc indispensable qu’au sein de la définition globale de « résidence sociale » soit définie une catégorie particulière, celle de « résidence pour travailleurs isolés » et que dans ces résidences pour travailleurs isolés les droits de locataire soient reconnus et appliqués.
Ceci est parfaitement possible, l’actuel article L. 633‑1 spécifie bien déjà au sein des résidences sociales la résidence « pension de famille » ou la « résidence accueil ».
Comme indiqué ci‑dessus, cette résidence pour travailleurs isolés est caractérisée par trois éléments principaux :
– les droits fondamentaux liés à un logement stable et privé pour des personnes majeures payant un loyer pour leur habitat et définis par la loi n° 89‑462 du 6 juillet 1989 ;
– de réels espaces collectifs dédiés à la vie collective des habitants et tenant compte de leurs modes de vie ;
– l’existence d’un réel dialogue social entre les habitants de ces résidences et leurs gestionnaires.
Compte‑tenu du fait que les articles L. 633‑1 et suivants du code de la construction et de l’habitation (CCH) ainsi que les décrets subséquents ont déjà créé un cadre partiel pour les résidences pour travailleurs isolés, il est proposé non pas de créer une législation complètement autonome mais de compléter et préciser la législation présente par l’ajout d’alinéas ou d’articles dans les articles de loi et décrets existants.
Nous souhaitons donc inscrire dans la loi la définition de “résidence pour travailleurs isolés” afin que leur spécificité puisse s’exprimer au sein de l’ensemble « résidences sociales », c’est le sens de notre premier article. En effet, le respect de la vie privée dans les résidences pour travailleurs isolés implique que le gestionnaire ne puisse y pénétrer qu’avec le seul accord écrit du résident. Quant à la référence à la sécurité, elle est, comme pour les locataires, inopérante. En cas de risque dû au gaz ou au feu, les services de sécurité comme les pompiers peuvent intervenir sous leur responsabilité sans qu’il existe un texte spécifique à ce sujet.
Nous souhaitons appliquer certaines dispositions de la loi du 6 juillet 1989 aux résidences pour travailleurs isolés afin de garantir un certain nombre de droits aux résidents. Ainsi les dispositions articles 24 de la loi du 6 juillet 1989 et L. 353‑15‑2 et L. 442‑6, sont celles relatives aux procédures en cas d’impayés et de résiliation judiciaire ainsi que de relogement en cas de démolition ou rénovation du bâtiment. Les articles 6 et 20‑1 soit ceux relatifs au droit au logement décent et à son application en cas de logement constaté comme indigne sont déjà applicables. Les dispositions de l’article 3 de la même loi définissent un contrat‑type que nous souhaitons rendre applicable aux résidences pour travailleurs isolés.
Il n’y a aucune raison pour que les protections relatives à la vie privée du locataire définies dans la loi n° 89‑462 ne s’appliquent pas dans les résidences pour travailleurs isolés où trop souvent encore des expulsions sont réalisées sans le minimum de dispositions protectrices.
Les modifications apportées par nos articles prévoient ainsi une protection, la même que pour les locataires de baux locatifs, en cas de procédures d’impayés, de résiliation judiciaire ainsi qu’en cas de démolition ou rénovation du bâtiment. Il garantit également le droit au logement décent et à son application en cas de logement constaté comme indigne.
Enfin, nous souhaitons renforcer les droits des résidents dans leur comité de délégués élus en leur assurant un vote sans intervention ou entrave de la part des gérants pour l’élection de celui‑ci. Ces entraves seraient sanctionnées au même niveau que le délit d’entrave au fonctionnement des instances représentatives du personnel, précisé à l’article L. 2317‑1 du code du travail. Le défaut d’effectivité de ces sanctions aurait pour effet de rendre les résidents dépendants du bon vouloir des gestionnaires. Il est important aussi que soit prévue et imposée, une cogestion entre les gestionnaires et les comités de résidents, là où ils sont élus, et des espaces polyvalents dédiés à la vie collective des résidents.
Pour les gestionnaires de plus de dix foyers de travailleurs migrants, nous souhaitons aussi renforcer l’information et le dialogue entre gestionnaires et comités en imposant une réunion annuelle de ceux‑ci, au cours de laquelle les membres des comités élisent leurs représentants des personnes logées au conseil d’administration de l’organisme gestionnaire. Enfin, une réunion de consultation des comités est aussi obligatoire en cas de projet concernant l’ensemble des logements‑foyers.
Par ailleurs, il nous semble que des dispositions réglementaires peuvent être nécessaires afin de :
– préciser une superficie minimum des locaux communs ainsi qu’une disponibilité réelle pour les résidents ;
– préciser les conditions d’établissement du montant de l’équivalent loyer et des charges récupérables indiquées à l’article R. 353‑158 du CCH ;
– préciser les conditions d’élaboration du règlement intérieur auprès des résidents ;
– permettre aux résidents de disposer d’au moins deux clés de leur lieu d’habitation ;
– préciser les conditions pour l’hébergement de personnes extérieures ;
Ainsi, cette proposition de loi, se décompose en cinq articles :
L’article 1er inscrit dans la loi la définition de « résidence pour travailleurs isolés » et précise les conditions gouvernant la conception et l’usage des espaces collectifs.
L’article 2 ouvre aux résidents, le droit à un contrat de bail de droit commun pour leur garantir les mêmes droits qu’aux autres locataires.
L’article 3 précise ces droits, notamment en cas d’impayés et de résiliation judiciaire, de vente ou de destruction et d’insalubrité.
L’article 4 assure un vote pour l’élection des membres du Comité de résidents sans intervention ou entrave de la part des gérants en instaurant une sanction.
L’article 5 garantit la tenue d’une réunion annuelle des Comités de résidents au sein d’un organisme gestionnaire de plus de 10 résidents. Cet article crée aussi une obligation de convocation des Comités en cas de projet concernant l’ensemble des logements‑foyers.
Cette proposition de loi a été travaillée avec le Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF).
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proposition de loi
Article 1er
L’article L. 633‑1 du code de la construction et de l’habitation est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« La résidence sociale dénommée "résidence pour travailleurs isolés" est un établissement destiné majoritairement aux travailleurs adultes et retraités vivant de manière durable isolés de leurs familles.
« Lorsque cette résidence pour travailleurs isolés contient plus de trente logements, les locaux à usage collectif doivent avoir une surface minimum de 0,5 mètre carré multiplié par le nombre de logements. »
Article 2
Après le premier alinéa de l’article L. 633‑2 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les résidences pour travailleurs isolés, les conditions d’écriture et de signature du contrat de location sont celles prévues à l’article 3 de la loi n° 89‑462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86‑1290 du 23 décembre 1986. Toute clause du contrat ou du règlement intérieur limitant la jouissance strictement privative de son logement par son résident est nulle, cette disposition étant d’ordre public. »
Article 3
Après l’article L. 633‑3 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un article L. 633‑3‑1 ainsi rédigé :
« Art. L. 633‑3‑1. – À titre dérogatoire, les dispositions des articles L. 353‑15‑2 et L. 442‑6 du présent code ainsi que les dispositions des articles 6, 20‑1 et 24 de la loi n° 89‑642 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86‑1290 du 23 décembre 1986 sont applicables aux résidences pour travailleurs isolés. »
Article 4
L’article L. 633‑4 du code de la construction et de l’habitation est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’occupation des locaux à usage collectif doit faire l’objet d’une convention signée entre le gestionnaire et le comité de résidents qui prévoit que ce dernier organise sous sa responsabilité au moins les deux tiers des conditions de cette occupation.
« Les entraves à la constitution et au fonctionnement régulier du comité de résidents, à la libre élection et à l’exercice de leurs fonctions par ses membres ainsi qu’au fonctionnement du conseil de concertation sont sanctionnées selon les dispositions de l’article L. 2317‑1 du code du travail. »
Article 5
Après l’article L. 633‑4‑1 du code de la construction et de l’habitation, il est inséré un article L. 633‑4‑2 ainsi rédigé :
« Art. L. 633‑4‑2. – Dans tout organisme gestionnaire gérant plus de dix résidences pour travailleurs isolés, au moins une fois par an, la direction convoque les comités de résidents, à raison de deux représentants par comité, pour leur faire un rapport et débattre de ses orientations principales et des projets d’ensemble concernant les établissements.
« Au cours de cette réunion, les représentants des comités élisent en leur sein les représentants des personnes logées au conseil d’administration de l’organisme gestionnaire.
« La direction de l’organisme gestionnaire doit également convoquer pour consultation une réunion des comités de résidents, outre la réunion annuelle, en cas de projet concernant l’ensemble des logement‑foyers, notamment un projet de révision du contrat de résident ou du règlement intérieur applicable dans tous les établissements. »