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N° 766
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 décembre 2024.
PROPOSITION DE LOI
visant à protéger durablement la qualité de l’eau potable,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Jean-Claude RAUX, les membres du groupe Écologiste et Social [(1)],
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En avril 2023, un scandale d’ampleur est porté à la connaissance de la population. Un tiers de l’eau potable distribuée en France est contaminée par les résidus d’un pesticide interdit dans l’Union européenne depuis 2019 : le chlorothalonil. En novembre 2024, c’est au tour de l’acide trifluoroacétique (TFA), un polluant éternel notamment issu de l’herbicide flufénacet, d’être mis sous les projecteurs par sa présence au‑delà des limites réglementaires dans l’eau de plus de la moitié des Françaises et des Français. Ces révélations à répétition nous exposent les contaminations aux pesticides et aux engrais azotés minéraux de notre eau, qui persistent des années, voire des dizaines d’années. Sans que nous en mesurions l’ampleur.
Chacun sait plus que jamais que la protection de la ressource en eau est un enjeu de santé publique et de sauvegarde des écosystèmes.
L’état des masses d’eau en France est inquiétant : « 30 % des eaux souterraines sont affectées par la présence de résidus de pesticides et de teneurs trop élevées en nitrates ([1])° ». Pire, il se pourrait que 40,1 % de ces masses d’eau ne parviennent pas à atteindre le bon état chimique d’ici 2027. Entre 1980 et 2019, 12 500 captages d’eau potable ont été fermés, dont plus d’un tiers à cause de leur pollution.
La contamination aux pesticides, aux engrais azotés minéraux, aux nitrates, et à leurs sous‑produits après dégradation des molécules actives, les métabolites, persiste des années, voire des dizaines d’années dans la ressource en eau, et bien après l’interdiction de certaines substances. Même si toutes les conséquences ne sont pas connues, tant elles sont diffuses et protéiformes, l’aperçu est bel et bien alarmant : alarmant dans sa dimension humaine et sanitaire, alarmant pour les milieux terrestres et aquatiques, alarmant dans sa dimension financière.
L’environnement est directement altéré par les pollutions aux pesticides, dans l’eau, l’air ou le sol. Les études s’empilent sur la responsabilité des pesticides dans l’effondrement des espèces, notamment des insectes et des oiseaux. Toute la chaîne alimentaire se retrouve contaminée et mise en danger par ces pollutions. Dans le même temps, le changement climatique et les variations des conditions hydrologiques aggravent inévitablement la tension sur la ressource en eau potable : plus que jamais il faut veiller à la disponibilité et à la qualité de la ressource. Nous savons qu’en période de stress hydrique, le recours aux solutions de dilution peut être impacté ; la concentration en pesticides s’accroît du fait de la raréfaction ([2]). À l’inverse, les fortes pluies ou inondations accélèrent le ruissellement des pollutions diffuses.
La santé humaine est menacée par la qualité de notre eau potable. En 2021, par exemple, 12 millions de Françaises et de Français ont consommé une eau contaminée aux pesticides. En octobre 2024, une étude du collectif citoyen Avenir santé environnement démontre que des pesticides, dont certains interdits, sont présents dans l’organisme d’enfants de la plaine d’Aunis, près de La Rochelle, où se multiplient les cancers pédiatriques (15 cas depuis 2008). Les mêmes interrogations ont lieu à Sainte‑Pazanne (Loire‑Atlantique) et dans 6 communes alentour, où 19 cas de cancers pédiatriques se sont déclarés entre 2015 et 2022. L’inquiétude porte également sur les risques avérés de maladie de Parkinson, sur les conséquences des perturbateurs endocriniens (en particulier pour les enfants entre 0 et 3 ans) mais également sur les « effets cocktails », c’est‑à‑dire les effets conjugués et méconnus de ces substances chimiques.
Nous sommes loin de connaître l’ampleur de la contamination de l’eau que nous buvons. Selon un rapport de Générations futures, 71 % des métabolites de pesticides à risque de contaminer les eaux souterraines ne font l’objet d’aucune surveillance. On ne peut pas trouver ce qu’on ne cherche pas. Les normes de potabilité sont parfois anachroniques et ne permettent pas de prendre en compte les potentiels « effets cocktails ». Les recherches de pesticides ou de métabolites sont limitées, par les modalités de transmission des informations détenues par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), qui autorise les mises sur le marché des produits, aux agences régionales de santé (ARS), chargées du contrôle de la qualité de l’eau. Si en moyenne 200 molécules sont recherchées en France sur les plus de 750 susceptibles d’être retrouvées dans l’eau, il existe de très grandes disparités territoriales. Ainsi, seulement 12 molécules font l’objet d’un contrôle dans le département de l’Aisne, 24 en Corse ou encore 38 dans la Drôme.
Les pollutions de l’eau potable conduisent à des gouffres financiers. En France, les coûts de traitement liés à̀ la pollution de l’eau potable par les pesticides et les engrais azotés minéraux sont estimés entre 750 millions et 1,3 milliard d’euros par an ([3]). Cette somme colossale consacrée à ne traiter que partiellement pourrait servir à prévenir. En parallèle, les fabricants de produits phytosanitaires engrangent des profits énormes. C’est à eux de payer la facture, pas aux usagers du service d’eau. Taxer l’industrie des pesticides, c’est aussi pouvoir accompagner les agricultrices et les agriculteurs dépendants des produits chimiques vers la transition agroécologique. Si rien n’est fait, le prix de notre eau au robinet pourrait doubler dans les prochaines années.
Si les pollutions diffuses peuvent être de sources diverses, allant des activités industrielles aux origines domestiques, la concentration de pesticides est le principal paramètre identifié de la non‑atteinte des objectifs de bon état de la directive‑cadre de l’Union européenne sur l’eau (DCE). Les espoirs suscités par le Grenelle de l’environnement et le plan Ecophyto (2 et 2+) sont déçus et montrent aujourd’hui leurs limites : nous n’avons pas atteint les objectifs de 2018, nous n’arriverons pas plus à atteindre ceux visés en 2025, d’une réduction de 50 % de l’usage des produits phytopharmaceutiques agricoles.
Dans leur activité, les agricultrices et les agriculteurs ont été progressivement rendu·es dépendant·es du recours à des produits phytosanitaires. Garantir la qualité de notre eau potable impose de les accompagner durablement, sur le plan technique et financier vers l’agroécologie. Les actions engagées par les collectivités territoriales et leurs opérateurs d’eau pour accompagner les exploitations agricoles dans un changement de modèle et réduire les intrants, produisent des résultats positifs tant pour la qualité de l’eau que pour le maintien d’une agriculture durable et le développement de filières d’alimentation saine. Ces actions sont à généraliser. Eau de Paris a ainsi lancé en 2020 son dispositif « De la source à l’assiette », de même qu’Eau du bassin rennais a initié le label « Terres de Sources ». En matière de qualité de l’eau, sur les territoires où la dynamique a été la plus forte, on observe une tendance à la diminution des concentrations en nitrates, et une diminution de la fréquence et de l’intensité des pics de détection de pesticides.
La loi ne protège pas assez notre eau potable. Imaginés dès 1902, les périmètres de protection des captages d’eau potable ont‑ils amélioré la qualité de l’eau plus d’un siècle après ? Lois sur l’eau de 1964 et de 1992 pour instaurer les périmètres de protection des captages, loi de 2004 de transposition de la directive‑cadre européenne sur l’eau, lois Grenelle, plans d’action pour les captages prioritaires, rôle affirmé des collectivités territoriales et de l’État assorti de moyens, programmes d’actions volontaires… Malgré les divers dispositifs créés pour protéger les captages d’eau potable, malgré des objectifs dont l’ambition est sans cesse réaffirmée, à la fois pour lutter contre les pollutions directes et diffuses, l’échec à garantir une eau potable de qualité est criant en raison de la faiblesse des plans d’action mis en œuvre volontairement ou du recours permanent à des dérogations. Des carrières aux rejets de l’industrie, en passant par des forages pétroliers comme à Nonville (Seine‑et‑Marne), bien des dangers continuent de peser sur la qualité de l’eau.
Alors que des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) sont mises en place pour les captages les plus problématiques, nous constatons que ces arrêtés restent encore potentiellement sur une base volontaire et fixent des normes bien trop faibles ! Seule une action efficace et directe sur les aires d’alimentation des captages (AAC) d’eau potable permettra d’inverser réellement la tendance en termes de qualité de l’eau et des sols puisqu’elle délimite une zone de surface sur laquelle l’eau qui s’infiltre alimente la ressource en eau où se situent les points de captage. Seule une règlementation stricte sur les aires d’alimentation des captages protégera l’eau destinée à la consommation humaine des pollutions diffuses.
Un rapport des inspections générales des ministères de la santé, de la transition écologique et de l’agriculture ([4]) dresse le constat d’un « échec global » de la protection des captages d’eau. Il formule des recommandations pour prendre des mesures ambitieuses et contraignantes pour la qualité de l’eau potable. Ce rapport gardé secret par le Gouvernement et révélé par le média Contexte rejoint les propositions portées par le présent texte.
59 % des Françaises et des Français estiment que le premier enjeu sur l’eau est de réduire la pollution des rivières et des eaux souterraines ([5]). En audition à l’Assemblée nationale le 6 septembre 2023, M. Gwenaël Imfeld, directeur de recherche au centre national de la recherche scientifique (CNRS), déclarait : « Nous ne savons pas tout, mais les connaissances sont déjà abondantes et permettent des décisions préventives et protectrices sans regret ([6]) ». Aussi, il appartient au législateur de prendre des mesures fortes pour garantir la qualité de l’eau potable, pour ne pas nourrir de regrets en manquant au principe de précaution.
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La protection des captages d’eau potable est assurée en premier lieu par l’article 1er qui systématise la délimitation d’aires d’alimentation des captages (AAC) au sein desquelles l’autorité administrative compétente peut instaurer un plan d’actions visant à préserver la qualité de l’eau. Cet article instaure dans un second temps une interdiction de l’usage de pesticides de synthèse et d’engrais azotés minéraux dans les aires d’alimentation des points de prélèvements sensibles, à l’exception des produits de biocontrôle et de ceux autorisés en agriculture biologique.
L’article 2 prévoit un renforcement du contrôle de la qualité de l’eau destinée à̀ la consommation humaine par l’intégration de la recherche de métabolites de pesticides inclus sur une liste nationale de contrôle et au regard des circonstances locales. Il accentue aussi la transmission des informations de l’ANSES auprès des ARS, chargées du contrôle de la qualité de l’eau.
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proposition de loi
Article 1er
I. – L’article L. 211‑3 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Le 7° du II est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « actions », il est inséré le mot : « obligatoires » et les mots : « associées à des points de prélèvements sensibles, au sens de l’article L. 211‑11‑1, » sont supprimés ;
b) À la première phrase du second alinéa, les mots : « peut notamment concerner » sont remplacés par les mots : « concerne notamment » et la seconde phrase est supprimée ;
2° À la dernière phrase du V, les mots : « peut délimiter » sont remplacés par le mot : « délimite » ;
3° Le VI est ainsi rédigé :
« VI. – À l’intérieur des aires d’alimentation des captages associés à des points de prélèvement sensibles, au sens de l’article L. 211‑11‑1, il est interdit d’utiliser ou de faire utiliser des engrais azotés minéraux et les produits phytopharmaceutiques de synthèse mentionnés au premier alinéa de l’article L. 253‑1 du code rural et de la pêche maritime. L’interdiction ne s’applique pas aux produits de biocontrôle mentionnés à l’article L. 253‑6 du même code et figurant sur la liste mentionnée au IV de l’article L. 253‑7 du dudit code et aux produits autorisés en agriculture biologique, au sens de l’article L. 641‑13 du même code. »
II. – Le 3° du I entre en vigueur à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi.
Article 2
Après le deuxième alinéa de l’article L. 1321‑5 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Une liste nationale de contrôle de la présence de métabolites de pesticides dans les eaux destinées à la consommation humaine est établie par le ministre chargé de la santé. Le contrôle sanitaire inclut également le contrôle de la présence de métabolites de pesticides dont la recherche est justifiée au regard des circonstances locales d’utilisation et des quantités vendues de produits phytopharmaceutiques dans le département ainsi que des informations obtenues dans le cadre de la réalisation des missions de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. »
([1]) « Éviter la panne sèche - Huit questions sur l’avenir de l’eau », Délégation sénatoriale à la prospective, Rapport d’information n° 142, 24 novembre 2022
([2]) « Climate Change Hurting Water Quality in Rivers Worldwide », Study Finds, YaleEnvironment360, Yale School of the Environment, 12 septembre 2023
([3]) UFC - Que choisir, Générations Futures, « Pesticides dans l’eau du robinet », avril 2021
([4]) IGAS, IGEDD, CGAAER, « Prévenir et maîtriser les risques liés à̀ la présence de pesticides et de leurs métabolites dans l’eau destinée à̀ la consommation humaine », juin 2024
([5]) Baromètre de l’opinion 2018, « Préserver les ressources en eau et les milieux aquatiques, qu’en pensent les Français ? »
([6]) Commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire, Compte‑rendu de réunion, Assemblée nationale, 6 septembre 2023
[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Delphine BATHO, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET.