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N° 770

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 janvier 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger les travailleuses et travailleurs du nettoyage en garantissant des horaires de jour,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Delphine BATHO, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Steevy GUSTAVE, Mme Catherine HERVIEU, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, M. Boris TAVERNIER, M. Nicolas THIERRY, Mme Dominique VOYNET,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 13 avril 2020 le Président de la République déclarait dans son adresse aux français et aux françaises « Il faudra nous rappeler aussi que, aujourd’hui, notre pays tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». À l’image des salarié·es de la deuxième ligne dont le travail a été salué pendant la crise sanitaire, les travailleuses et travailleurs du nettoyage continuent au quotidien d’assurer des services essentiels sans pour autant que leur condition de travail n’aient été améliorées depuis.

Les travailleuses et travailleurs du secteur de la propreté exercent des métiers qui recouvrent une large variété de tâches : nettoyage des bureaux, des hôtels, des hôpitaux, des maisons, ainsi que l’entretien des espaces extérieurs comme les rues ou les bâtiments. On compte environ 1,7 millions de « salariés du nettoyage » en France, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), agents d’entretien dans le public et le privé, aides au ménage ou encore concierges compris. Ces emplois en France sont aujourd’hui occupés par des femmes à près de 80 % selon l’Insee, souvent issues de l’immigration.

Les travailleurs et travailleuses de l’entretien et du nettoyage, dont le caractère essentiel a été reconnu depuis la crise sanitaire, subissent des conditions de travail difficiles, en particulier du fait des contraintes d’horaires atypiques. En plus de leur faible rémunération - les salaires moyens sont à peine au‑dessus du Smic et les progressions salariales limitées - et de la pénibilité physique inhérente aux tâches de nettoyage compte tenu des gestes répétitifs et de l’utilisation de produits chimiques, les travailleuses de l’entretien et du nettoyage souffrent d’un rythme de travail au quotidien caractérisé par des horaires atypiques.

Si la « journée de bureau » s’est progressivement imposée comme la norme de référence au cours du XXe siècle, les horaires considérés comme « atypiques » continuent pourtant de s’imposer à certains secteurs en particulier comme celui du nettoyage, alors même que ces pratiques n’obéissent pas à un impératif économique. Ainsi, près de 43 % des salarié·es du nettoyage travaillent en « horaires atypiques », c’est‑à‑dire la nuit, le soir ou les week‑ends. Exerçant leur activité en dehors des horaires de journée, les travailleuses du nettoyage souffrent de ce fait d’une invisibilisation sociale traduisant le manque de reconnaissance de notre société pour leurs métiers pourtant essentiels.

Dans ce contexte, cette proposition de loi vise précisément à interdire le recours au travail de nuit pour les salarié·es de l’entretien et du nettoyage et à lutter par ce biais contre l’invisibilisation à laquelle ces travailleurs sont confrontés en instaurant l’exercice de leur métier sur des horaires en journée.

Autrefois très répandu et peu régulé, le travail de nuit, du fait de sa pénibilité, a été progressivement encadré et réduit en France depuis la première loi sociale en 1841 interdisant le travail de nuit pour les enfants de moins de 8 ans dans les usines. Grâce aux revendications continues des organisations syndicales au XXe siècle, le travail de nuit fait désormais l’objet d’un encadrement strict depuis la loi du 13 juillet 1971 qui introduit des mesures compensatoires pour les travailleurs nocturnes. Si le travail de nuit revêt en principe un caractère exceptionnel selon l’article L. 3122‑1 du code du travail, force est de constater que cette disposition ne permet pas aujourd’hui de lutter contre le recours au travail de nuit dans les métiers de l’entretien et du nettoyage, qui concerne encore plus de 4 salariés sur 10.

L’interdiction du travail de nuit pour les métiers de l’entretien et du nettoyage que formule ce texte fait aujourd’hui l’objet d’un consensus au sein des organisations professionnelles. Geoffroy Roux de Bézieux, ancien président du Medef, incitait les « donneurs d’ordre » à modifier les horaires de travail des femmes de ménage pour les calquer sur les heures de bureau. La fédération de la propreté (FEP) a de son côté lancé un label employeur intitulé « On accepte de faire le ménage pendant les heures de bureau » qui trouve un écho chez certains acteurs du nettoyage comme le groupe Candor qui s’attèle à convaincre ses clients d’accueillir les agent·es de propreté en journée.

Pour changer les usages du secteur, le président de la FEP, Frédéric Joigny, rappelle que l’État, qui emploie à lui seul 18 % des salarié·es du secteur, a les moyens de changer la donne, des expérimentations sur le terrain ayant d’ailleurs lieu dans certaines collectivités territoriales comme les régions Aquitaine, Bretagne ou Pays‑de‑la‑Loire. C’était d’ailleurs le sens de la promesse de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal de mettre un terme aux horaires décalés pour les agent·es de nettoyage dans l’administration publique. Cette proposition de loi va plus loin en imposant à tous les donneurs d’ordres publics et privés l’interdiction du recours au travail de nuit dans le secteur de l’entretien et du nettoyage.

L’interdiction du recours au travail de nuit formulée par cette proposition de loi vise à améliorer les conditions de vie des travailleuses de l’entretien et du nettoyage, à plusieurs égards.

D’abord en augmentant leur pouvoir d’achat : l’exercice sur des horaires de jour permet l’augmentation du temps de travail et amène à tendre vers le travail à temps plein et à la hausse de la rémunération des salarié·es.

Ensuite en leur permettant une meilleure conciliation des temps de vie familiale et personnelle, un équilibre synonyme d’une vie sociale plus apaisée et d’une intégration plus simple dans notre société.

En troisième lieu afin de préserver leur santé dans la mesure où le travail en journée évite un isolement sur le lieu de travail et offre davantage de sécurité, limitant de ce fait les accidents du travail souvent imputables à la fatigue. De plus, le travail tôt le matin ou tard le soir entraîne un risque de perturbation de l’horloge biologique, de l’alimentation et du cycle du sommeil provoquant des insomnies, des troubles de l’humeur voire de la dépression.

Enfin, la fin des horaires atypiques apparaît comme une réponse à l’urgence écologique en rendant l’utilisation des transports en commun accessible pour les travailleuses du nettoyage, restreignant de ce fait le recours à la voiture pour les déplacements professionnels. Par ailleurs, le fait de travailler aux mêmes horaires que le personnel des bureaux, administrations, établissements permet de diminuer la consommation d’électricité sur le lieu de travail.

Cette proposition est un premier pas vers l’amélioration des conditions de travail dans le secteur du nettoyage. L’enjeu des horaires de jour doit être appréhendé plus largement et articulé avec la question du temps partiel subi et un encadrement strict de la soustraitance.

 

 


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proposition de loi

Article unique

La section 1 du chapitre II du titre II du livre Ier de la troisième partie du code du travail est complétée par un article L. 3122‑14‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3122141. – Le travail de nuit est interdit pour les salariés relevant de la branche professionnelle des entreprises de propreté et services associés.

« Par dérogation, le travail de nuit peut être autorisé pour répondre à la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. Ces dérogations doivent pouvoir être justifiées auprès de l’inspecteur du travail. »