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N° 793

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à améliorer la vie professionnelle des femmes par l’encadrement du temps partiel contraint,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Gabrielle CATHALA, Mme Mathilde PANOT, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)], Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Mickaël BOULOUX, M. Michel CASTELLANI, M. Damien GIRARD, Mme Sandrine JOSSO, M. Tristan LAHAIS, Mme Karine LEBON, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mme Julie OZENNE, M. Sébastien PEYTAVIE, M. François RUFFIN, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les inégalités entre les femmes et les hommes demeurent une réalité structurante du monde du travail. Dans la France de 2024, une femme gagne en moyenne 23,5 % de moins qu’un homme. Pourtant, à temps de travail égal, cet écart chute à 15 % parce qu’une des causes principales des inégalités économiques est la concentration des femmes dans les emplois à temps partiel. Ainsi sur 4,2 millions de salariés embauchés à temps partiel, 83 % sont des femmes ([1]).

La précarité des femmes est par ailleurs aggravée par la conjonction de plusieurs déséquilibres du marché de l’emploi. Plus de la moitié de l’emploi féminin se concentre sur une dizaine de familles professionnelles, notamment dans l’aide à domicile (à 94 % des femmes), la santé (90 % des aides‑soignantes et 87 % des infirmières sont des femmes) ou le nettoyage (qui emploie à 80 % des femmes) ([2]). Ces secteurs d’emplois « féminisés » sont parmi ceux qui ont le plus systématisé le recours au temps partiel. Ainsi, 73 % des aides à domicile, 30 % des aides-soignantes et 42 % des agents d’entretien sont concernés par ce type de contrat de travail ([3]). Par ailleurs, les femmes sont, en moyenne et à diplôme égal, reléguées à des postes moins qualifiés que ceux des hommes ([4]). Tout cela concourt à expliquer pourquoi 57 % des travailleurs pauvres sont des femmes alors qu’elles ne représentent que 43,5 % des salariés du secteur privé ([5]). L’extension des emplois à temps partiel apparaît comme un des éléments centraux du système poussant les femmes vers la précarité.

Une part notable de ces contrats à temps partiel n’est d’ailleurs pas choisie par les employées. Si cette forme d’emploi permet parfois de répondre aux besoins spécifiques de certains salariés, 34 % des salariés à temps partiel (mais 47 % de ceux travaillant moins de 24 heures par semaine) déclarent être en sous‑emploi, c’est‑à‑dire souhaiter travailler davantage[6]. Surtout, lorsqu’on évalue ces données en tenant compte de la répartition par sexe, il apparaît que les emplois à temps partiel « féminisés » présentent des taux de sousemploi supérieurs à la moyenne. 30 % des aides à domicile déclarent par exemple qu’elles voudraient travailler davantage mais sont contraintes d’accepter des contrats à temps partiel.

En plus d’être un pis‑aller pour de nombreuses femmes, le temps partiel s’accompagne paradoxalement d’une emprise importante sur leur vie quotidienne. Ces familles de professions, à la fois subalternes, « féminisées » et essentielles au fonctionnement de notre société, font l’objet d’une accumulation de dispositions de flexibilisation qui rendent insupportable la vie quotidienne des salariées. Horaires flexibles ou décalés, journées fragmentées, amplitudes longues, imprévisibilité des emplois du temps sont le lot quotidien de ces femmes et leur empêchent de concilier vie professionnelle et vie personnelle. Ce « démantèlement de la journée de travail continue ([7]) » au profit de courtes plages horaires fragmentées est, en particulier, incompatible avec une organisation équilibrée de la vie familiale. Les inégalités entre hommes et femmes dans la répartition des tâches domestiques et parentales s’en trouvent confortées, alors même que 41 % des femmes ayant au moins trois enfants à charge sont à temps partiel ([8]).

Ainsi les femmes sont en première ligne des contraintes et vulnérabilités inhérentes au travail à temps partiel. Mais plus largement, la généralisation du temps partiel est une évolution du monde du travail qui doit alerter le législateur. Plus de 4,2 millions de salariés, soit 17,5 % des actifs, sont concernés par le temps partiel, une forme d’emploi qui a vu sa part tripler en 50 ans ([9]). Cette dynamique a été lancée dans les années 1990 lorsque le choix a été fait de favoriser le recours au temps partiel par des exonérations de cotisations sociales. En plus de grever inconsidérément les finances publiques, ces dispositifs ont contribué à l’émergence d’une « trappe à précarité », rendant d’autant plus difficile l’évolution de ces salariés vers des formes plus stables et rémunératrices d’emploi ([10]).

Cela fait maintenant plus de 20 ans que les législateurs successifs ont identifié ce problème et tentent de le résoudre, sans y parvenir de manière satisfaisante. Les exonérations de cotisations ciblant précisément le temps partiel ont été supprimées dès 2002. La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a par la suite fixé une durée minimale de travail hebdomadaire de 24 heures, en autorisant toutefois d’y déroger par accord de branche. Ce qu’ont de facto fait une large majorité des familles professionnelles : en 2019, seuls 10 accords sur 93 comportaient une durée minimale d’au moins 24 heures, laissant 1,9 million de salariés sous le seuil prévu par la loi ([11]). Depuis, l’objectif politique de concrétiser l’égalité entre les femmes et les hommes sur le plan professionnel, économique et social a achoppé sur une volonté insuffisante de limiter le temps partiel contraint, pourtant un des principaux facteurs d’inégalité professionnelle.

La présente proposition de loi vise à désinciter les employeurs à recourir de manière excessive au contrat à temps partiel fragmenté et contraint par le renchérissement des pratiques portant le plus atteinte à la qualité de vie des salariés. Ces dispositions, qui améliorent le quotidien de tous les Français employés à temps partiel, sont en particulier bénéfiques pour les femmes parce qu’elles corrigent des pratiques répandues dans les secteurs d’emplois « féminisés ».

L’article 1er limite la généralisation des contrats à temps partiel en diminuant la réduction de cotisations dont bénéficient les entreprises lorsqu’elles excèdent un seuil de 15 % de salariés à temps partiel par catégorie d’emploi.

L’article 2 renforce l’effectivité de la durée hebdomadaire minimale de 24 heures pour les contrats à temps partiel instaurée par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013. Parce qu’il est trop aisé de déroger à cette règle, elle a été rendue inopérante et ne protège donc pas les salariés exposés au temps excessivement partiel. Sans empêcher les dérogations à cette durée, cet article prévoit de les encadrer en majorant le paiement des heures à temps partiel effectuées en deçà de 24 heures par semaine.

L’article 3 instaure, pour les salariés à temps partiel, une durée minimale de temps de travail de 3 heures consécutives dans la même journée. Cette disposition vise à réguler les emplois du temps excessivement fragmentés qui nuisent à la qualité de vie des salariés et empiètent inconsidérément sur leurs activités personnelles et familiales.

L’article 4 étend le délai de prévenance minimum de changement de durée ou d’horaires de travail en le portant de 3 à 7 jours en cas d’accord collectif et de 7 à 14 jours à défaut de stipulations dans les accords. Cette disposition vise à apporter de la prévisibilité, stabilité et tranquillité à la vie quotidienne des salariés à temps partiel.

L’article 5 reconnaît le caractère préjudiciable des horaires décalés pour la qualité de vie des salariés en étendant aux heures tôt le matin (avant 9 heures) et tard le soir (après 18 heures) le taux de majoration horaire le plus fréquemment en usage pour le travail de nuit.

 


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proposition de loi

Article 1er

Le VII de l’article L. 241‑13 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les entreprises dont l’effectif compte en moyenne sur l’année civile plus de 15 % de salariés à temps partiel par catégorie d’emploi, le montant de la réduction sur les cotisations patronales est diminué de 20 % au titre des rémunérations versées cette même année. »

Article 2

L’article L. 3123‑7 du code du travail est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque dans le respect des dispositions précédentes, la durée convenue est inférieure à vingt‑quatre heures par semaine, les heures de travail sont rémunérées à un taux majoré de 10 %.

« Lorsque cette durée est inférieure à quinze heures par semaine, les heures de travail sont rémunérées à un taux majoré de 15 %.

« Lorsque cette durée est inférieure à huit heures par semaine, les heures de travail sont rémunérées à un taux majoré de 25 %. »

Article 3

L’article L. 3123‑27 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La durée minimale de travail du salarié à temps partiel est fixée à trois heures consécutives par jour. »

Article 4

L’article L. 3123‑24 du code du travail est ainsi modifié :

1° À la première phrase du deuxième alinéa, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « sept » ;

2° Au dernier alinéa, le mot : « sept » est remplacé par le mot : « quatorze ».

Article 5

Après l’article L. 3122‑15 du code du travail, il est inséré un article L. 3122‑15‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3122151. – Les heures de travail réellement effectuées par un salarié au cours de la plage horaire comprise entre dix‑huit heures et neuf heures ouvrent droit à une majoration au moins égale à 15 % du salaire effectif. »

 

 


([1])  « Temps partiel et conditions de travail : travailler moins pour travailler mieux ? », DARES Analyses, no 34, mai 2024, p. 2.

([2])  Lemière Séverine, Silvera Rachel, « Où en est-on de la ségrégation professionnelle ? », Regards croisés sur l’économie, no 15/2, 2014, p. 122-123.

([3])  Insee, Enquêtes Emploi, données lissées par moyenne mobile d'ordre 3, traitement DARES, 2018.

([4])  Di Paola Vanessa, Epiphane Dominique, Del Amo Julio, « Inégalité de genre en début de vie active, un bilan décourageant », Céreq Bref, no 442, juillet 2023, p. 1.

([5])  Insee, Emploi, chômage, revenus du travail. Principaux résultats, 2024, p. 17.

([6])  « Quelles sont les conditions d’emploi des salariés à temps partiel ? », DARES Analyses, no 25, août 2020, p. 4.

([7]) Devetter François-Xavier, Valentin Julie, « Long day for few hours: impact of working time fragmentation on low wages in France », Cambridge Journal of Economics, no 48/1, 2024, p. 89-114.

([8]) Insee, Emploi, chômage, revenus du travail, 2020, p. 130.

([9]) Insee, Emploi, chômage, revenus du travail, 2024, p. 50.

([10]) Bonnet Odran, Georges-Kot Simon, Pora Pierre, « Les contrats à durée limitée : trappes à précarité ou tremplins pour une carrière ? », Insee Références - Dossier, 2019, p. 54.

([11]) « La négociation collective en 2019. Bilan & rapports », Direction générale du travail - DARES, 2020.


[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.